La Thaïlande est sur le point d’ajouter la castration chimique à son arsenal de lutte contre les crimes sexuels. Néanmoins, certains considèrent que la solution passe par le changement des mentalités
Le Sénat thaïlandais a approuvé dans la nuit de lundi à mardi un projet de loi qui donnera la possibilité à certains délinquants sexuels de choisir la castration chimique en échange d'une réduction de leur peine.
Le projet de loi, adopté en février par la chambre basse, a été approuvé par 145 sénateurs, avec deux abstentions. Il ne lui manque plus pour entrer en vigueur que l'approbation royale et la publication à la Gazette Royale, le Journal Officiel thaïlandais.
En vertu du projet de loi, certains délinquants sexuels jugés à risque de récidive pourront se voir offrir le choix de subir un traitement hormonal par injection destiné à diminuer leur taux de testostérone, en échange d'une réduction de leur peine d'emprisonnement. Le traitement nécessite l'approbation de deux médecins, selon le ministre thaïlandais de la Justice, Somsak Thepsuthin.
Le projet de loi prévoit que ceux ayant opté pour le traitement hormonal soient surveillés pendant 10 ans et portent en permanence un bracelet de surveillance électronique.
Sur les quelques 16.413 personnes incacérées pour crimes sexuels qui on été libérées entre 2013 et 2020 des prisons thaïlandaises, 4.848 ont récidivé, selon les chiffres du département pénitentiaire.
Jusqu’ici, seuls quelques pays ont intégré la castration chimique dans leur arsenal juridique tels que la Pologne, la Corée du Sud, la Russie ou encore l'Estonie, ainsi qu’une dizaine d’États américains.
"La castration ne modifie pas l’état d’esprit"
"Je veux que cette loi soit adoptée rapidement", a déclaré mardi le ministre de la Justice. "Je ne veux plus voir dans les actualités de mauvaises choses qui arrivent aux femmes", a-t-il ajouté.
Mais pour Jaded Chouwilai, directeur de la Fondation du Mouvement Progressiste pour les Femmes et les Hommes, une organisation non gouvernementale qui traite, entre autres, des problèmes de violence sexuelle, l'utilisation de la castration chimique n’est pas une solution aux crimes sexuels car elle n’intervient pas sur les facteurs psychologiques et culturels qui amènent dans beaucoup de cas des hommes à commettre des actes de harcèlement, des viols et autres abus sexuels.
"La réhabilitation des délinquants nécessite de changer leur état d'esprit lorsqu’ils sont en prison", a déclaré Jaded Chouwilai.
Il souligne que, dans le cas du viol par exemple, entrent souvent en jeu des notions autres que physiologiques telles que le besoin de se trouver en position de domination, qui trouve ses racines dans le psychisme de la personne, l’éducation qu’elle a reçue et aussi son environnement culturel.
Culture du viol omniprésente
Les militants pour les droits des femmes en Thaïlande dénoncent régulièrement une tradition patriarcale rétrograde qui fait le lit de l'"objectification" des femmes et d’une culture du viol omniprésente dans les séries télévisées et la littérature classique thaïlandaise ainsi que la banalisation des violences conjugales.
En 2020, Le ministère thaïlandais de l’Éducation s’était trouvé sous le feu des critiques pour sa complaisance vis-à-vis de la culture du viol qui prospère dans les rangs des enseignants, certains d’entre eux passant à l’acte sur leurs propres élèves protégés par le silence voire la complicité de certains collègues.
En réaction à cette affaire, l’éditorialiste du Bangkok Post, Sanitsuda Ekachai, avait écrit dans un édito : “Le patriarcat, le sexisme et l'oppression sexuelle prospèrent pour contrôler les gens dans cette société autoritaire - en particulier envers les femmes. Les viols à l'école et d'autres formes de violence sexuelles ne sont que des manifestations de la culture autoritaire et militariste qui régit le système fermé de nos écoles”.
Lundi, le directeur adjoint du département thaïlandais de l’Enfance et la Jeunesse, Phisit Poonpipat, s’est rendu aux autorités après deux mois de cavale dans une affaire de trafic de mineurs autour d’un foyer de Surat Thani, rapporte le Bangkok Post. Il serait soupçonné d’être intervenu pour entraver l'enquête et d'avoir téléphoné aux enfants du foyer pour les persuadés de se laisser abuser.
"[La castration chimique] ne change rien à la façon de penser des délinquants, à leur rapport à l’autre. En revanche, plus ils se sentent punis, plus ils sont en colère", a déclaré Jaded Chouwilai à la BBC en langue thaïe.
Et d’ajouter : "Utiliser des châtiments comme l'exécution ou la castration chimique renforce l'idée que le délinquant ne peut plus être réhabilité."