Face aux écarts abyssaux de mortalité du Covid-19 qu’il existe entre certaines régions du monde, notamment entre Europe et Asie, Lepetitjournal.com a demandé son avis au Docteur Gérard Lalande
Le nombre de personnes décédées avec le Covid-19 dans le monde a passé vendredi la barre des 3 millions, ce qui équivaut à 0,038% de la population. Cette maladie respiratoire provoquée par le coronavirus Sars-Cov-2 a suscité une réaction planétaire sans précédent, entraînant des pertes économiques colossales, ruinant les classes moyennes, petits entrepreneurs et travailleurs indépendants en tête, précarisant encore davantage les plus défavorisés, accroissant les écarts de richesse.
Un peu plus d’un an après que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a qualifié le Covid-19 de pandémie, les statistiques font ressortir des écarts extrêmement marqués entre différentes zones du monde, avec de fortes concentrations sur des régions spécifiques.
Le continent Américain et l’Europe qui représentent un peu plus de 20% de la population mondiale, ont par exemple déploré à eux seul un peu plus de 78% des morts Covid-19 dans le monde au 16 avril 2021, la moitié (38,5%) provenant de trois pays: les Etats-Unis, le Brésil et le Mexique.
Lorsque l’on regarde le classement du plus grand nombre de décès par million d’habitant, on trouve dans les 50 premiers seulement deux pays hors Amérique et Europe : le Liban (39e) et l’Afrique du Sud (47e).
Plus près de nous, il est frappant de constater que la France, qui a passé vendredi la barre des 100.000 morts, déplore près de 1.000 fois plus de décès que la Thaïlande, qui a une géographie et une population quasi identique – à ceci près que la Thaïlande a été le premier pays à déclarer des cas de Covid-19 en janvier 2020 et que ce pays d’Asie du Sud-est se trouvait géographiquement et économiquement beaucoup plus proche de l’épicentre de l’épidémie qu’était la Chine.
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a plébiscité la Thaïlande pour sa gestion de l’épidémie en 2020, semblant considérer que son bilan tenait avant tout à des facteurs organisationnels (mesures de confinement, fermeture des frontières, quarantaine obligatoire, etc.). Nous avons demandé en mars à un responsable de l’OMS si des études avaient été menées pour déterminer l’ensemble des facteurs pouvant expliquer le bilan thaïlandais et de tels écarts entre les pays, et la réponse a été négative. "L'OMS n'a pas mené d'étude systématique à ce sujet. Des travaux sont coordonnés entre certains pays (dont la Thaïlande) par l'OMS pour évaluer l'efficacité des mesures de santé publique et sociales. Les résultats ne sont pas encore disponibles", nous a-t-on répondu par courriel.
Nous avons donc demandé son avis au Docteur Gérard Lalande, médecin spécialisé en épidémiologie et maladies tropicales et résident dans la région depuis plus de 20 ans.
Le Dr Gérard Lalande a notamment travaillé comme épidémiologiste à l'institut Pasteur en Guyane où il a organisé et mené une campagne de vaccination à grande échelle contre la fièvre jaune dans des zones reculées. En Asie, il a travaillé dans les années 90 pour la société pharmaceutique Servier au développement de médicaments cardiovasculaires et anti-infectieux, avant de créer à la fin des années 2000 sa propre entreprise CEO Health. Il est également l’auteur d’un guide santé très utile sur les problématiques spécifiques à l’Asie.
LEPETTIJOURNAL.COM : D’une manière générale, comment expliquez-vous les écarts que l’on peut observer d’une région à l’autre du monde dans les chiffres du Covid-19 ?
DR GÉRARD LALANDE : On observe en effet que quasiment tous les pays occidentaux, Europe et Amérique du nord surtout, sont beaucoup plus impactés que le reste du monde – même si on trouve en dehors de cette zone, le Brésil, le Mexique et la Colombie qui affichent aussi des bilans particulièrement lourds.
Il y a certainement des facteurs d’écosystème non connus à ce jour qui permettent à une maladie virale contagieuse de s’implanter beaucoup plus facilement dans un endroit plutôt qu’un autre.
Je prendrais un exemple assez simple qui est celui de la fièvre jaune. Cette maladie transmise par des moustiques sévit sur de nombreuses contrées d’Amérique latine et d’Afrique. Mais, fait surprenant, la fièvre jaune ne s’est pas développée sur le continent asiatique malgré l’omniprésence du moustique responsable de la transmission de cette maladie en Asie.
Cela a donné lieu depuis de nombreuses années à un passeport vaccinal pour les personnes qui voyagent d’Amérique latine ou d’Afrique vers l’Asie et, malgré les innombrables voyages transcontinentaux qui ont eu lieu durant des décennies, la fièvre jaune n’est toujours pas présente en Asie à ce jour.
On peut aussi faire un parallèle avec le Sars en 2003 qui n’a été actif que quelques mois et est resté limité géographiquement, depuis la Chine vers essentiellement quelques pays asiatiques (Vietnam et Corée du Sud notamment). De même, le virus Ebola, malgré des épidémies annuelles d’intensité très diverse, est resté circonscrit à quelques pays de l’ouest et du centre de l’Afrique.
La plupart des scientifiques considèrent que les éléments d’écosystèmes sont difficiles à cerner, mais il est probable que ces derniers soient néanmoins privilégiés pour expliquer de tels écarts entre les différentes régions du monde. Ainsi, il est vraisemblable que les seuls gestes barrières exigés et les politiques de contrôle de l’expansion de l’épidémie, comme le confinement par exemple, ne sauraient expliquer de telles différences d’une région à l’autre.
En ce qui concerne la Thaïlande, à quels possibles facteurs d’écosystème pensez-vous ?
Je peux citer quelques raisons possibles, même si cela, je tiens à le préciser, reste de l’ordre de l’hypothèse.
Il existe ici des maladies virales endémiques comme celles de l’encéphalite japonaise ou de la dengue, (toute deux dues à des virus à ARN, à l’instar du virus du Sars-Cov-2), contre lesquelles les Thaïlandais sont nombreux à avoir été soit vaccinés soit exposés. Les habitants possèdent vraisemblablement un niveau d’immunité efficace contre ces maladies virales endémiques. Il est donc envisageable qu’une résistance naturelle à la contamination par le virus Sars-Cov-2 soit liée à une réaction d’immunité croisée avec ces virus endémiques évoqués plus haut.
Par contre, l’explication simpliste du climat n’est pas très crédible car le Brésil, la Colombie et le Mexique, qui sont comme la Thaïlande dans des zones tropicales, ont été très impactés par le virus. Si le climat joue un rôle éventuel, ce n’est certainement pas un facteur majeur avec cette épidémie. Des pays tempérés comme la Corée ont d’ailleurs enregistré très peu d’infections.
Concernant l’aspect culturel, qui est souvent cité, on pense évidemment à la différence de proximité physique au quotidien en Thaïlande, mais cela ne saurait être une explication hautement plausible, car lors des repas, souvent partagés à plusieurs et de façon particulièrement conviviale, l’hygiène par le partage des plats et la distanciation sociale sont loin d’être exemplaires.
D’une manière générale, si ce coronavirus ne s’est pas implanté de façon importante en Asie, cela relève sans doute de facteurs d’écosystème divers que l’on ne connaît pas encore et qu’il reste à déterminer.
N’est-on pas en droit d’attendre d’une organisation transnationale comme l’OMS qu’elle mène des études sur ces fameux facteurs d’écosystème ?
Bien sûr, cela fait tout à fait partie de leurs prérogatives puisque l’OMS, agence des Nations Unies, bénéficie d’une autorité pour collaborer avec les structures sanitaires de l’ensemble des pays du monde. Ainsi, par le recueil de toutes ces données disponibles, les experts de l’OMS peuvent apporter les recommandations les plus cohérentes sur le plan scientifique tout en prenant en compte les spécificités de chaque pays concerné par la pandémie.
Néanmoins, force est de constater, que l’axe quasi-exclusif de l’OMS est de promouvoir la vaccination massive comme principal et exclusif remède à cette pandémie. Il est effectivement regrettable que des mesures de prévention, peu coûteuses et faciles à mettre en place, ne fassent pas l’objet d’études rigoureuses afin de déterminer leur intérêt, en particulier pour les nombreux pays qui doivent attendre l’arrivée des vaccins.
A quels types de mesures pensez-vous ?
Nous n’avons pas, par exemple, observé de réelles mesures de prévention mises en place par l’OMS dans des pays où peu d’habitants auront accès aux vaccins, même si ces derniers ne coûtaient que quelques dollars, ce qui reste bien insuffisant pour les vaccins contre le Covid-19.
Il pourrait s’agir de mesures de prévention qui, certes, ne sont pas d’une efficacité totale, mais pourraient permettre de limiter la sévérité de maladie voire de ralentir la progression du virus.
Je pense notamment à l’aspect nutritionnel dans certains pays d’Afrique, où les gens deviennent malades le plus souvent parce qu’ils sont déjà affaiblis : il faut donc au minimum leur faciliter l’accès à l’eau potable et à des apports nutritionnels satisfaisants.
En Europe, durant la période hivernale, le manque d’ensoleillement conduit à un taux de vitamine D relativement faible, ce qui impacterait, selon un grand nombre d’études, de façon négative sur le système immunitaire. L’OMS présente sur son site plusieurs études ayant clairement montré un bénéfice des suppléments de vitamine D sur la réduction des infections respiratoires, notamment chez les enfants de moins de 16 ans. Il serait donc cohérent que ce type de recommandations soient mieux promu par l’OMS afin d’informer les médecins de vérifier le taux sanguin de vitamine D en hiver et de proposer une supplémentation appropriée de vitamine D auprès de leurs patients afin de renforcer leur immunité.
Il y a aussi la question de l’intérêt potentiel du zinc qui semble être impliqué dans le mécanisme de réplication du virus. De nombreuses études ont été réalisées sur le sujet mais, malheureusement, l’ensemble de ces travaux est encore jugé insuffisamment "probant" pour conduire à des recommandations.
Il est bien sûr compréhensible que ces grandes agences règlementaires comme la FDA et l’EMA ou l’OMS aient une attitude très prudente quant aux recommandations qu’elles formulent. Néanmoins, on observe un niveau d’exigence factuelle très élevée avec un rapport final d’évaluation exigé par ces organismes qui conclut systématiquement à la nécessité absolue de conduire de nouvelles études en double aveugle, contre placebo, et sur de larges cohortes. Ces études, dont les coûts atteignent des millions d'euros, ne peuvent en pratique être mises en place que par les grands laboratoires pharmaceutiques, et ce, quasi-exclusivement pour des médicaments dont la protection intellectuelle reste effective.
Plusieurs groupes internationaux de médecins regroupant Américains, Australiens, Africains, Latino-Américains et Européens, ont choisi de "repositionner" des médicaments, anciens, bien connus comme l’hydroxychloroquine ou l’Ivermectine. Malgré des dossiers pourtant conséquents (27 essais randomisés pour l’ivermectine), les autorités continuent d’imposer des exigences de preuve d’efficacité quasi-irréalisables par les coûts considérables que cela demanderait.
Pourtant, un certain nombre de pays utilisent des médicaments repositionnés ?
Effectivement, dans ce contexte pandémique, certains pays ont décidé de ne pas prendre en compte l’intégralité des recommandations des autorités sanitaires et ont ainsi approuvé l’utilisation de certains de ces médicaments sur le plan local.
Plusieurs pays, dont la Slovaquie en Europe, ont ainsi enregistré l’Ivermectine pour le traitement des formes modérées de Covid-19. L’ivermectine est un médicament très utilisé dans le monde depuis la fin des années soixante-dix. Sa sécurité d’emploi est parfaitement connue, ce qui est essentiel dans ce contexte de large utilisation.
L’ivermectine a une efficacité remarquable sur plusieurs maladies parasitaires et de nombreuses études récentes ont démontré un intérêt thérapeutique dans le Covid-19, avec un rapport bénéfice / risque vraisemblablement hautement significatif.
Un autre exemple est l’hydroxychloroquine dont l’efficacité contre le Covid-19 n’a pas été établie selon les critères de "gold standard" de l’industrie du médicament, c’est-à-dire à partir d’études randomisées (répartition aléatoire du placebo et du médicament actif), en double aveugle (ni le patient, ni le médecin ne savent à qui le placebo et le médicament actif est administré) et sur de larges populations de patients (plusieurs milliers). Néanmoins, des groupes de médecins considèrent que l’efficacité et la sécurité d’emploi de l’hydroxychloroquine dans le traitement précoce du Covid-19 ont été suffisamment validées au cours des premières flambées épidémiques de Covid-19.
A ce jour, les désaccords concernant l’utilisation de ces médicaments persistent entre certains groupes de praticiens. Les partisans du repositionnement de médicaments "anciens et à faible coût" invoquent également la nécessité de proposer des traitements ambulatoires et à faible coût pour les populations qui ne bénéficieront que très tardivement des campagnes de vaccination.
A quelques exceptions près, le modèle économique de l’industrie pharmaceutique internationale est le développement de nouvelles molécules issues de la recherche qui pourront faire l’objet d’une protection intellectuelle et ainsi être commercialisées de façon exclusive et à fort rendement. Le repositionnement d’anciens médicaments "tombés" dans le domaine public, n’est pas viable commercialement du fait de la concurrence des laboratoires de génériques. Ainsi, les études de grande envergure, demandées par les agences sanitaires, et qui seraient utiles pour conforter l’efficacité et la bonne tolérance de ces médicaments dans de nouvelles indications ne peuvent être financées faute de débouchés commerciaux.
La France affiche 1.000 fois plus de morts que la Thaïlande qui a pourtant une superficie et une population quasi-identique et était pourtant bien plus exposée dans les premiers moments de l’épidémie. Vous nous avez parlé des facteurs d’écosystèmes, que dire des protocoles de soins ?
La stratégie de prise en charge et le protocole thérapeutique lors de la première flambée épidémique du printemps 2020 ont été très différents entre les deux pays.
La Thaïlande a imposé une prise en charge précoce, en milieu hospitalier principalement, avec examen clinique par un médecin et prescription de tests si nécessaires (prise de sang pour évaluer le taux de globules blancs, et radio pulmonaire) ainsi qu’adaptation thérapeutique, au cas par cas, selon les symptômes et les antécédents médicaux.
Il s’agit donc d’une vraie prise en charge, individualisée et précoce, dès les tout premiers symptômes et même dans les cas de simple potentiel contact infectieux.
Des directives de protocole thérapeutique ont été communiquées à tous les médecins, mais la décision de traiter ou de ne pas traiter est restée à l’initiative du praticien en charge. Un point important et contrastant avec l’attitude française a été la possibilité de traiter les formes mineures (avec peu de symptômes) y compris sans facteur de risque, c'est-à-dire en l’absence de toute comorbidité.
Le protocole initial (mis à jour le 8 avril 2020) spécifiait une bithérapie systématique, c’est-à-dire l’utilisation de 2 médicaments associés d’emblée, en particulier des molécules "repositionnées" comme l’hydroxychloroquine, des antiviraux utilisés communément dans le VIH comme le Lopinavir et le Ritonavir, et un antibiotique l'Azithromycine.
Par ailleurs, si les hôpitaux gouvernementaux ont été impliqués dans un premier temps, le secteur privé a été sollicité très tôt, dès que les hôpitaux publics montraient une surchauffe de disponibilité de lits.
En France, entre février et mai 2020, les autorités sanitaires avaient choisi une stratégie bien différente. Sur le constat que plus de 80 % des sujets infectés ne nécessiterait aucun traitement spécifique du fait d’une résolution spontanée des symptômes et que par ailleurs, aucun médicament contre le virus Sars-Cov2 n’avait été formellement approuvé par les instances internationales, les recommandations se résumaient ainsi : rester à son domicile, ne pas consulter son médecin généraliste et ne pas se rendre à l’hôpital afin d’éviter tout risque de contamination de patients en salle d’attente, et enfin d’appeler le 15 – le Samu - si les symptômes devraient s’aggraver. L’unique recommandation thérapeutique était la prise de paracétamol en cas de fièvre.
Ainsi, cette approche a entraîné un véritable confinement professionnel pour les quelque 85.000 médecins généralistes français, qui d’ordinaire sont les premiers au front de toute épidémie de grippe saisonnière. Ensuite, les Samu ont donc été contraints de prendre en charge des plaintes de médecine générale (toux persistante, grande fatigue, pesanteur dans le thorax, etc.), des symptômes débutants mineurs qui ne requièrent pas, par définition, leur expertise.
De cette manière, les Samu ont pris en charge uniquement des patients déjà sévères, nécessitant sans tarder une hospitalisation voire un transfert immédiat en soins intensifs. Enfin, le secteur privé en général, avec les cliniques et hôpitaux privés, n’a quasiment pas été sollicité, contrairement à la Thaïlande, qui a demandé rapidement aux nombreux hôpitaux privés, souvent très bien équipés, de se préparer afin de contribuer également à la prise en charge de l’afflux de patients Covid-19.
La stratégie thérapeutique des deux pays lors de la première flambée épidémique du printemps 2020 a donc été très différente. La Thaïlande a privilégié une prise en charge personnalisée et précoce, avec possibilité de traitement médicamenteux laissé à l’initiative du médecin ainsi que l’implication de toutes les structures hospitalières disponibles.
La France a mis en place une approche centralisée, principalement hospitalière publique, sans solution médicamenteuse des formes précoces et modérées ainsi que sans intervention du secteur privé.
La France a cependant vers le dernier trimestre de 2020 modifié cette stratégie en impliquant la médecine générale.
En Thaïlande enfin, si la prise en charge précoce en milieu hospitalier a été maintenue au cours des autres poussées épidémiques, le protocole thérapeutique a été sensiblement modifié selon "l’analyse des nouveaux éléments scientifiques concernant le traitement Covid-19". Ainsi, le 18 octobre, l’azithromycine n’était plus recommandée et le 28 janvier 2021, l’hydroxychloroquine ne faisait également plus partie de la stratégie thérapeutique. Le Favipiravir, un antiviral utilisé oralement, est devenu le médicament de première intention de toutes les formes cliniques de la maladie.
Comme évoqué plus haut avec les multiples éléments liés à l’écosystème, il n’est pas rigoureux d’établir des corrélations directes entre prise en charge et protocole thérapeutique concernant l’impact de l’épidémie sur le plan sanitaire de différents pays. Bien d’autres facteurs, notamment les politiques de confinement, de distanciation sociale, de contrôle des acteurs économiques et beaucoup d’autres encore ont de toute évidence pu contribuer aux résultats obtenus dans chaque pays.