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Les petits éleveurs thaïlandais écœurés par la crise de la peste porcine africaine

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REUTERS/Chalinee Thirasupa - Jamnian Iangjiam devant son élevage de porcs vide dans la province de Nakhon Pathom, le 17 janvier 2022.
Écrit par Lepetitjournal.com Bangkok avec Reuters
Publié le 31 janvier 2022, mis à jour le 31 janvier 2022

Des éleveurs thaïlandais de porc se demandent pourquoi les autorités ont dit pendant deux ans que la peste porcine africaine n’avait pas touché le pays quand les faits semblent montrer le contraire

L’exploitation de Jintana Jamjumrus, près de Bangkok, a commencé à décliner il y a deux ans, lorsque plusieurs dizaines de ses porcs ont succombé en quelques jours à une fièvre, une maladie mystérieuse qu'elle soupçonnait être une maladie virale sans vaccin connu, la peste porcine africaine (PPA).

Ce mois-ci, des responsables ont identifié le premier cas de PPA dans la province de Nakhon Pathom, où se trouve justement la ferme de Jintana, après avoir affirmé pendant des années que la maladie n'était pas présente en Thaïlande. L’annonce a déclenché une vraie tempête politique alors que les prix du porc ont atteint un niveau record et pourraient bien rester élevés pendant encore plusieurs mois.

"Ils ne pouvaient pas ne pas savoir. Les porcs mourraient dans tout le pays… Pourquoi avoir dissimulé [l’épidémie]", demande la fermière de 75 ans à propos des hécatombes des années précédentes. "Que peuvent-ils faire maintenant ? Il ne reste plus rien".

Une eleveuse de porc thailandaise dans sa pocherie vide
Jintana Jamjumrus est désespérée dans sa porcherie vide dans la province de Nakhon Pathom, le 17 janvier 2022. Photo REUTERS/Chalinee Thirasupa

Un sentiment largement partagé chez les petits éleveurs, dont les pertes d’exploitation ont poussé 54% d'entre eux à la faillite l'année dernière. Cela d'autant que la maladie virale, pour laquelle il n'existe pas de vaccin, a tué des centaines de millions de porcs en Europe et en Asie depuis 2018.

Au Parlement, un député de l'opposition a lui aussi accusé le gouvernement d’avoir caché la vérité pendant toutes ces années. Mais un vice-ministre de l'agriculture a nié, réaffirmant que les autorités avaient réussi à endiguer l’épidémie jusque récemment.

"Il ne restait plus qu’à laisser mourir les [porcs] malades et vendre ceux qui étaient encore en bonne santé", se désole Jintana. 

Flambée des prix du porc

Les petits exploitants estiment que si l’épidémie avaient été annoncée plus tôt, cela aurait sans doute permis de sauver leur gagne-pain et aussi peut-être d’éviter la pénurie de porc qui a fait grimper les prix au détail. À Bangkok, le kilo de porc se vendait à 215 bahts (5,77 €) le 11 janvier, le niveau plus élevé selon l’historique des prix qui commence en 2001.

La flambée des prix a conduit à une interdiction de l’exportation d'animaux vivants jusqu'en avril. Et les prix à la consommation pourraient rester élevés pour un moment encore car la production risque de mettre des mois à se redresser.

Depuis la confirmation de la présence de la peste porcine africaine en Thaïlande, la PPA a été décelée dans 22 zones de 13 provinces et plus de 400 porcs ont été abattus, tous dans de petites exploitations, a déclaré Bunyagith Pinprasong, directeur du Bureau de contrôle des maladies et des services vétérinaires.

Porcherie quasiement vide en Thailande durant la peste porcine africaine
Depuis janvier, la peste porcine africaine a été décelée dans 22 zones de 13 provinces et plus de 400 porcs ont été abattus. Photo REUTERS/Chalinee Thirasupa

Entre 2019 et 2021, les autorités ont abattu près de 300.000 porcs considérés comme ayant un risque élevé de peste porcine africaine, même si la maladie n’a jamais été détectée dans aucun échantillon de porcs morts, a déclaré Bunyagith Pinprasong à Reuters, affirmant que la plupart des décès de porcs étaient dus au syndrome reproducteur et respiratoire porcin (SRRP).

"Nous avons mis en place des mesures strictes et efficaces pour prévenir la peste porcine africaine, c'est pourquoi elle n'a pas été détectée auparavant", a-t-il affirmé. "Nous contrôlerons et freinerons sa propagation jusqu'à ce qu'un vaccin soit développé."

Hécatombe chez les petits exploitants

Au moment où la Thaïlande confirmait pour la première fois une épidémie de peste porcine africaine ce mois-ci, près de 100.000 petits exploitants - élevant jusqu'à 50 porcs - avaient déjà disparu, n’en laissant plus que 79.000 en activité, selon les chiffres du gouvernement sur le secteur de l'élevage.

Les cheptels des petits agriculteurs ont été réduits de moitié pour atteindre 1 million de porcs, ce qui représente l'essentiel de la perte du cheptel national, qui s'élève à 10,85 millions de têtes, en baisse de 17 % par rapport aux 13,1 millions de l'an dernier, selon les données.

Les exploitations ayant entre 51 et 500 porcs participent normalement à environ 30% de la production thaïlandaise qui se monte à 19-20 millions de porcs, dont environ 18 millions sont consommés sur le marché intérieur et le reste est exporté.

Porcelet en Thailande
Photo REUTERS/Chalinee Thirasupa

"La diminution actuelle du nombre de porcs est due à des épidémies antérieures, et non à la peste porcine africaine", affirme Bunyagith Pinprasong, ajoutant que le SRRP et la peste porcine classique sont les maladies les plus courantes chez les porcs thaïlandais, avec des vaccins disponibles pour les deux.

"Mais qu'il s'agisse de SRRP ou d'ASF, il y aura des pertes pour les petits exploitants dépourvus d’un bon système de gestion agricole."

Les géants de l’agro-alimentaire à la fête

Mais si les petites exploitations sont en grande difficulté, les actions du géant thaïlandais de l’agro-alimentaire, Charoen Pokphand Foods Pcl, ont bondi en janvier pour atteindre leur plus haut niveau en près de sept mois. Et les actions de son homologue Thaifoods Group Pcl ont atteint leur plus haut niveau depuis avril.

Le rétrécissement continue de la part de marché des petites exploitations va avoir des implications à long terme sur les prix des denrées alimentaires, prévient Kevalin Wangpichayasuk du Kasikorn Research Center.

"La disparition progressive des petits exploitants signifie moins d’acteurs et une concurrence moindre, ce qui aura un impact sur les prix", explique-t-elle.

Bunyagith Pinprasong estime qu’il faudra jusqu'à 10 mois aux élevages pour combler le vide, et pour cela le gouvernement prévoit d'offrir des prêts aux petits exploitants et de nouveaux porcelets.

Mais les agriculteurs ont fait savoir qu'ils avaient perdu confiance dans le gouvernement et doutaient que l'élevage porcin puisse encore générer des revenus, du moins jusqu'à ce qu'un vaccin soit trouvé.

Jamnian Iangjiam, 62 ans, a déclaré qu'elle avait abandonné l'élevage de porcs après deux tentatives de redémarrage.

"Je suis endettée parce que j'ai dépensé mes dernières économies pour élever de nouveaux porcs, et maintenant je n'ai plus rien", a déclaré Jamnian, dont les porcheries sont vides depuis mai dernier. "J'en ai assez."

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