Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 0
  • 0

Du tweet à la rue: la nouvelle génération thaïlandaise à la manif !

Manif-jeune-thailandeManif-jeune-thailande
Reuters
Écrit par Lepetitjournal.com Bangkok avec Reuters
Publié le 18 décembre 2019, mis à jour le 18 décembre 2019

Piqués au vif par leurs aînés qui leur reprochaient de se cantonner à un militantisme virtuel, les jeunes du parti anti-establishment thaïlandais Anakot Mai ont montré qu’ils peuvent battre le pavé

Ce n'est pas seulement la procédure engagée par la Commission électorale visant à faire dissoudre le plus vibrant des partis d'opposition qui a poussé Gift à descendre dans la rue pour la première fois. La jeune architecte paysagiste de 25 ans a également été piquée au vif par les sarcasmes selon lesquels sa génération ne serait pas assez courageuse pour aller au-delà des réseaux sociaux pour exprimer son désaccord vis-à-vis de l’emprise sur le pouvoir par l’establishment depuis les élections de mars qui étaient censées mettre un terme au régime de la junte.

Elle et d'autres manifestants en herbe se sont joints aux vétérans qui ont connu les turbulences politiques ayant agité les rues de Bangkok durant plus d'une décennie, lorsque des milliers de personnes se sont rassemblées le week-end dernier dans le plus important mouvement de protestation depuis le coup d'État de 2014.

"Ils disent que la nouvelle génération n'existe que sur les réseaux sociaux, nous sommes ici pour montrer que nous avons aussi une voix", affirme Chattip Aphibanpoonpon.

"Avant, le conflit opposait des personnes des deux côtés. Maintenant, c'est un duel entre l'armée et le peuple. Ce n'est pas juste."

Dans un pays tourmenté par des manifestations sanglantes - et rythmé par des coups d'État justifiés pour y mettre fin - le rassemblement pacifique de samedi dernier était là pour rappeler que les tensions se réactivent rapidement entre l'establishment conservateur et ceux qui cherchent le changement.

Au premier plan se trouve le milliardaire Thanathorn Juangroongruangkit, âgé de 41 ans, qui a récemment été révoqué du Parlement et dont le parti Anakot Mai (Nouvel Avenir) est désormais menacé de dissolution par la Cour Constitutionnelle, bête noire des partis anti-establishment.

Dans les deux cas, les partisans d’Anakot Mai estiment que le fondement juridique est fallacieux et vise tout simplement à éliminer une menace importante pour le Premier ministre Prayuth Chan-Ocha, l'ancien chef de la junte qui s’est maintenu au pouvoir après les élections de mars, considérées par l’opposition comme pipées.

"Ce n’est que le début"

"Ce n'est que le début", a déclaré samedi Thanathorn aux manifestants qui s'étaient déployés dans les allées et les escaliers entre le centre commercial MBK et le centre culturel et d’art de Bangkok BACC.

L’appel à la manifestation avait été lancé la veille par Thanathorn sous la forme d'une "flash mob" via un Facebook Live et un seul tweet qui a reçu près de 67.000 retweets et 41.000 likes.

C'est précisément la puissance d’Anakot Mai sur les réseaux sociaux - ainsi que les promesses de modifier la Constitution rédigée par l'armée et de mettre fin au service militaire - qui inquiète l'armée.

Le chef de l'armée, Apirat Kongsompong, a déclaré que la Thaïlande faisait face à une situation de "guerre hybride" contre un mouvement qu'il accuse de chercher à utiliser les réseaux sociaux pour rallier les gens contre l'armée et le palais.

"Les jeunes sont enthousiastes et déterminés et pleins d'énergie, mais ils ne voient pas les ruses des politiciens", estime Warong Dechgitvigrom, un politicien de droite qui voit Anakot Mai comme une menace existentielle pour la Thaïlande et sa monarchie.

La porte-parole du gouvernement, Narumon Pinyosinwat, a déclaré que le parti ferait mieux d'exprimer ses opinions au Parlement plutôt que dans la rue, mais elle ne pense pas que la situation puisse s’intensifier.

Le nombre de manifestants reflète un engagement politique croissant chez les jeunes, mais cela ne va pas forcément s’emballer, estime également Titipol Phakdeewanich, doyen de la faculté de science politique de l'Université d’Ubon Ratchathani.

"Je ne vois pas cela devenir un mouvement déterminant comme par le passé ou à l'échelle de celui de Hong Kong", dit-il.

manifestant-thailande-anakot-mai
Pisit Iewlatanawadee, jeune chef d'entreprise de 29 ans tient une pancarte disant "Je viens des réseaux sociaux" lors de la manifestation du 14 décembre (Photo REUTERS/Matthew Tostevin)

La couverture très large de la manifestation sur les réseaux sociaux montre à quel point l'opposition surpasse le gouvernement sur ce front.

Thanathorn compte 1,1 million d'abonnés Facebook et 670.000 sur son compte Twitter @Thanathorn_FWP, contre 770.000 et 55.000 pour Prayuth pour @prayutofficial sur Twitter.

Ce poids des réseaux sociaux a permis à Anakot Mai d’arriver troisième lors des élections de mars, derrière le parti d'opposition traditionnel Pheu Thai et le parti pro-armée soutenant Prayuth, le Palang Pracharat.

La question se posait de savoir si l'activisme en ligne se traduirait par une volonté de descendre dans la rue. Et ce ne sont pas seulement les partis liés à l'establishment qui mettaient cela en doute.

Avant le rassemblement de samedi, Anurak Jeantawanich, un vétéran de l’activisme politique, avait mis les partisans d’Anakot Mai au défi de réellement se mobiliser, disant qu’ils ne savaient faire "qu'user des hashtags, mais avaient peur de descendre dans la rue". Si moins de 2.000 personnes se pointent "vous feriez tout aussi bien de laisser votre parti se faire dissoudre", avait-il dit.

Plusieurs milliers se sont finalement rassemblés, et peut-être même 10.000 voire plus si l’on en croit les organisateurs.

Pas juste bons à pianoter sur un clavier

"Je viens des réseaux sociaux", disait samedi une pancarte tenue par Pisit Iewlatanawadee, jeune chef d'entreprise de 29 ans originaire de Nakhon Pathom, près de Bangkok.

"Nous ne sommes pas seulement bons à pianoter sur un clavier", dit-il. "Nous voulons également participer au mouvement d'opposition à ce gouvernement autoritaire."

"Ils ne cessent de dire que nous ne sommes courageux que sur les plateformes en ligne, cela m'a encouragé à sortir," affirme également Rafah Supanphong, 25 ans.

Les jeunes manifestants se sont donc joints à plusieurs de leurs ainés "chemises rouges" qui remémoraient les nombreux affrontements, les sifflements de balles, les morts, durant des années de soutien populaire à l’ancien Premier ministre déchu Thaksin Shinawatra.

Lors de la manifestation du week-end dernier, des manifestants pro-Thaksin étaient assis à grignoter du riz gluant dans des récipients en osier tandis que des jeunes prenaient des selfies à proximité.

Un peu plus tôt, le parti Pheu Thai de Thaksin avait déclaré qu'il soutenait le rassemblement du "petit frère" Thanathorn.

Un petit groupe de policiers s’est présenté aux organisateurs du rassemblement compte tenu du fait que la manifestation était organisée sans préavis, mais ils n'ont pas essayé d'y mettre fin. Lundi, la police a fait savoir qu'elle enquêtait pour s’assurer qu’aucune loi n’avait été violée.

Anakot Mai a déclaré qu'il ne s'agissait pas d'un rassemblement politique et qu'il n'avait donc pas besoin de donner de préavis.

Le prochain rendez-vous de défiance au gouvernement est une «Course contre la dictature» que les militants organiseront le 12 janvier. La page Facebook de l'événement compte déjà plus de 62.000 likes – contre 28.000 lundi.

Comme beaucoup de ceux qui ont rejoint la manifestation de samedi, Chattip n'est pas de ces radicaux poussés par une vie difficile dans un pays où la ligne de fracture politique traditionnelle se situe entre les élites de Bangkok et les déshérités du nord et du nord-est.

Elle travaille dans une entreprise qui conçoit des jardins et paysages harmonieux. Son fil Instagram suit bons plans gourmands, amis souriants et aventures étrangères.

"La classe moyenne a tendance à ne pas vouloir participer parce que nous pouvons nous permettre de vivre normalement quel que soit le gouvernement. Mais ce n'est pas ainsi que cela devrait être", dit-elle.

"Nous voulons que la démocratie revienne ... Il est temps maintenant."

Flash infos