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Ces jeunes thaïlandais qui veulent faire évoluer la royauté visent le Parlement

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REUTERS/Chalinee Thirasupa - Selon la politologue Kanokrat Lertchoosakul, le parti progressiste Move Forward compterait dans ses rangs au moins 20 candidats issus des manifestations jeunes de 2020

Plusieurs militants du mouvement jeune qui avait osé questionner le rôle de la monarchie lors des grandes manifestations de 2020 à Bangkok se présentent aux élections de mai pour peser au Parlement

Chonthicha Jangrew, alias Lookkate, fait du porte-à-porte pour inviter les gens à voter pour elle lors des élections du 14 mai en Thaïlande, même si elle risque une peine de prison pour sédition et diffamation envers le roi lors des grandes manifestations de 2020.

La jeune trentenaire fait partie d'une douzaine de militants issus du récent mouvement de protestation estudiantin qui ont décidé d’aller plus loin pour défendre leur cause en se présentant cette année comme candidats aux élections législatives, dont le scrutin est prévu le 14 mai prochain.

Ils veulent ainsi amener sur la place publique le débat autour du rôle de la monarchie dans la société de ce pays qui s'est fortement modernisé ces dernières années. En vertu de la Constitution, le roi Maha Vajiralongkorn est officiellement vénéré, et insulter la monarchie de quelque manière que ce soit est passible de plusieurs années de prison, selon la très sévère loi de lèse-majesté qui prévoit jusqu’à 15 ans de réclusion par chef d’accusation.

De la rue au Parlement

Changer – non pas abolir – cette loi fait justement partie du programme électoral du parti progressiste Move Forward, sous la bannière duquel se présente Lookkate, qui fait campagne pour réduire la sévérité des peines pour diffamation royale et modifier les conditions de son application.

"Si vous voulez changer les choses en Thaïlande, vous ne pouvez pas compter uniquement sur les mouvements de rue ni seulement sur le Parlement", a récemment déclaré Lookkate à Reuters, dans une interview alors qu’elle faisait campagne dans la province de Pathum Thani, dans la banlieue nord de Bangkok.

"Les deux approches doivent avancer de concert", estime-t-elle.

Mitraillée de poursuites pénales

Les manifestations de 2020, qui avaient commencé comme un mouvement d’opposition à la mainmise de l'armée sur la politique thaïlandaise, ont rompu avec les schémas habituels de la grogne antigouvernementale en osant remettre en cause la suprématie de la monarchie.

Les manifestants ont dénoncé un lien de pouvoir entre l'armée et le palais qu’ils jugent délétère pour la démocratie, ayant justifié des interférences répétées de la part des militaires dans la vie politique du royaume et des renversements de gouvernements élus.

L'armée dit n'intervenir dans la politique que lorsqu'elle doit agir pour sauver la nation du chaos, et elle nie toute implication dans les élections. Le palais, pour sa part, ne commente jamais directement la politique.

 

La militante Lookkate devenue candidate au Parlement en Thailande
Chonthicha "Lookkate" Jangrew, une militante devenue candidate aux élections en Thaïlande sous la bannière du parti Move Forward. Photo REUTERS/Chalinee Thirasupa

 

Les manifestations de 2020, qui n'ont cessé de grossir sur plusieurs mois, ont finalement été réprimées, principalement par des arrestations et poursuites pénales à l’encontre de leurs dirigeants dont beaucoup d'affaires sont toujours en cours devant les tribunaux.

Lookkate dit faire l’objet de pas moins de 28 affaires pénales contre elle, dont deux de lèse-majesté, ce qui mettrait fin à sa carrière parlementaire si elle remportait un siège. Toute personne reconnue coupable d'une infraction est disqualifiée.

L'activisme jeune s'invite dans les partis politiques

Certains analystes estiment que bon nombre des questions soulevées par le mouvement jeune sont désormais entrées dans le discours dominant, y compris les appels à modifier la loi de lèse-majesté.

Le fameux article 112 du code pénal thaïlandais a été utilisé contre au moins 240 personnes depuis le début des manifestations en 2020, selon les données compilées par l’ONG Thai Lawyer for Human Rights.

Des dizaines de jeunes militants comme Lookkate ont rejoint des partis politiques tels que Move Forward, le Pheu Thai ou encore le Thai Sang Thai, en tant que candidats ou collaborateurs, explique Kanokrat Lertchoosakul, politologue à l'Université Chulalongkorn de Bangkok qui suit de près le mouvement jeune.

Elle rappelle que les manifestations ont introduit dans le débat politique d'autres sujets tels que les droits des LGBT et la fin de la conscription militaire.

Trois partis pro-démocratie

Le porte-parole du parti Move Forward, Rangsiman Rome, estime que l’offre du parti correspond bien aux jeunes qui avaient pris part aux manifestations de 2020.

"Les questions pour lesquelles ils manifestaient, comme la modification de la Constitution ou l’amendement de la loi de lèse-majesté, se retrouvent dans le programme du parti", souligne-t-il.

Il n'a pas précisé combien de candidats du parti venaient du mouvement estudiantin, mais, selon Kanokrat Lertchoosakul, Move Forward aurait au moins 20 candidats, et davantage dans les coulisses, liés à lui.

"Il y a au moins trois partis pro-démocratie dans lesquels les jeunes militants ont trouvé des rôles divers", dit-elle.

Le plus grand changement depuis des décennies

L'analyste politique Prajak Kongkirati, de l'Université Thammasat, estime pour sa part que l’entrée en jeu d’un activisme jeune constitue le plus grand changement survenu dans la vie politique thailandaise depuis plusieurs décennies.

Ils ont dynamisé la gauche progressiste tout en déclenchant la montée d'un parti royaliste de droite, le Thai Pakdee, qui fait campagne pour durcir la loi de lèse-majesté, souligne-t-il.

"Le spectre politique n'a jamais été aussi large depuis 30 ans", déclare Prajak Kongkirati. "Nous avons une vraie gauche progressiste qui se connecte à la politique de la rue, et un parti d'extrême droite qui émerge en réaction."

 

Le militant Toto devenu candidat au Parlement en Thailande
Piyarat "Toto" Chongthep, un militant devenu candidat aux élections en Thaïlande sous la bannière du parti Move Forward. Photo REUTERS/Athit Perawongmetha

 

Un autre militant devenu candidat, Piyarat "Toto" Chongthep, 32 ans, dit avoir décidé de se présenter après avoir réalisé qu'il ne pouvait pas avoir d'impact par le seul biais des manifestations.

"Le mieux que nous pouvions faire était d’exprimer symboliquement notre mécontentement", se souvient-il. "Nous avons besoin du soutien du peuple pour nous donner démocratiquement le pouvoir d'apporter des changements."

Les partis progressistes ont peu de chances de l’emporter le 14 mai, mais Lookkate espère que la présence de jeunes en politique fera au moins lieu pencher la balance en direction d'un système plus équitable, dans lequel les habituels détenteurs du pouvoir sauront qu'ils ne peuvent pas se contenter d'ignorer le résultat d'un scrutin qui ne leur convient pas.

"Je ne pense pas que ce sera aussi facile qu'avant car si les gens descendent à nouveau dans la rue, cela ira beaucoup plus loin qu'en 2020", prévient-elle.

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