La principale promesse électorale du Puea Thai l'an passé, l'augmentation du salaire minimum journalier à 300 bahts, est en place depuis hier dans sept provinces du pays, dont Bangkok. La mesure impactera la masse salariale des sociétés dans les secteurs dont la main d'?uvre est très peu qualifiée. Ses conséquences sur la consommation intérieure et l'emploi sont en revanche incertaines
Depuis hier, sept provinces doivent, conformément à la volonté du gouvernement, établir le salaire minimum à 300 bahts par jour. Les 70 autres provinces du pays devront suivre la manoeuvre en 2013. Les sept régions initiales choisies, Bangkok, Phuket, Nakorn Pathom, Nonthaburi, Pathum Thani, Samut Prakarn et Samut Sakorn, étaient celles où le salaire minimum était le plus élevé, à hauteur de 221 bahts pour Phuket et 215 pour les six autres.
Un risque d'inflation
Lors de la campagne électorale l'an passé, la candidate Yingluck Shinawatra avait fait de la hausse du salaire minimum journalier sa promesse électorale phare, indiquant que l'augmentation du niveau de vie des Thaïlandais était au centre des préoccupations de son parti, le Puea Thai. "Le salaire minimum des travailleurs n'a pas été relevé depuis de nombreuses années alors que le coût de la vie augmente constamment", a rappelé encore samedi Yingluck. Souhaitant que la Thaïlande devienne moins dépendante de ses exportations, le gouvernement a pour objectif de doper la consommation intérieure du royaume, mais le risque d'un impact sur l'inflation existe. "L'augmentation des salaires devrait, naturellement, augmenter le pouvoir d'achat des consommateurs et donc la consommation, indique Pascal Furth, Chef du Service économique de l'Ambassade de France en Thaïlande. Mais à la condition que cette augmentation des salaires ne se traduise pas en hausse des prix, tant liés à une augmentation des coûts de production qu'à une hausse des prix de ventes de la part de commerçants anticipant l'accroissement des revenus des consommateurs."
Une mesure ciblée sur les secteurs à la main d'oeuvre très peu qualifiée
Lors d'une réunion fin 2011 de la section Thaïlande des Conseillers du Commerce Extérieur français, la quasi-totalité des sociétés représentées, sept grands groupes et douze PME, avaient indiqué qu'elles n'étaient pas concernées par la mesure. En effet, leur salaire minimum était déjà au-dessus de 300 bahts par jour, ce qui correspond à 9.000 bahts par mois, le gouvernement ayant demandé que l'ajustement mensuel se fasse sur 30 jours, et non 26. La mesure impliquera uniquement des secteurs où la main d'?uvre est très peu qualifiée, et peu chère, tels l'agroalimentaire ou encore le textile. Ces secteurs avaient d'ailleurs mis la pression sur le gouvernement, pour que l'augmentation du salaire journalier, prévue initialement au 1er janvier 2012, soit finalement repoussée de trois mois pour souffler après les inondations. La société de Didier Del Corso, Cases and Covers Co. Ltd, qui fabrique des étuis pour instruments de musique à Samut Sakorn, n'est quasiment pas concernée par cette augmentation du smic car la plupart des salaires sont déjà au-dessus. Il aura seulement à faire passer ses plus bas salaires, qui sont les personnes à l'essai, de 8.000 bahts à 9.000 bahts par mois, soit une augmentation de 12,5%, pour être en conformité. "Pour que les autres employés ne se sentent pas floués, nous avons mis en place une prime mensuelle d'ancienneté," explique-t-il, soulignant qu'il sera désormais plus exigeant par rapport au rendement de chacun.
La tentation d'automatiser et de délocaliser
Face à cette hausse de leur masse salariale, d'autres PME ont cependant menacé les autorités de quitter le pays ou de recourir davantage à la machinerie, ce qui impacterait négativement l'emploi. "Certains secteurs pourront recourir à davantage d'automatisation de leur production, mais cela n'est pas facile à mettre en ?uvre et n'est pas forcément moins coûteux, nuance Pascal Furth. Il se peut que certains secteurs, notamment celui du textile, préfèrent se délocaliser, par exemple en Birmanie, pays qui s'ouvre. Mais cela n'est pas non plus certain car il s'agit justement d'un secteur employant beaucoup de personnes non déclarées, migrantes ou non, et qui par conséquent ne devraient pas voir leur salaire bénéficier de cette augmentation."
Nécessité d'une meilleure formation professionnelle
"Ces salariés vaudront trop cher par rapport à leur qualification, explique Eric Chocat, dont l'usine imprime des décalcomanies pour des casques à Bangkok sur Bang Na Trat. En France, j'emploie un Français pour faire 350 passages et ici en Thaïlande, deux [personnes] pour faire 400 passages." Un des principaux défis qui attend le gouvernement thaïlandais est donc la formation des travailleurs faiblement qualifiés afin qu'ils gagnent en rentabilité. D'après Arnauld de Nadaillac, consultant en formation professionnelle et gestion des ressources humaines qui vit depuis une quinzaine d'années dans le royaume, la Thaïlande ne dispose que de 1.000 écoles publiques d'enseignement professionnel, de 400 écoles privées, et de 90 centres de formation professionnelle continue, dont la qualité n'est pas au niveau de ce qu'attendent les sociétés du pays. "Jusqu'à présent, je n'ai vu passer aucune information comme quoi le gouvernement allait améliorer la quantité et la qualité des structures de formation suite à la mise en place de 300 bahts, indique-t-il. Afin d'avoir un personnel mieux qualifié, et d'avoir moins recours aux heures supplémentaires, il semble que, pour l'instant, les entreprises vont devoir se débrouiller toutes seules."
Le salaire minimum journalier selon les provinces> Baht 300 à Bangkok, Phuket, Nakorn Pathom, Nonthaburi, Pathum Thani, Samut Prakarn and Samut Sakorn Source : Chambre de Commerce Franco-Thai |
Par Yann FERNANDEZ lundi 2 avril 2012