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Droite dure: le fossé politique se creuse en Thaïlande

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PANU WONGCHA-UM/Reuters - Sattra Toaon (g) et Songklod “Pukem” Chuenchoopol, fondateurs du groupe de droite "Gardiens de la Sagesse Thaïlandaise" durant une interview avec Reuters le 17 juillet 2019

Un nouveau terme prend du galon dans le vocabulaire politique de la Thaïlande: "Chung-Chart", qui se traduit approximativement par "qui hait la nation".

Ce terme est généralement utilisé parmi les partisans de la monarchie et de l'armée pour qualifier ceux qu’ils considèrent comme menace dans un pays où la polarisation entre l'establishment au pouvoir et les Thaïlandais en quête de changement s'est encore accentuée après la fin du régime de la junte au cours de cette année.

"Chung-Chart" est maintenant une expression courante pour les médias et les politiciens pro-gouvernementaux, ainsi que pour les nationalistes ultra-conservateurs, qui livrent une bataille contre l'opposition dont l’intensité ne fait que croitre sur les médias sociaux et devant les tribunaux, et qui reflète le fossé politique grandissant.

Même s'il fait écho à une montée générale du nationalisme, des États-Unis à la Chine en passant par l'Inde et l'Europe, le nationalisme dur thaïlandais est enraciné dans la royauté, les casernes et le camp "jaune" qui, depuis des décennies, vient en opposition aux partisans "rouges" du Premier ministre déchu, Thaksin Shinawatra.

Le terme "Chung-Chart" a été propagé pour la première fois par Warong Dechgitvigrom, haut responsable du Parti Démocrate, le plus vieux parti du royaume qui a connu une débâcle lors des élections de mars dernier.

"Je perçois cela comme un libéralisme qui détruit les traditions et la monarchie en prétendant être démocratique", a déclaré Warong Dechgitvigrom à Reuters. "Nous devons les combattre par l'idéologie. La Nouvelle Droite est une idéologie politique."

Les groupes et les individus qui disent agir au nom du palais et de l'armée prennent toujours soin de préciser qu’ils ne reçoivent aucun soutien direct de ces institutions. La porte-parole du gouvernement, Narumon Pinyosinwat, a refusé de commenter cette question se contentant de déclarer que la Thaïlande était un pays libre.

"L'armée n'est derrière aucun groupe", a affirmé le porte-parole du ministère de la Défense, Kongcheep Tantravanich. "L'armée ne soutient qui que ce soit engagé dans l'activisme en dehors du parlement".

Un officiel du palais a refusé de commenter.

Alignés

Il n’en reste pas moins que les véhéments messages des nationalistes sont très proches de ceux du Premier ministre et ancien chef de la junte, Prayuth Chan-O-Cha, et du chef de l'armée, Apirat Kongsompong, lequel a déclaré que la Thaïlande menait une "guerre hybride" contre les ennemis de la tradition.

Lors des élections de mars, tenues selon des règles largement perçues comme favorisant les partis de l’establishment, le nouveau parti Anakot Mai (Nouvel Avenir) du quadragénaire milliardaire Thanathorn Juangroongruangkit, a remporté un succès significatif, s’engageant à changer la Constitution rédigée par l’armée, à mettre fin au service militaire obligatoire et à réduire les colossaux budgets de l’armée.

"Nous avons perturbé leur équation, ce qui fait de nous une cible", estime la porte-parole d’Anakot Mai, Pannika Wanich, évoquant les personnalités de l’ex-junte et leurs partisans qui se sont maintenus au pouvoir.

"En plus de mettre en oeuvre les mécanismes légaux dont l'Etat dispose pour nous déstabiliser, ils essayent aussi de miner notre popularité et notre crédibilité sur les médias sociaux."

L’après élections a été marqué par des attaques au vitriol au Parlement et sur les réseaux sociaux.

"Les deux camps deviennent de plus en plus tranchés", a déclaré Kasit Piromya, autrefois considéré comme l’un des chefs de file des Chemises jaunes de l'establishment, mais qui a démissionné du Parti Démocrate après sa décision de soutenir Prayuth. "Je pense que les trains entrent en collision."

"Guerre psychologique"

Le recours aux réseaux sociaux ciblant les jeunes a largement contribué au parti Anakot Mai: le parti compte plus de 800.000 abonnés sur Facebook, contre moins de 142.000 pour le parti pro-militaire Palang Pracharat.

Si les messages postés par Anakot Mai sont centrés sur des questions de politique générale, les supporters se moquent souvent de Prayuth et d'autres dirigeants avec des mèmes les décrivant comme étant déconnectés de la réalité.

"Ils veulent détruire le système thaïlandais et le remplacer par le système marxiste-socialiste de la bande des "Chung-Chart"", a commenté "Top Secret Thai", une page Facebook comptant près de 500.000 abonnés, faisant référence aux progressistes.

Beaucoup au sein de la nouvelle droite accusent leurs opposants de vouloir mettre fin à la monarchie - une position qui serait illégale en Thaïlande et que les politiciens de l'opposition ont démentie à plusieurs reprises.

Pour les membres de la droite, les réseaux sociaux constituent également un filon de munitions dès lors qu’il s’agit de porter la bataille sur le terrain judiciaire.

Songklod "Pukem" Chuenchoopol, 54 ans, capitaine de l'armée à la retraite et fondateur des "Gardiens de la Sagesse Thaïlandaise", passe la majeure partie de ses journées à rechercher des preuves qui permettraient d’engager des poursuites en vertu de la loi sur les crimes informatiques, ou d'autres lois.

"C'est une guerre psychologique", déclare-il, décrivant une affaire récente qu'il a intentée contre plus de 100 personnes pour avoir partagé un post qu'il jugeait critique à l'égard de la Cour constitutionnelle.

Des membres du parti Palang Pracharat de Prayuth ont également déposé plainte, dans un système où la police enquête généralement sur toute affaire de ce type.

Thanathorn et les membres les plus proéminents du parti sont inquiétés dans au moins 22 affaires portées devant la justice par des particuliers. Et parmi les politiciens de l'opposition visés par ces affaires, certains ont engagé eux aussi des actions légales contre leurs adversaires.

Confrontation

Les dirigeants de droite affirment tous rejeter la violence, mais plusieurs personnalités de l'opposition et des militants les accusent de favoriser quoiqu’il en soit un climat de confrontation.

Le militant d'opposition Sirawith "Ja New" Seritiwat, 27 ans, a été attaqué juste devant son domicile en juin par des individus portant un casque de moto. Laissé à peine conscient sur le trottoir, il avait été transporté d’urgence aux soins intensifs.

L’attaque, qui figure parmi sept assauts du genre contre des militants depuis les élections du 24 mars, n’a pas été revendiquée.

Depuis décembre, au moins six activistes thaïlandais en exil qui vivaient au Laos voisin ont disparu. Tous les disparus s'étaient exprimés contre l'armée et la monarchie.

Le gouvernement thaïlandais dit ne pas avoir connaissance de la disparition de dissidents à l'étranger.

"Je pense que la haine s’est intensifiée et que l'élite attise encore plus de haine", a déclaré Sirawith à Reuters. "Ceux qui sont en désaccord deviennent ennemis de l'État et sont accusés de vouloir renverser la monarchie même si ce n’est pas ce qu’ils font".

De nombreux dirigeants de droite - et le chef de l'armée - affirment que des attaques comme celle contre Sirawith sont des "coups montés" destinés à profiter à l'opposition. Parmi les sympathisants nationalistes des médias sociaux, l’humeur s’endurcie: "Laissez-le saigner pendant quatre à cinq jours, juste pour le plaisir", a écrit un commentateur de Facebook à propos de l'attaque de Sirawith. Un autre a écrit: "Quel dommage, il aurait fallu [cogner] plus fort."

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