Un certain nombre de statues à l’effigie de personnages de la révolution de 1932 ayant mis fin à la monarchie absolue en Thaïlande ont disparu ces derniers temps de l’espace public thaïlandais.
Autrefois honorés officiellement comme des héros nationaux et des symboles de la démocratie, il semblerait qu’ils ne soient pas perçus tout à fait de la même manière par les dirigeants d’aujourd’hui.
L’agence Reuters a identifié au moins six sites rendant hommage au "Parti du Peuple" qui avait mené la révolution, qui ont été retirés ou renommés au cours de l’année passée.
Dans la plupart des cas, on ne sait pas qui a enlevé les statues. Pour l’une d’entre elle, un responsable militaire a déclaré qu’elle avait été retirée en raison d’un réaménagement de l’espace.
Deux camps militaires portant le nom de dirigeants de 1932 ont été rebaptisés sur ordre du bureau du Premier ministre Prayuth Chan-O-Cha, selon un article publié sans commentaire dans la Gazette royale, le journal officiel thaïlandais.
Les responsables au sein de l'armée, du gouvernement et du palais ont refusé de répondre aux questions de Reuters concernant le retrait des statues et le changement de nom des camps militaires.
Certains historiens disent que ce retrait des marqueurs historiques pro-démocratiques relève d’une guerre idéologique autour de l'histoire de la Thaïlande.
D'un côté, les conservateurs militaro-royalistes dont les partisans idéalisent la culture traditionnelle, dans laquelle la loyauté envers la monarchie et le roi Maha Vajiralongkorn est considérée comme la plus haute vertu.
De l'autre, des partis populistes, des militants et des universitaires qui ont gagné en importance au cours des deux dernières décennies, amenant les militaires à mener deux coups d'État contre des gouvernements élus en 2006 et 2014.
Ces dernières années, les conservateurs, bien qu’en nombre inférieur devant les urnes, ont pris le dessus. Les élections de l'année dernière leur ont permis de maintenir le meneur du coup d'État, Prayuth Chan-O-Cha, au pouvoir à la faveur d’une organisation du scrutin jugée biaisée par l’opposition et de la dissolution d’un parti d’opposition - accusation que rejettent Prayuth et la justice thaïlandaise.
Depuis l'élection et le couronnement l'année dernière du roi Vajiralongkorn, un monument clé en hommage au Parti du peuple à Bangkok et au moins trois statues importantes des leaders de la révolution de 1932 ont été retirés, et un musée commémorant la révolution dans la ville de Chiang Rai a été renommé.
En 2017, quelques mois après que le roi Vajiralongkorn a hérité du trône et alors que le pays était encore sous régime militaire, une plaque marquant l'endroit où le coup d'État de 1932 a été proclamé a été remplacée par une autre portant un slogan royaliste. Aucune explication officielle pour ce changement n'a été fournie.
En janvier, une statue du révolutionnaire de 1932 Plaek Phibunsongkram a disparu de la façade du siège de l'Institut des études de la défense nationale. Un représentant de l’institut a déclaré sous couvert de l'anonymat qu’elle avait été déplacée pour permettre des travaux d'aménagement extérieur mais il ne pouvait pas dire quand, ni si, la statue retrouverait sa place initiale.
Constitution du peuple
La Thaïlande est officiellement une monarchie constitutionnelle depuis 1932, et dans sa culture traditionnelle perçoit profondément la monarchie comme une institution unificatrice - et semi-divine pour certains.
Le roi reste donc puissant et feu le roi Bhumibol Adulyadej, le père du monarque actuel, a fait l’objet d’une grande vénération pendant ses 70 ans de règne jusqu'à sa mort en 2016.
Selon la tradition, tous les Thaïlandais doivent se prosterner devant le roi et sa famille immédiate, et insulter la monarchie est passible d'une peine pouvant aller jusqu'à 15 ans de prison.
Ces dernières années, les chefs militaires successifs, dont Prayuth Chan-O-Cha, n’ont pas hésité à dénoncer ceux qui remettaient en question leur légitimité comme des menaces potentielles pour la monarchie.
Mais depuis l'élection de 2019, les manifestations contre la domination militaire se sont de plus en plus identifiées à la révolution de 1932, estime Chatri Prakitnonthakan, historien de l'architecture à l'Université de Silpakorn.
Ce mercredi 24 juin marquait le 88e anniversaire de la révolution de 1932, et les militants pro-démocratie ont défié les interdictions de rassemblement justifiées par les mesures sanitaires anti-Covid-19 pour protester contre ce qu'ils disent être une subversion des principes de la démocratie par les militaires.
Le même jour, l'armée thaïlandaise a organisé une cérémonie pro-royaliste en hommage aux dirigeants de la tentative manquée de contre-révolution en 1933 connue sous le nom de Rébellion de Boworadet lors d'une cérémonie à l'intérieur du quartier général de l'armée à Bangkok.