Des militants politiques, sympathisants, familles de disparus et survivants de la répression militaire sanglante des manifestations de 2010 à Bangkok qui avait fait plus de 90 morts vont marquer mardi le 10e anniversaire des événements. Dans un contexte d’état d'urgence justifié par l’épidémie de coronavirus, ces commémorations devraient se faire essentiellement en privé et via les réseaux sociaux.
La répression de 2010 a été un tournant de l’histoire politique de la Thaïlande, opposant l'establishment royaliste et les militaires au mouvement des "chemises rouges" qui rassemblait pour l’essentiel des ruraux du nord et du nord-est ainsi qu’une partie de la classe moyenne et laborieuse de Bangkok, emmenés principalement par des lieutenants de l'ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra.
Les partisans de Thaksin et ses alliés ont battu le pavé de la mi-mars à la mi-mai 2010, à Bangkok et parfois aussi en province. Le mouvement venait principalement en réaction à la dissolution deux ans plus tôt par la Cour Constitutionnelle du parti au pouvoir allié à Thaksin qui avait remporté les élections de 2008 -les premières élections depuis le coup d'État de 2006 qui avait renversé le gouvernement de Thaksin. Le pouvoir en place à l’époque, inféodé à l’establishment anti-Thaksin, était sorti vainqueur de la fameuse dissolution et, deux ans après, les partisans de Thaksin demandaient la tenue d’élections pour rendre au peuple le droit de choisir son gouvernement.
Après une première tentative de répression par l’armée le 10 avril dans le quartier historique qui avait fait 25 morts, les manifestants s’étaient installés dans le quartier d’affaires et commerçant de Ratchaprasong, allant du nord au sud de l’avenue Petchaburi à Silom et d’est en ouest de Phahonyothin à Withayu. Mais le 19 mai, les Chemises rouges ont finalement été délogés par une opération militaire musclée à grand renfort de chars d’assaut et de tireurs d’élites. Au total sur les deux mois de manifestations, plus de 90 personnes ont été tuées, principalement des civils, et des centaines d’autres ont été blessées.
Chaque année, les survivants et leurs proches organisent des commémorations, mais l’anniversaire cette année devrait être discret en raison de l’état d’urgence déclaré depuis le 26 mars en réponse à l’épidémie de coronavirus.
"Nous ne pouvons pas organiser un rassemblement à grande échelle pour marquer l'anniversaire à cause du coronavirus ... mais les proches de ceux qui sont morts commémoreront l’événement à divers endroits", a déclaré Tida Tawornseth, ancienne présidente du Front uni pour la démocratie contre Dictature (UDD), principale organisation des chemises rouges.
Cette même clique derrière la répression 2010
Elle dit ne pas avoir grand espoir pas que justice soit rendue sous le gouvernement actuel dirigé par l'ancien chef de l'armée Prayuth Chan-O-Cha, qui a renversé en 2014 le gouvernement démocratiquement élu dirigé par la sœur de Thaksin, Yingluck Shinawatra.
Le parti pro-armée de Prayuth a remporté l'année dernière des élections controversées considérées comme biaisées par des décisions de justice et des règles électorales taillées sur mesure. Prayuth et les tribunaux ont démenti les accusations de manipulation des résultats des élections.
Il important de noter que trois des figures principales du pouvoir depuis 2014, à savoir le Premier ministre Prayuth Chan-O-Cha, le ministre de la Défense, Anupong Paojinda, et le vice Premier ministre Prawit Wongsuwon, faisaient partie des acteurs principaux de la répression de 2010.
"Beaucoup des personnes au pouvoir aujourd'hui sont des personnalités qui étaient impliquées dans le conflit il y a 10 ans. Eux et les groupes conservateurs s’accrochent au pouvoir", a déclaré Tida.
Cette année, la commémoration de la répression de 2010 a été relayée par le Mouvement Progressiste qui a organisé une sorte de manifestation lumineuse projetée la semaine dernière sur des murs de la ville appelant à des enquêtes sur les décès survenus il y a dix ans.
Prayuth a refusé de commenter lorsque les journalistes lui ont posé des questions sur l’affichage lumineux, affirmant que le pays devait s'unir pour lutter contre le coronavirus.
"La reprise pour notre pays après cette période nécessite la coopération de toutes les parties", a déclaré Prayuth aux journalistes. "Ne passez pas à autre chose pour créer de la confusion et du désordre."