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Ils font Paris-Phnom Penh à vélo pour livrer des lunettes à une ONG

Alexis-Baratte-Emilie-DubusAlexis-Baratte-Emilie-Dubus
courtoisie Onebikefortwo
Écrit par Régis LEVY
Publié le 21 mars 2019, mis à jour le 21 mars 2019

Un couple de trentenaires originaires de Lille vient de traverser douze pays à vélo durant presque sept mois dans le but de livrer des lunettes de vue d’occasion à une ONG cambodgienne. Lepetitjournal a rencontré à Bangkok Alexis Baratte et Émilie Dubus à l’issue de leur périple pour parler de ce pari un peu fou, baptisé "Onebikefortwo — Un vélo pour deux, des lunettes pour tous".

lepetitjournal.com/Bangkok : Alexis et Émilie, comment est né votre projet ?

Alexis Baratte: Je suis opticien de métier et nous souhaitions sensibiliser le public sur le fait que, dans notre pays, les remboursements permettent aux gens de changer presque trop facilement de lunettes. Lunettes qu’ils ont ensuite tendance à laisser dans un tiroir, "au cas où", alors qu’elles pourraient servir à des habitants de pays qui en ont besoin ! 

Ce projet, né fin 2015, a d’abord nécessité de lancer une récolte de lunettes usagées qu’il a ensuite fallu trier, ajuster, puis inventorier en fonction de la puissance de chacune. 

La deuxième étape fut d’emmener toutes ces lunettes à Phnom Penh à vélo, ceci dans un but communicatif. Ce moyen de transport écologique peut être utilisé sur tous types de distances avec un chargement plus ou moins important. Nous avons donc embarqué sur un tandem tout le nécessaire pour la vie quotidienne, en plus des 20 kilos de lunettes que nous destinions à une ONG. Le poids total de l’embarcation en nous incluant était de 210 kilos.

Combien de temps ont pris les préparatifs de votre expédition ?

Émilie Dubus : La collecte des lunettes dans le nord de la France a pris environ 18 mois, pas à temps plein évidemment. Nous nous sommes appuyés pour cela sur les médias locaux, les réseaux sociaux et même la mairie de Lille qui nous a bien aidés. Le succès est allé au-delà de nos espérances puisque nous n’avons pas pu tout embarquer et qu’un stock nous attend à notre retour. 

Ensuite nous avons commencé à réfléchir à l’organisation du périple. Il fallait choisir la bonne date de départ pour bénéficier de fenêtres météo optimales en tâchant d’arriver absolument après la saison des pluies en Asie du Sud-Est ou d’éviter les périodes trop froides en Russie et Mongolie. 

Alexis : Concernant le matériel à emporter, nous nous sommes appuyés sur notre expérience du cyclotourisme pour savoir ce qu’il était nécessaire d’emporter et ce qui était superflu, même si un voyage d’un an ne se prépare pas comme un voyage de trois semaines. Nos affaires, en incluant la tente, pesaient 35 kilos. Elles incluaient de quoi faire face à toutes les situations météorologiques.

Émilie : Il a également fallu anticiper les demandes de visas, certains s’obtenant depuis la France. Une fois toutes les démarches accomplies, nous avons enfin pu partir, mi-juin 2018.

Velo lunette Onebikefortwo

Pourquoi avoir choisi le Cambodge ? 

Alexis : Ne connaissant pas l’Asie, nous n’avions pas la possibilité de monter une distribution une fois sur place. Nous n’avions ni le réseau ni les connaissances pour le faire. Nous avons donc cherché à nous associer à une petite ONG locale. Nous en avons démarché plusieurs au Laos, au Vietnam et au Cambodge. C’est ainsi que nous avons trouvé une association baptisée "Solidarité Bretagne Cambodge" dont l’action est centrée sur l’éducation et qui s’est déclarée prête à recevoir nos lunettes pour les intégrer à leur stock et ensuite les distribuer.

Le type de vélo que vous avez utilisé a l’air bien particulier. Pouvez-vous le décrire ?

Émilie : C’est un tandem de conception allemande. J’y prends place à l’avant, en position semi-couchée assise.

Alexis : Et moi je dirige l’embarcation depuis l’arrière, assis sur la selle comme sur un vélo classique. Je dois gérer les vitesses, les freins et bien sûr la direction. Ce vélo nous a d’ailleurs causé des soucis lorsque son cadre s’est brisé en Chine, après 6.500 km. 

Émilie : Ce problème est survenu alors que nous avions un visa qui courait et nous ne pouvions perdre trop de temps pour effectuer une réparation. Nous nous trouvions près de Guilin et nous avons eu du mal à trouver quelqu’un équipé pour souder de l’aluminium, ce qui est assez délicat à réaliser. Cette péripétie nous a fait perdre pas loin de quatre jours.

Velo lunette Onebikefortwo

Comment avez-vous dessiné votre trajet ?

Émilie : Nous sommes partis de Lille puis avons traversé la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Pologne, la Lituanie, la Lettonie, l’Estonie, la Russie -où nous avons emprunté le Transsibérien, la durée de notre visa ne permettant pas de parcourir toute la distance dans les temps-, la Mongolie, la Chine, le Vietnam et enfin le Cambodge. 

Deux critères ont joué pour le tracé. 

Le premier concerne le dénivelé des routes : nous aurions pu passer par la Turquie mais, il faut être réaliste, les montagnes qui nous attendaient plus loin auraient été infranchissables avec 20 kilos de lunettes dans une remorque. 

Le second concernait les douanes : on ne franchit pas certaines frontières de la même manière lorsqu’on a un tel chargement ou un simple sac à dos. Nous avons donc privilégié des pays ayant des relations réglementées avec la France et où nous savions qu’il ne faudrait pas donner des bakchichs à chaque fois pour passer. Dans les faits, cela s’est avéré être plus compliqué que ça. 

Plus précisément ?

Alexis : Nous n’avons jamais eu à donner de bakchich. Nous voulions faire les choses dans les règles en n’omettant rien dans nos déclarations et nous avons découvert qu’à chaque frontière c’était un véritable combat pour obtenir les papiers officiels.

Émilie : Il nous a parfois fallu négocier oralement et à distance avec des membres d’administrations, vu que nous ne parlions pas les langues des douaniers des différents pays. Comme en Chine, où on ne vous laisse pas entrer comme ça avec 20 kg de lunettes. En tant qu’association, nous avions obtenu des documents en bonne et due forme pour éviter d’avoir à payer des taxes d’importation. Mais, curieusement, le fait que nous les acheminions à vélo nous faisait sortir des règles de transport.

Alexis : Nos documents étaient pourtant très précis, stipulant le nombre de lunettes, leur poids total, décrivant leur puissance, etc. Mais à certains endroits, le cyclotourisme, qui n’est pas le plus orthodoxe des moyens de transport de marchandises, n’était pas reconnu comme tel. Avec notre chargement, nous ne rentrions dans aucune case, que ce soit piéton, bus ou camion… heureusement la complexité administrative faisait baisser parfois les bras aux douaniers qui préféraient ne pas avoir à compter 797 paires de lunettes une par une. Mais cela nous exposait à des problèmes à la sortie du pays. Les négociations furent parfois longues, alambiquées et incertaines quant à leur issue.

Velo lunette Onebikefortwo

Comment faisiez-vous pour l’hébergement et l’alimentation ?

Alexis : Notre budget prévisionnel était de 10 € par personne et par jour, comprenant hébergement et alimentation. Au final nous n’avons dépensé quotidiennement que 15 € à deux. En Europe, nous dormions chez l’habitant. Nous demandions aux gens s’il était possible de planter notre tente sur leur terrain et nous avons reçu, dans certains cas, des accueils très chaleureux.

Des instants qui peuvent sembler très simples prennent dans les conditions d’un tel voyage des dimensions particulières et ils resteront gravés en nous. Comme cette charmante mamie allemande qui nous a apporté de la limonade fraiche qui se révélait être un trésor après une journée de vélo sous le soleil. Ou encore ce camionneur chinois qui, après 10 jours à pédaler sous une pluie incessante, nous a naturellement proposé de nous prendre à son bord…

Et pour l’alimentation nous avons fait en sorte de toujours avoir de la survie avec nous, soit des pâtes, soit du riz, des flocons d’avoine.

Émilie : On a dû davantage cuisiner en Europe qu’en Asie où il est plus facile de trouver des plats déjà cuisinés pour des sommes modiques. C’était à la fois plus rapide, savoureux et reposant, tout en nous permettant d’échanger avec les restaurateurs ou serveurs. Qui plus est, nous sommes l’un et l’autre de piètres cuisiniers.

Quelle était votre moyenne quotidienne ?

Alexis : Nous avons parcouru à peu près 65-70 km par jour, soit cinq heures pleines à pédaler, sachant que nous faisions des pauses pour récupérer et admirer les paysages.

Émilie : Il y a avait des jours où, personnellement, j’avais besoin de me motiver pour aller pédaler. Il peut même y avoir des petits moments de découragement lorsqu’on traverse le même type de paysages durant trois ou quatre jours d’affilée, par exemple. On n’a pas forcément quelque chose à se dire toute la journée et on se surprend parfois à attendre que la journée passe en pédalant. Mais nous avons réussi à surmonter toutes les difficultés les unes après les autres.

Velo lunette Onebikefortwo

Qu’est-ce qui a été le plus marquant durant cette odyssée ?

Alexis : Tout d’abord sur le plan humain, nous n’avons jamais fait de mauvaises rencontres. Ça peut être lié au comportement, car nous avions des informations sur la culture des différents pays que nous avons toujours veillé à respecter. Et nous observions beaucoup les gens.

Émilie : L’un des pays qui nous a le plus marqués restera la Mongolie, de par ses différences physiques et culturelles ou ses contrastes. Entre Oulan Bator et les nomades des steppes, il y a un gouffre, ce sont deux mondes vraiment bien distincts. Les nomades sont un peu comme des cyclotouristes. Ils comprennent ce que c’est de changer de camp. La steppe appartient à tout le monde et on te laisse t’y installer comme tu veux.

C’était une sensation de liberté assez folle que de parcourir ces contrées et d’y faire de belles rencontres, comme ce Mongol qui, nous voyant pédaler sous la neige, nous a spontanément pris en stop. Ou cette famille suisse qui voyageait depuis huit ans à vélo et avec qui nous avons parcouru les routes durant une semaine. Les paysages étaient assez inouïs, que ce soit le désert de Gobi, les steppes, les montagnes enneigées…

Et l’on pouvait passer rapidement d’un type de paysage à l’autre.

Alexis : En Sibérie, le lac Baïkal et ses alentours resteront aussi mémorables, avec des paysages d’une beauté à couper le souffle, mais aussi des conditions physiques plus compliquées, avec de gros reliefs à franchir. Nous y avons souvent reçu des encouragements de la population locale sous forme de sourires, d’applaudissements, de pouces en l’air ou de coups de klaxon. Toutes ces manifestations fugaces de sympathie nous boostaient face aux difficultés du terrain. Et si en France l’image que nous avons des Russes est assez rugueuse, la réalité sur le terrain est toute autre. 

Émilie : Cela nous a encore plus confortés dans l’idée de voyager à vélo. Avec un autre moyen de locomotion, nous serions restés des touristes comme les autres aux yeux des autochtones. Franchir tous ces sommets et affronter le froid et le vent glacé en Mongolie ou au nord de la Chine fut difficile, surtout pour moi qui suis très frileuse. Mais les récompenses furent nombreuses et à la hauteur de nos efforts.

Velo lunette Onebikefortwo

Que tirez-vous de cette expérience ?

Alexis : Nous avons appris à gérer les problèmes avec calme et patience, en positivant. Pour certaines personnes un petit problème peut vite devenir une grande montagne. Pour nous c’est plutôt l’inverse. Ce n’est pas parce que la montagne est grande que ça va être si compliqué que ça. Il existe toujours une solution quand on galère.

Nous avons également appris à faire fi des conditions météo, bien que nous nous souviendrons longtemps de la pluie au Vietnam. Enfin nous nous sommes affranchis de carcans imposés par nos modes de vie.

Émilie : Nous avons beaucoup appris sur nous-mêmes, sur l’autre et sur les autres ! J’ai par exemple découvert qu’en plus de ma relative intolérance au froid, je peux devenir insupportable sous une chaleur extrême et me mettre facilement à râler (rires des deux).

Nous avons aussi pu nous rendre compte de la chance que l’on a en France de bénéficier de tant de choses allant du système de santé au droit de posséder un passeport qui nous ouvre toutes les frontières.

Alexis : Quand nous proposions à des personnes de leur rendre leur hospitalité si un jour elles souhaitaient se rendre en France, certaines nous répondaient "s’il t’est facile de te rendre dans mon pays, c’est est beaucoup plus compliqué pour moi, voire impossible, d’aller chez vous".

Quand comptez-vous être de retour en France ?

Alexis : Pour la mi-juin. Nous allons devoir prendre un avion jusqu’à Chypre ou la Turquie puis ferons le reste du trajet à vélo.

Et si vous deviez ne retenir qu’un ou deux mots pour évoquer votre aventure ?

Émilie : Défi et simplicité ! Ou recherche et découverte !

Alexis : À refaire !
 

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