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Aunchalee, star thaïlandaise de la Drag Race marche pour la démocratie

Portrait Aunchalee Pokinwuttipob transgenrePortrait Aunchalee Pokinwuttipob transgenre
REUTERS / Chalinee Thirasupa - La drag queen transgenre Aunchalee Pokinwuttipob, mieux connue sous le nom de scène d’Angele Anang, 26 ans, manifestait au carrefour Ratchaprasong à Bangkok, le 25 octobre 2020

 Avec son maquillage et son costume impeccables mêlant ambiance cabaret, défilé de mode et fierté arc-en-ciel, le tout dans des apparats de cour royale, Aunchalee Pokinwuttipob symbolise à quel point les manifestations en Thaïlande reflètent bien plus que de simples appels à un changement de gouvernement.

Drag queen transgenre, lauréate de l’émission de télé-réalité "Drag Race", Aunchalee, 26 ans, surfe sur la vague du mouvement jeune qui manifeste depuis plusieurs mois contre l'establishment militaro-royaliste, avec l'espoir de faire avancer la cause du mariage homosexuel et plus largement les droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT).

Parmi les griefs qui alimentent les appels du mouvement contestataire à davantage de démocratie figurent les nombreuses injustices ressenties dans un pays connu pour être l’un des champions du monde des inégalités.

Et la communauté LGBT en Thaïlande reproche au gouvernement son incapacité à changer les lois et les politiques qu’elle considère discriminatoires à l’encontre de ses membres.

"Nous voulons vraiment les droits de l'homme. Nous les voulions depuis longtemps. Cela relève de la liberté d'expression et de l'égalité", explique Aunchalee, mieux connue sous le nom de scène d’Angele Anang.

Manifestation anti-gouvernement a Bangkok
Aunchalee Pokinwuttipob entourée d’amies transgenres lors d’une manifestation à Bangkok, le 25 octobre 2020. Photo REUTERS / Chalinee Thirasupa

"C'est un phénomène nouveau en Thaïlande, car ils n'ont pas eu ce genre d'opportunité de s'exprimer par le passé". 

Les costumes d'Aunchalee contrastent pour le moins avec la foule de manifestants étudiants vêtus pour la plupart de t-shirts noirs: tantôt une robe bariolée avec une "chada", couronne de danse traditionnelle thaïe, tantôt une robe en soie blanche moulante coupée en rubans avec un parapluie arc-en-ciel ou encore un débardeur échancré avec perruque blanche crépue et casquette en cuir.

Les manifestations étudiantes, débutées en février mais interrompues par la crise du Covid-19, ont repris en juillet. 

Manifestation anti-gouvernement a Bangkok
Aunchalee Pokinwuttipob, alias Angele Anang, chez son père à Ayutthaya devant une couverture du journal Life parlant de sa victoire dans l'émission Drag Race. Photo REUTERS / Chalinee Thirasupa

Elles visaient initialement le Premier ministre et ancien chef de la junte Prayuth Chan-O-Cha, que les jeunes accusent de s'accrocher au pouvoir et de harceler les opposants. Mais en août, les manifestants ont inclus à leurs demandes des appels à des réformes visant à limiter les pouvoirs d'une monarchie à laquelle ils reprochent d’avoir permis des décennies de domination militaire au détriment de la démocratie et de l’égalité. 

Du côté des fidèles à la royauté, certains avaient alors affirmé que le mouvement s’essoufflerait rapidement par manque de soutien du fait que la monarchie avait été mise en cause, chose en effet tout à fait inédite dans un pays qui punit sévèrement toute critique du roi et sa famille - la loi de lèse-majesté prévoyant une peine de prison pouvant aller jusqu’à quinze ans par chef d’accusation. 

Drag Queen dans les manifestations anti-gouvernement a Bangkok
Aunchalee Pokinwuttipob se produit en sepctacle au bar le Stranger sur Silom 4, à Bangkok. Photo REUTERS / Chalinee Thirasupa

Mais au contraire, le mouvement parti des campus universitaires, des collèges et des écoles, n’a cessé de prendre de l’ampleur, rejoint par d’anciens militants anti-establishment et par des Thaïlandais de conditions diverses qui se disent ulcérés de voir les élites conservatrices ramener le pays vers le temps de la monarchie absolue, accroissant des inégalités qui étouffent la population, au lieu de moderniser le royaume et libérer les énergies d’une jeunesse ultra connectée dotée d’une ouverture sur le monde et d’une liberté d’esprit inédits dans le royaume.

C'est une bataille qu'Aunchalee a menée chez elle à Ayutthaya près de Bangkok.

Manifestation anti-gouvernement a Bangkok
Aunchalee aux côtés de son père, Jira Junnual, dans son atelier à Ayutthaya. Photo REUTERS / Chalinee Thirasupa

Née fils aîné d'un forgeron, si Aunchalee s'entend encore avec son père monarchiste elle le voit rarement car il lui est impossible d’avoir une conversation convenable avec lui sur la question des genres, de l'identité et sur son implication dans les manifestations.

De nombreux témoignages de jeunes thaïlandais impliqués dans le mouvement de contestation font état de profondes divisions et de disputes avec leurs parents sur le sujet de la monarchie et du gouvernement et, plus largement, de leurs aspirations de modernisation de la société thaïlandaise. Le journal Bangkok Post rapporte mardi qu'il y aurait un nombre croissant d'étudiants thaïlandais expulsés de chez eux par leurs parents en raison de leurs opinions politiques.

Manifestation anti-gouvernement a Bangkok
Aunchalee avec ses frères Pronpat et Rungroj dans l'atelier de leur père à Ayutthaya, le 15 septembre 2020. Photo REUTERS / Chalinee Thirasupa

"Cela crée des problèmes, à chaque fois que j'exprime mes opinions", déplore Aunchalee. "Aujourd'hui, la Thaïlande n’est plus ce qu'elle était (…) Je me sens mal parce qu'ils ont choisi de rompre les liens avec moi."

Aunchalee a abandonné l'école à 15 ans et s'est rendue à Bangkok pour jouer dans des spectacles de cabaret, se spécialisant sur un medley de Beyonce Knowles.

Manifestation anti-gouvernement a Bangkok
La drag queen transgenre Aunchalee Pokinwuttipob, alias Angele Anang, fait le salut à trois doigts lors d'une manifestation à Bangkok, le 19 septembre 2020. Photo REUTERS / Chalinee Thirasupa

Elle a commencé à se produire en 2018 dans des bars de Silom, près du quartier touristique nocturne de Patpong. Cela l’a amenée à être sélectionnée pour jouer dans l'émission de téléréalité "Drag Race". Elle s’est ainsi constitué un important réseau social qui s'est encore élargi depuis qu'elle a rejoint les manifestations.

Aunchalee soutient les appels à destituer le gouvernement qui, selon elle, est complètement déconnecté du peuple. Et elle parle aussi ouvertement de la nécessité de réformer la monarchie afin de mieux la préserver.

Manifestation anti-gouvernement a Bangkok
La drag queen transgenre Aunchalee Pokinwuttipob, alias Angele Anang, se tient au carrefour Ratchaprasong à Bangkok lors d'une manifestation, le 25 octobre 2020. Photo REUTERS / Chalinee Thirasupa

La contestation est également une occasion unique de pousser pour davantage de libéralisme et supprimer les obstacles contraignants pour les personnes LGBT sur des aspects tels que l'emploi, le mariage, l'héritage, l'adoption d'enfants et la propriété conjointe de biens.

"Je veux l'égalité et la justice", dit Aunchalee. "Une loi qui peut être appliquée de la même manière pour tous."

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