Paetongtarn Shinawatra a été investie en tant que Première ministre par le roi de Thaïlande dimanche, deux jours après son élection par le Parlement, ouvrant la voie à la formation de son cabinet dans les semaines à venir.
À 37 ans, Paetongtarn devient la plus jeune Première ministre de Thaïlande, et la deuxième femme à occuper ce poste dans le royaume.
Cette investiture intervient quelques jours après que son allié, Srettha Thavisin, a été démis de ses fonctions par la Cour Constitutionnelle, une instance qui a destitué pas moins de quatre chefs de gouvernement et dissous plus d’une demi-douzaine de partis politiques au cours des deux dernières décennies, marquées par plusieurs cycles de turbulences politiques.
Fille de l'ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, Paetongtarn a remporté près des deux tiers des voix lors du vote à la Chambre des Représentants vendredi.
Elle devient ainsi la troisième Shinawatra à accéder à la fonction de Premier ministre, après son père et sa tante, Yingluck Shinawatra.
La jeune femme, qui n'a jamais occupé de fonction gouvernementale jusqu’ici, se trouve face à un certain nombre de défis, à commencer par la nécessité de relancer une économie atone qui peine à se relever de la crise du Covid dans un contexte de fort endettement des ménages et de ralentissement des exportations.
Il va aussi lui falloir naviguer en eaux troubles, en composant avec une coalition gouvernementale hétéroclite fragile, comprenant des sensibilités politiques habituellement hostiles au clan Shinawatra.
Cela alors que la popularité de son parti, le Pheu Thai, souffre des délais de mise en œuvre de son programme phare, mais néanmoins controversé, d’allocations d'une valeur totale de 500 milliards de bahts (13 milliards d’Euros) consistant à distribuer 10.000 bahts (262 €) via un porte-monnaie digital aux personnes dont le revenu annuel est inférieur à 840.000 bahts (22.000 €) par an et qui disposent de moins de 500.000 bahts de réserve en banque.
Lors de sa première conférence de presse, dimanche, Paetongtarn a déclaré qu'elle poursuivrait toutes les politiques de son prédécesseur. Elle a précisé que le gouvernement n'abandonnerait pas le programme de porte-monnaie digital, mais qu’il chercherait à "étudier et écouter d'autres options" pour s'assurer que le dispositif est fiscalement viable.
La nouvelle Première ministre a tenu à rassurer sur le fait qu'elle n'avait pas l'intention de nommer son père à un poste gouvernemental, mais elle a affirmé qu’elle ne se priverait pas de le consulter le cas échéant.
L’héritage Shinawatra, ses pépites et ses boulets
Thaksin, personnage controversé au cœur de la polarisation politique de ces vingt dernières années, est revenu en Thaïlande l’an dernier après quinze ans passés à l’étranger pour échapper à une condamnation pour conflit d’intérêts. À son arrivée dans le royaume en août 2023, il avait été condamné à huit ans de prison. Mais quelques semaines plus tard, sa peine fut réduite à une seule année par le roi Vajiralongkorn. Ayant invoqué des raisons de santé, il n’aura finalement passé que six mois en détention à l'hôpital, avant d'être libéré sur parole en février. Il a obtenu la grâce royale samedi, deux semaines avant la fin de sa peine.
Âgé aujourd’hui de 74 ans, cet ancien colonel de police devenu magnat des télécoms n’a cessé de dominer la scène politique thaïlandaise même après son éviction lors du coup d'État de 2006, survenu alors qu’il participait à l’assemblée générale de l’ONU à New York et que les principaux ministres de son gouvernement étaient en visite à Paris.
Premier ministre de 2001 jusqu'à son éviction cinq ans plus tard, Thaksin a bâti un empire politique en courtisant, par des politiques populistes, des millions d'électeurs des classes laborieuses et défavorisées ignorés jusque-là par la classe politique traditionnelle.
Mais son succès politique sans précédent et son leadership cavalier, en rupture avec certains codes et convenances chers aux élites traditionnelles, lui ont valu une haine farouche de la part de certaines des familles et institutions les plus puissantes de Thaïlande, y compris l'armée.
L'un des enjeux pour Paetongtarn est le legs et l'avenir politique de la famille milliardaire Shinawatra, dont l'inarrêtable machine populiste a subi l'année dernière sa première défaite électorale depuis plus de deux décennies -devancée par le parti progressiste Move Forward- et a dû conclure une alliance improbable avec ses ennemis jurés de l'ex-junte militaire pour former un gouvernement.
Or, la destitution de Srettha Thavisin, le 14 août par la Cour Constitutionnelle, semble indiquer une rupture dans la fragile trêve conclue entre le clan Shinawatra et ses rivaux de l'establishment militaro-royaliste, qui avait permis l’an dernier le retour de Thaksin après 15 ans d'exil et l'ascension, le même jour, de son allié Srettha Thavisin, au poste de Premier ministre.
En tout cas, cet événement retentissant survenu quelques jours seulement après que la même cour a dissous le parti anti-establishment Move Forward - vainqueur des élections de 2023 – semble clairement porteur d’un message d’avertissement adressé aux formations non-alignées avec l’establishment.
Move Forward, qui n’en reste pas moins l’un des principaux rivaux politiques du Pheu Thai, s'est néanmoins depuis regroupé sous une nouvelle formation, le Parti du Peuple, nom renvoyant au mouvement instigateur de la Révolution de 1932 ayant mis fin à la monarchie absolue.
Lors de sa conférence de presse, dimanche, Paetongtarn Shinawatra a indiqué que les détails de ses politiques gouvernementales seront présentés au Parlement le mois prochain.