Des milliers de manifestants thaïlandais se sont installés devant le siège du gouvernement mercredi soir, promettant de rester trois jours. Les autorités ont répondu par un décret d’urgence interdisant les rassemblements de plus de cinq personnes.
Plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées mercredi soir sous les fenêtres du bureau du Premier ministre Prayuth Chan-O-Cha, demandant la démission de l'ancien chef de la junte, après une journée marquée par quelques altercations sans gravité avec des contre-manifestants et un incident léger lors du passage du cortège royal.
Alors que la nuit tombait, la foule, composée principalement de jeunes adultes, s'est rassemblée devant les portes de la Maison du gouvernement sur l’avenue Pitsanulok dans le centre de Bangkok. Les manifestants ont dit qu'ils prévoyaient de rester au moins trois jours.
"Nous ne partirons pas tant que Prayuth n'aura pas démissionné", a déclaré l’un de leurs leaders, l’avocat des droits de l’homme, Arnon Nampa.
Le mouvement de protestation vise à destituer le chef du gouvernement, qui a pris le pouvoir lors d'un coup d'État en 2014 destiné soi-disant à réconcilier un peuple divisé par une décennie de turbulences politiques, à éradiquer la corruption et protéger la monarchie.
Les manifestants veulent également une nouvelle Constitution et une partie d’entre eux appellent à une réduction des pouvoirs récemment accrus du roi.
À la Maison du gouvernement, certains manifestants lançaient des injures aux imposants portraits du roi - un acte répréhensible de 15 ans de prison en vertu de la loi de lèse-majesté thaïlandaise, parmi les plus sévères au monde.
Un peu plus tôt, plusieurs dizaines de milliers de personnes avaient participé à la marche vers le siège du pouvoir depuis le Monument de la Démocratie.
Les manifestants ont estimé leur nombre à plus de 100.000 affirmant qu’il s’agissait de leur plus grand rassemblement à ce jour. La police, qui avait mobilisé 15.000 personnes pour gérer la manifestation, a établi le nombre des protestataires à seulement 8.000. Lundi, le secrétaire général du Conseil national de sécurité, le général Nattaphon Narkphanit avait prédit que le rassemblement ne dépasserait pas 10.000 personnes.
"Jeu dangereux"
Alors qu’un cortège devait transporter le roi depuis le palais Dusit au Grand Palais pour une cérémonie religieuse, des partisans pro-royalistes vêtus de jaune, la couleur associée au monarque, se sont installés le long du trajet royal long de cinq kilomètres et dont une partie correspondait précisément au parcours de la marche prévue du Monument de la démocratie à la Maison du Gouvernement.
Des camions municipaux ont également amené des centaines d’ouvriers en chemisette jaune rejoindre le groupe de royalistes pour remplir les trottoirs. Parmi eux, un homme a semblé sympathiser avec le mouvement anti-gouvernemental, faisant le salut à trois doigts, symbole de la résistance contre les élites qui oppressent le petit peuple. Les manifestants se sont précipités pour lui serrer la main.
Même si quelques brèves échauffourées ont eu lieu ici et là, les deux camps ont su garder leurs distances malgré la grande proximité entre les deux foules qui se trouvaient toutes les deux sur l’avenue Ratchadamnoen.
"L'establishment thaïlandais joue un jeu très dangereux en mobilisant les forces de sécurité et des groupes ultra-royalistes pour se confronter aux manifestants pro-démocratie", a estimé Prajak Kongkirati, enseignant à l'Université Thammasat.
Aussitôt après le passage du cortège transportant le roi, la plupart des royalistes se sont dispersés, mais un autre convoi un peu plus tard transportant la reine Suthida a été ralenti par des manifestants qui ont fait le salut à trois doigts en disant "dégagez" aux policiers protégeant le véhicule.
Une vidéo sur les réseaux sociaux montrait la reine souriant à travers la vitre de la voiture.
Le leader d’un groupe ultra-royaliste, Suwit Thongprasert, connu sous le nom de Phra Buddha Issara, a déclaré que les manifestants pouvaient exiger la démocratie mais ne devaient pas appeler à des réformes de la monarchie, comme certains l'ont fait.
"Ils ne doivent pas toucher l'institution", a-t-il dit aux journalistes.
Décret d’urgence
La police et le gouvernement ont exhorté les manifestants à se disperser. Ils ont également menacé de poursuivre les manifestants qui ont ralenti le cortège de la reine et manqué de respect à la monarchie.
"Ce n'est pas une manifestation pacifique", a déclaré le porte-parole de la police Kissana Phathanacharoen lors d'une conférence de presse donnée tard dans la soirée. "Les manifestants ont continuellement violé la loi."
Plus tard dans la nuit, le gouvernement a mis en vigueur -jeudi à 4 heure matin- un décret d’urgence interdisant les rassemblements de plus de cinq personnes.
Le porte-parole du gouvernement Anucha Burapachaisri a exhorté les familles à encourager leurs enfants à quitter la manifestation pour leur propre sécurité.
Les manifestants ont fait preuve ces derniers mois d’une audace inédite depuis des décennies en osant appeler publiquement à des reformes concernant la monarchie, même s’ils affirment ne pas vouloir renverser cette dernière mais la moderniser.
Mardi, un groupe de protestataires a défié le roi en scandant "libérez nos amis" les trois doigts levés au moment où sa voiture passait devant eux, peu après l’arrestation de 21 militants dans une altercation avec la police venue sur leur site de manifestation sécuriser le trajet du cortège. Mercredi, les détenus ont été inculpés d'atteinte à l'ordre public.
Les manifestants exigent leur libération inconditionnelle. L'un d'eux, âgé de 17 ans, a été autorisé à sortir à condition qu'il ne récidive pas.
Le palais royal reste silencieux sur le sujet des manifestations.
Ce rassemblement du 14 octobre marquait le 47e anniversaire du soulèvement étudiant de 1973. De son côté, le ministre du bureau du Premier ministre, Anucha Nakasai, a présidé une cérémonie de dépôt de gerbes et prononcé un discours en l'honneur des héros du 14 octobre au Mémorial du 14 octobre sur l'avenue Ratchadamnoen. Selon un communiqué du bureau des Relations publiques, l'événement a réuni des personnes impliquées dans le soulèvement et des représentants de partis politiques.
Le ministre a déclaré que le soulèvement de 1973 était d'une grande importance pour le changement social et politique. Il a souligné que cet événement devait servir de modèle à tous et encourager la jeune génération à s'unir au nom de la démocratie.