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Pourquoi la Thaïlande ne durcira pas le ton avec l’armée birmane

Min Aung Hlaing et Prayut Chan-O-Cha Min Aung Hlaing et Prayut Chan-O-Cha
REUTERS / Sakchai Lalit / Piscine - Le chef de l’armée birmane, Min Aung Hlaing (à gauche), serre la main du Premier ministre thaïlandais Prayuth Chan-O-Cha à la Maison du gouvernement à Bangkok le 30 août 2017
Écrit par Lepetitjournal.com Bangkok avec Reuters
Publié le 7 avril 2021, mis à jour le 12 avril 2021

La Thaïlande entretient une relation avec la Birmanie qui fait qu’un durcissement de ton avec le régime de Min Aung Hlaing est peu probable, selon des experts thaïlandais. 

La Thaïlande a légèrement durci son discours sur la Birmanie la semaine dernière, se disant "gravement préoccupée" par l'escalade de violence depuis le coup d'État du 1er février. Mais les liens militaires étroits entre les deux voisins et la crainte d'un afflux de réfugiés rendent l’adoption d’une ligne plus abrupte peu probable, estiment certains analystes.

Cela place certes la Thaïlande quelque peu en décalage avec certains des 10 pays membres de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) qui cherchent à accroître la pression sur la junte birmane, mais la posture du royaume pourrait également positionner ce dernier en potentiel médiateur.

"(La position de la Thaïlande) est difficile, mais je pense qu’il y a une opportunité parce que nous sommes devenus un partenaire important", a déclaré la semaine dernière à Reuters, Panitan Wattanayagorn, politologue à l’université Chulalongkorn de Bangkok.

"Je ne pense pas que l'escalade de la violence changera la décision du gouvernement thaïlandais d'accepter davantage de réfugiés (...) Je pense qu'ils préfèrent être amis avec la Birmanie", explique Lalita Hingkanonta, professeure d'histoire à l'Université Kasetsart de Bangkok.

Une frontière commune de 2.400 km

Il faut dire que la Thaïlande a des enjeux potentiellement plus importants dans cette relation avec la Birmanie que tout autre membre de l'ASEAN, étant donné qu’elle partage une frontière de 2.400 km.

Le risque frontalier a rapidement été mis en évidence, la semaine dernière, par une première vague de plusieurs milliers de réfugiés qui fuyaient les bombardements des rebelles karens par l’armée birmanes. Un exode qui intervient alors que les Thaïlandais étaient sur le point de rapatrier les derniers 100.000 réfugiés birmans issus de plusieurs décennies de troubles ayant précédé la constitution en 2012 du premier gouvernement élu après un demi-siècle de régime militaire.

La Thaïlande a nié avoir repoussé des réfugiés la semaine dernière, mais plusieurs se sont plaints d'avoir été bloqués par les gardes-frontières thaïlandais, et un responsable thaïlandais a déclaré lors d'une réunion locale que la politique officielle était bel et bien de les empêcher d'entrer.

Cette position géographique ainsi qu’une tradition de diplomatie prudente sont sans doute les principales raisons de l’attention particulière qui a été portée côté thaïlandais à bien peser les remarques émises sur le coup d'État en Birmanie - la position thaïlandaise a en effet été beaucoup moins dure que celle d’autres membres de l'ASEAN comme l'Indonésie, la Malaisie, les Philippines et Singapour même si la formulation s’est légèrement affermie lorsque le nombre de victimes civiles de la répression militaire birmane a dépassé les 500 morts.

Liens de fraternité militaire

Mais l'on ne saurait non plus ignorer la relation qui existe entre les armées thaïlandaise et birmane, une proximité mise en évidence lorsque le chef de la junte birmane, Min Aung Hlaing, a demandé au Premier ministre thaïlandais Prayuth Chan-O-Cha de "soutenir la démocratie", quelques jours après l'éviction du dirigeant élu Aung San Suu Kyi.

Prayuth, qui a répondu favorablement, a lui-même mené une junte militaire qui a pris le pouvoir lors du coup d'État de 2014 alors qu'il était chef de l'armée, avant de se faire reconduire au poste de Premier ministre en 2019 à l’issue d’élections controversées par l’opposition - au point qu’un mouvement de contestation s’est formé l’an dernier demandant sa démission et une réécriture de la Constitution.

La relation personnelle entre les deux putschistes a commencé au sein d'armées qui semblent avoir mis derrière elles la rivalité historique qui remonte à l’époque des invasions birmanes dans le Royaume de Siam.

En 2018, Min Aung Hlaing avait été fait Chevalier Grand-croix de l'Ordre de l'Éléphant blanc (7e et avant-dernier grade) "en l'honneur du soutien qu'il a montré envers l'armée thaïlandaise", avait alors rapporté le Bangkok Post.

"Pour eux, la fraternité militaire est très, très importante", souligne Lalita Hingkanonta.

Faire semblant

La Thaïlande va sans aucun doute être soumise à des pressions diplomatiques pour accepter des réfugiés ou adopter une position plus ferme vis-à-vis des putschistes, mais l’historienne estime que le gouvernement de Prayuth Chan-O-Cha est peu susceptible de se laisser influencer.

"Ils feront quelque chose pour répondre à la pression internationale, ils feront de petites choses, juste pour montrer que, hé, nous répondons très bien à vos inquiétudes. Mais c'est tout."

Les liens commerciaux entre les deux pays sont également solides.

Les investissements directs étrangers des entreprises thaïlandaises arrivent juste derrière ceux de la Chine et Singapour, avec plus de 11 milliards de dollars de projets approuvés depuis 1988.

Le commerce transfrontalier annuel s'élevait à plus de 9 milliards de dollars en 2019 et de nombreuses entreprises thaïlandaises dépendent des travailleurs migrants birmans - qui sont officiellement au nombre de 1,6 million.

Mais la Thaïlande compte encore plus pour la Birmanie que l’inverse, le royaume représentant près d'un quart des exportations birmanes en 2019, principalement du gaz naturel.

Il est toutefois peu probable que la Thaïlande utilise le levier économique en agitant le spectre des sanctions commerciales, estime Piti Srisangnam, du Centre d'études de l'ASEAN à l'Université de Chulalongkorn.

Selon lui, il est plus probable que la Thaïlande opte pour une diplomatie en coulisses et essaye d'encourager les généraux birmans à réduire la violence et à lancer des discussions avec les civils évincés aujourd’hui emprisonnés ou qualifiés de traîtres.

"Si vous avez un ami que vous connaissez depuis très longtemps, et qu'un jour il commet un meurtre, cela ne veut pas dire que vous ne serez pas ami avec lui, n’est-ce pas?", interroge Piti Srisangnam.

"Vous êtes toujours amis, mais le mieux à faire est de lui parler pour lui montrer que ce qu'il a fait est très mal", dit-il.

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