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REPORTAGE - Quand la Thaïlande se cabre, des Occidentaux échouent sur le pavé

Écrit par Lepetitjournal Bangkok
Publié le 2 octobre 2013, mis à jour le 20 octobre 2013

Les Français ne figurent pas encore parmi les clochards occidentaux dont les images ont récemment choqué les Thaïlandais. Situations de détresse ou de pauvreté n'épargnent pourtant pas nos compatriotes mieux protégés du pire. S'ils sont plus nombreux, ces cas sensibles ne présagent pas d'une paupérisation en marche, car leur nombre ne progresse pas plus vite qu'une population de touristes et de résidents en plein essor.
Dans le même temps, la Thaïlande, elle, s'enrichit et les insouciants n'ont pas encore pris la juste mesure des mutations en cours dans un royaume de plus en plus exigeant. La destination tropicale très bon marché aux conditions de séjour fort accommodantes appartient au passé et les personnes dilettantes en quête de vie facile sont mises sur la touche. 

Les arnaques traditionnelles n'en continuent pas moins de ruiner les naïfs tandis que de nouveaux escrocs s'adaptent pour cibler tout spécialement les retraités trop confiants.
Gare aux rêves d'eldorado qui masquent trop souvent des mirages !

Un tapis jeté sur la plage avec un sac à dos en guise d'oreiller ou une cabine téléphonique comme chambre d'hôtel?; c'est aujourd'hui le mode de vie de quelque 200 Occidentaux selon la fondation Issarachon. Basée à Bangkok l'organisation spécialisée dans l'aide aux sans-abris précise qu'il s'agit essentiellement d'hommes alcooliques alors que 40 % des 30.000 S.D.F. thaïlandais souffrent plutôt de maladies mentales. "La situation est pire qu'il y a 10 ans," souligne le lieutenant-colonel Vasu Sangsuksai, vice-chef de la police touristique pour le centre de la Thaïlande. À Pattaya qui concentre le plus grand nombre de ces nouveaux clochards occidentaux, le chef de la police touristique s'inquiète déjà de l'impact négatif sur l'image du pays. Pour le lieutenant-colonel Aroon, "il est trop facile de séjourner au long cours dans le royaume. Le ministère des Affaires étrangères devrait mieux sélectionner les candidats au séjour en Thaïlande, qu'ils sollicitent des visas de touristes ou de retraite". Cette inquiétude a visiblement gagné le sommet de l'État puisque le ministère durcit pas à pas les conditions d'entrée dans le pays. Deux relevés bancaires consécutifs attestant d'un crédit minimum de 500 ? sur une période de deux mois sont désormais requis pour obtenir un simple visa de tourisme. Bien que ces changements d'attitude ne se traduisent pas encore par des amendements au règlement, certains fonctionnaires n'hésitent pas à user de leur pouvoir discrétionnaire. Un Français inscrit dans une école de langue s'est par exemple vu demander ce mois-ci au consulat de Singapour de justifier d'une somme de 3.500 dollars singapouriens (près de 90.000 bahts) thaïlandais pour renouveler son visa non immigrant d'étudiant (ED). Un de ses camarades de classe, passé au même moment par le consulat de Vientiane, n'a pour sa part rien eu à justifier. Par ailleurs, le gouvernement évoque avec de plus en plus d'insistance la mise en ?uvre d'une assurance-maladie obligatoire dont les modalités ne sont pas encore définitivement arrêtées.

Les Français sauvés du pire par la solidarité
Des ressortissants nord-américains, britanniques, scandinaves, autrichiens, hollandais, italiens ont reçu l'aide du Shelter Center ouvert depuis un an à Pattaya par Sunanta Kaewmuangphet. "Nous n'avons pas connaissance de S.D.F. français à Pattaya", indique pour sa part Daniel Sztanke, responsable du Club Ensemble qui invoque le filet de sécurité d'un système social plus efficace.

À Chiang Mai, l'association Lanna Care Net n'a pas non plus enregistré d'appels au secours émanant de Français. Occidentaux et Thaïlandais font vivre cette organisation caritative qui assiste les résidents de toutes nationalités lorsqu'un accident de santé vient bouleverser une retraite jusqu'alors paisible. "Les Français semblent prendre soin d'eux-mêmes," déclare une responsable. Selon cette Anglo-saxonne, nos compatriotes se contentent de solliciter des mises en relation avec des infirmières ou assistantes à domicile de confiance dont ils peuvent assumer les services.

Le pare-feu des minima sociaux est aussi évoqué par le consul honoraire de Phuket qui n'a pas encore connaissance de véritables S.D.F. français dans la presqu'île. Claude de Crissey pointe tout de même les cas limites d'au moins 4 ou 5 personnes ballotées d'un hébergement temporaire à l'autre tout en survivant grâce de "petits boulots". Selon lui ces situations sont la conséquence d'une "totale irresponsabilité".
Pour Michel Testard, conseiller de l'Assemblée des Français de l'Étranger pour l'Asie du Sud-est, l'absence de cas extrêmes est due à la qualité des réseaux consulaires et éducatifs français comme à la richesse du tissu associatif. Cependant ces atouts ne doivent pas inciter à relâcher vigilance et sens des responsabilités. Ce résident de longue date basé à Bangkok met fermement en garde : "à partir du moment où on s'expatrie il faut savoir qu'on s'éloigne du cocon de sécurité français". Il convient donc d'être plus responsable et de prendre quelques précautions élémentaires. "Ayez toujours la garantie d'un billet de retour et d'un hébergement. Assurez-vous d'une couverture santé et soyez conscients des coûts. Il ne faut pas se prendre pour un nabab en choisissant par exemple de se faire soigner dans des hôpitaux pour princes arabes. Choisissez des hôpitaux dans la mesure de vos moyens".

L'Association Française de la Bienfaisance en Thaïlande vient en aide aux personnes de nationalité française en grande difficultés et sans ressources. Son action consiste principalement en l'octroi de prêts d'argent et à des règlements de frais hospitaliers et parfois aux frais de rapatriement en cas d'absence de solution viable en Thaïlande.

Des situations de détresse et de grande pauvreté
Moins visibles que les clochards tropicaux sur lesquels la presse internationale a récemment braqué ses projecteurs, de plus en plus de situations de détresse et de grande pauvreté sont toutefois portées à la connaissance de l'Association Française de Bienfaisance en Thaïlande (AFBT). En liaison avec le Comité consulaire de protection et d'aide sociale (CCPAS), l'AFBT apporte aide matérielle et morale aux plus démunis ainsi qu'aux détenus?; qu'il s'agisse de Français de passage ou de résidents. Avec une capacité financière variant entre 15.000 et 45.000 ? par an, l'action de l'AFBT est forcément limitée. Elle traite chaque année une quarantaine de dossiers en accordant des prêts, mobilisant des réseaux de solidarité, réglant des frais hospitaliers ou participant aux frais de rapatriement.

Le retour au bercail constitue souvent la seule solution pour les victimes de vols et d'escroquerie ou les personnes psychologiquement fragiles. C'est aussi la seule issue pour ceux qui échouent dans les centres de détention des services de l'immigration thaïlandais. Souvent arrivés en touristes, ils sont restés jusqu'à l'épuisement de leurs ressources en outrepassant la durée de validité de leur visa.
Selon le trésorier de l'association, les mésaventures d'hommes ruinés après avoir placé leurs économies dans des entreprises ou propriétés enregistrées au nom de trop séduisantes Thaïlandaises sans scrupules ne relèvent pas du cliché éculé. Les arnaques aux sentiments sur fond de libido débridée se portent toujours bien.

Quelle que soit l'origine de leurs difficultés, certains occultent pourtant vite l'émoi de leurs appels au secours et oublient de rembourser les prêts lorsqu'ils sont sortis d'affaire. Ce n'est pas le cas de Madame D. pour qui le rapatriement ne pouvait être envisagé. Arrivée en Thaïlande au début des années 70 au fil d'une histoire familiale complexe, elle n'a plus de parents en France. En faisant des ménages ou en vendant des maquettes de bateaux en bouteille à la sortie des églises de Bangkok, cette sexagénaire met un point d'honneur à rembourser le prêt de 10.000 bahts (235 ?) accordé par l'AFBT. Ce coup de pouce a permis de doter son modeste logement de location de l'eau courante et de l'électricité.

Enfin, il convient de souligner la situation critique de certaines Thaïlandaises veuves de Français qui bataillent pour obtenir le versement de pensions de réversion. Ignorantes des arcanes bureaucratiques hexagonales, mais solidement pétries de culture thaïlandaise, elles perçoivent souvent les consuls comme de paternalistes chefs de village gaulois. Ceux-ci n'ont cependant pas la capacité, ni vocation à les assister pour des dossiers qui relèvent de la sphère privée.

Le nombre de résidents inscrits au registre des Français établis hors de France progresse de 10 % par an pour avoisiner aujourd'hui 11.000 personnes. Quant aux touristes, ils étaient 600.000 en 2012 et leur nombre atteint 650.000 cette année (Photo LPJ Bangkok.com)

Plus de S.O.S. émanent d'une population plus nombreuse
Dans l'ensemble, recul de l'Euro et apathie économique occidentale n'affectent pas significativement les Français installés depuis longtemps dans le royaume. "Ils avaient pris leurs précautions et seraient aussi touchés s'ils étaient restés en France?, indique Michel Testard.
Dans une certaine mesure, la Thaïlande joue même le rôle d'un amortisseur de crise tant le royaume offre la possibilité de consommer à tous les prix.

L'augmentation des demandes d'aide adressées tant à La Bienfaisance qu'aux services consulaires n'annonce pas une paupérisation des Français résidents ou touristes. Elle est strictement liée à l'accroissement de la population souligne Pierre Blondel, consul et chef de chancellerie à Bangkok. Le nombre de résidents inscrits au registre des Français établis hors de France progresse de 10 % par an pour avoisiner aujourd'hui 11.000 personnes. Quant aux touristes, ils étaient 600.000 en 2012 et leur nombre atteint 650.000 cette année. Là encore s'applique la mécanique du nombre, car c'est bien de cette dernière catégorie qu'émanent le plus grand nombre d'appels au secours ? le plus souvent à la suite d'accidents.

Le pays du sourire passe la vitesse supérieure
Si la Thaïlande séduit de plus en plus, c'est que l'attractivité des destinations ensoleillées plus proches de l'hexagone, comme les pays d'Afrique du Nord longtemps privilégiés par les Français, pâtit aujourd'hui des bouleversements politiques. Parallèlement le coût des vols long-courriers a baissé rendant accessibles les rêves de voyages plus lointains. Et les offres de séjours "tout compris" rivalisent pour séduire les budgets modestes ? au demeurant souvent tellement serrés qu'ils ne permettent plus de faire face au moindre imprévu.

Dans le même temps, la Thaïlande a connu un spectaculaire développement économique. La Banque Mondiale la range aujourd'hui dans la catégorie supérieure des pays à moyens revenus. Elle veut donc maintenant se protéger en imposant des conditions de séjour de plus en plus sévères sur son territoire. Cette sévérité nouvelle vise au premier chef les voisins asiatiques moins favorisés, mais n'épargne pas certains Occidentaux. Parallèlement le coût de la vie augmente et les sympathiques routards hippies des années 70 n'y trouveraient décidément plus leur compte ! Ainsi au moment où un plus grand nombre de Français modestes croient pouvoir accéder au rêve tropical celui-ci se dérobe, car le royaume enrichi et sûr de ses atouts devient plus sourcilleux. Sa montée en gamme contribue à révéler nombre de situations précaires qui sont aussi mieux connues grâce à une meilleure circulation de l'information.

"On n'a pas besoin de nous," martèle Michel Testard. La Thaïlande est souvent un mirage, n'en déplaise aux reportages chics et chocs qui la montrent en eldorado pour faire rêver les téléspectateurs français englués dans la grisaille de la crise. Guillaume et Christelle racontent leur chemin de croix d'auto entrepreneur à Chiang Mai par l'intermédiaire d'un blog très didactique. "Nous avons rarement réussi à dégager un salaire et avons souvent été obligés de puiser dans nos économies". Cette expérience difficile est nuancée par d'autres témoignages qui soulignent la nécessité de bien maîtriser son métier et de ne pas compter les heures pour parvenir à gagner sa vie. Quant aux cadres étrangers dont le statut a été longtemps privilégié, ils voient aujourd'hui leurs salaires s'aligner sur ceux de leurs homologues locaux.

Les escrocs se mettent à la page
Il y a pire. Certains de nos compatriotes sont voués à la banqueroute avant même d'atteindre le pays du sourire. Les retraités sont tout particulièrement visés par des agences qui font du racolage notamment sur le réseau internet. De mieux en mieux organisés, certains escrocs promettent une prise charge totale. Ils procureront à chacun une compagne de rêve, un logement confortable, des prêts adéquats, et toutes sortes de services à la personne. Pour ne pas laisser échapper de telles aubaines, il convient bien sûr de verser le plus vite possible des acomptes conséquents? Puis le rêve fait long feu, rien ne se concrétise ou les titres de propriété promis s'avèrent factices. Ces réseaux sont particulièrement actifs dans la région de Pattaya et ciblent les ressortissants de toutes nationalités. Le phénomène a d'ailleurs pris une telle ampleur que les autorités sont alertées, mais les malices du réseau internet permettent aux aigrefins de jouer aisément les caméléons. À ce jour, la vigilance constitue donc la seule parade efficace.

Erik Dezeux (http://www.lepetitjournal.com/bangkok) jeudi 3 octobre 2013

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Publié le 2 octobre 2013, mis à jour le 20 octobre 2013

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