Vingt et un manifestants anti-gouvernement ont été arrêtés mardi et d’autres ont défié les autorités, jetant de la peinture sur la police et scandant "libérez nos amis!" lors du passage du cortège royal à la veille d’un rassemblement marquant l’anniversaire du soulèvement de 1973.
Alors que le 13 octobre la Thaïlande commémore la disparition du roi Bhumibol Adulyadej (Rama IX), père du souverain actuel qui a régné pendant 70 ans, plusieurs centaines de militants pro-démocratie ont décidé mardi de se rassembler autour du Monument de la Démocratie à Bangkok, à la veille d’une manifestation prévue pour demander notamment la démission du gouvernement, une nouvelle Constitution ainsi que des réformes concernant la puissante monarchie.
Des troubles ont éclaté lorsque les manifestants ont pressé contre un cordon de police venu préparer la sécurité du cortège royal qui devait emmener le roi Vajiralongkorn et la reine Suthida au Grand Palais dans le cadre des commémorations. Des manifestants ont également jeté de la peinture bleue sur les policiers.
La police a embarqué plusieurs militants et démoli une tente installée pour la manifestation.
Parmi les personnes emmenées se trouvaient Jatupat Boonpattararaksa, un leader du mouvement de contestation, et Chaiamorn Kaewwiboonpan, un chanteur.
"Les manifestants n'ont sans doute pas respecté la loi aujourd'hui, la police a donc dû agir pour ramener l'ordre et ne s’est pas conduite de manière disproportionnée", a affirmé à Reuters le porte-parole du gouvernement Anucha Burapachai.
Salut révolutionnaire
En fin de journée, le roi et la reine ont quitté le palais pour se rendre au Grand palais où les attendaient sous la pluie de nombreux Thaïlandais venus célébrer la mémoire de Bhumibol Adulyadej.
Lors du passage du cortège royal, les manifestants ont levé la main et fait le fameux salut à trois doigts, symbole du mouvement contre la dictature, scandant "libérez nos amis!" pour demander la libération de leurs amis détenus.
"C'est la toute la laideur du féodalisme, quand une personne peut tout faire et la majorité des gens doit l'accepter sans condition", a commenté sur Twitter Parit "Penguin" Chirawat, un leader étudiant.
Le mot dièse le plus tendance sur Twitter en Thaïlande, utilisé plus de 1,5 million de fois, était une critique vis-à-vis du roi.
Les insultes envers à la monarchie sont passibles de 15 ans de prison en vertu de la loi thaïlandaise de lèse-majesté, mais le Premier ministre a déclaré en juin que le roi avait demandé qu'elle ne soit pas utilisée pour le moment.
Les manifestants affirment que leur objectif n’est pas d’abolir la monarchie mais de contenir les prérogatives du roi dans le cadre d’une nouvelle Constitution, et d’annuler des pouvoirs récemment acquis, à savoir son contrôle personnel sur la fortune de la couronne et sur certaines unités de l'armée.
"La monarchie doit être encadrée par la Constitution, c'est ainsi qu'elle est supposée être", s’est exclamée Waranya Siripanya, une manifestante de 21 ans.
Dans la soirée, les manifestants se sont rendus au siège de la police nationale, pressant contre les portes pour exiger leur libération.
Le roi Vajiralongkorn passe le plus clair de son temps en Allemagne et ne se déplace généralement en Thaïlande que pour des célébrations officielles.
Mardi, plusieurs centaines de royalistes étaient rassemblés à Bangkok pour rendre hommage à Bhumibol Adulyadej, portant sa photo et des fleurs, vêtus de jaune, la couleur associée au jour de sa naissance, le lundi – le même que son fils.
Nombre d’entre eux n’ont pas manqué de critiquer les manifestants.
"On leur a peut-être enseigné et dit que la monarchie n'avait aucune valeur pour la nation", a déclaré Narongsak Poomsisa-ard, 67 ans. "Mais je veux leur rappeler que si notre nation existe jusqu'ici, c’est parce que nous avons une institution forte".
Une telle audace populaire vis-à-vis du pouvoir de la monarchie est inédite en Thaïlande.
Les manifestations démarrées sur les campus du royaume en février après la dissolution par la justice d’Anakot Mai, l’un des principaux partis d’opposition, ont repris dans la rue en juillet après l’interruption en raison de la crise du Covid-19. Les rassemblements menés par des étudiants ont pris de l’ampleur au fur et à mesure des rassemblements, même s’ils sont organisés moins fréquemment que dans les premières semaines.
Les protestataires dans leur majorité demandent la démission du Premier ministre -ex-chef de la junte militaire-, la dissolution du Parlement et une nouvelle Constitution. Mais certains militants ont également ajouté des demandes de réformes concernant la puissante monarchie, brisant un tabou vieux de plusieurs décennies.
Les manifestations, qui durent depuis trois mois, présentent le plus grand défi depuis des années pour un établissement politique dominé par l'armée et le palais.
La prochaine grande manifestation prévue le 14 octobre marquera le 47e anniversaire du soulèvement étudiant de 1973 qui avait debouché sur la fin de la dicture militaire.