Malgré les canons à eau et un important dispositif de police, plusieurs milliers de manifestants thaïlandais ont marché dimanche vers le Grand Palais à Bangkok pour présenter au roi leurs demandes parmi lesquelles des reformes pour limiter les pouvoirs du monarque et la destitution du gouvernement.
"Quand le roi chérira vraiment la démocratie, tout le monde trouvera le bonheur", ont déclaré les manifestants dans une déclaration lue à quelques dizaines de mètres des murs du Grand palais, où ils ont été stoppés par des cordons de police.
"Quand vous entendez tous les éloges flatteurs du peuple, vous devez quand même aussi entendre les critiques et suggestions courageuses", dit la déclaration, signée "avec le pouvoir d'égale dignité humaine" par "les gens du peuple".
Le Palais Royal n'a pas commenté comme c’est le cas depuis le début des manifestations.
Le roi a cependant déclaré il y a une semaine qu’il aimait malgré tout les manifestants et que la Thaïlande était une terre de compromis, tandis qu'il saluait plusieurs milliers de sympathisants venus l’acclamer près de l'endroit même où les manifestants étaient rassemblés dimanche.
Selon les journalistes de Reuters les manifestants étaient plus de 10.000 à défiler depuis le monument de la démocratie jusque devant le Grand Palais – soit un peu plus d’un kilomètre. La police a estimé leur nombre à 7.000.
"Réforme ou révolution"
Pour la deuxième fois en plusieurs mois de manifestations, la police a utilisé les canons à eau dimanche, mais brièvement et apparemment sans avoir ajouté d'agent irritant comme lors de la manifestation du 16 octobre. Le porte-parole de la police Kissana Phathanacharoen a déclaré que les canons à eau n'avaient été tirés qu'à titre d'avertissement.
La police avait d'ailleurs averti au préalable les manifestants de ne pas approcher à moins de 150 mètres du palais leur suggérant d'envoyer plutôt des représentants pour parlementer.
L'unité d'urgence de la ville de Bangkok a fait état d’un policier et de quatre manifestants blessés au cours d’une courte confrontation aux abords du palais, où la police avait dressé une barricade avec des fourgons et des barbelés.
"Nous ne voulons plus que le monarque interfère dans la politique", a déclaré à Reuters Jutatip Sirikhan, l'une des figure de la contestation.
Un manifestant de 25 ans, qui s’est identifié sous le nom de Keng, a déclaré: "S'il vous plaît, roi, s'il vous plaît, écoutez les gens. Les gens sont mécontents parce que vous laissez les militaires prendre les pleins pouvoirs et avez approuvé leurs coups d'État. Nous voulons la réforme."
"Réforme ou révolution", disait une pancarte brandie dans la foule.
Les manifestants ont apporté des boîtes remplies de lettres adressées au roi et les ont laissées près du palais avec l'accord de la police.
Les manifestations, qui en juillet appelaient essentiellement à la démission du gouvernement et une nouvelle Constitution, ont inclus en août des demandes de réformes de la puissante monarchie, brisant ainsi un vieux tabou selon lequel toute critique de l'institution royale ne saurait être tolérée en public et est d’ailleurs punissable par la loi d’une peine pouvant aller jusqu’à 15 ans de prison par chef d’accusation.
Moderniser l'institution
Les manifestants affirment que la monarchie a contribué à permettre plusieurs décennies de domination militaire, l'un des derniers faits en date étant l’approbation royale au poste de premier ministre de Prayuth Chan-O-Cha, ancien chef de l’armée qui a pris le pouvoir par un coup d'État en 2014 et l'a conservé après s’être taillé une nouvelle Constitution sur mesure et avoir organisé les élections en sa faveur en 2019. Ce dernier estime que le scrutin s’est déroulé de façon équitable.
Les contestataires veulent que le statut du roi soit davantage encadré par la Constitution et annuler les pouvoirs qu’il s’est arrogés après son accession au trône.
Un peu plus tôt, plusieurs dizaines de royalistes ont tenu une contre-manifestation au Monument de la démocratie, vêtus de jaune, la couleur du roi, et agitant des drapeaux thaïlandais, tandis que les manifestants se préparaient à marcher vers le Grand Palais. Beaucoup brandissaient des photos du roi et de son défunt père, le roi Bhumibol Adulyadej.
"Je veux protéger la monarchie et le roi", a déclaré Chutima Liamthong, 58 ans. "La monarchie est l'identité de la Thaïlande. Nous ne pouvons pas tenir sans la monarchie", a-t-elle dit.
Les royalistes perçoivent les demandes de réformes du mouvement de contestation comme un moyen de se débarrasser de la monarchie, alors que les manifestants affirment vouloir avant tout moderniser l'institution royale.