Après avoir vécu sur trois continents, la sculptrice française Valérie Goutard, alias Val, s’est installée en Thaïlande en 2004. Inspirée par l’Asie et portée par les aléas des rencontres, elle y a développé son art avec une patte singulière, se faisant en quelques années un nom dans les milieux d'art internationaux.
Un peu plus de dix ans après sa première exposition, à Bangkok, ses œuvres ont été vues dans plusieurs pays d’Asie et d’Europe, et en Australie. Certaines de ses créations ornent également des lieux publics comme le parvis de l’hôtel Sofitel Sukhumvit à Bangkok ou encore l'avenue Nanjing, l'une des artères les plus animées de Shanghaï. Cette année, l’artiste française s’est même lancée dans un projet d’expo sous-marine dans les fonds de Koh Tao.Dans le cadre des dix ans de son édition Bangkok, Lepetitjournal.com a demandé à Val de faire le point sur l’évolution durant ses dix années de son parcours, de son secteur d’activité et de lui-même.
LEPETITJOURNAL.COM - Pouvez-vous nous décrire brièvement l’évolution de votre parcours depuis ces dix dernières années en Thaïlande?
VAL - Ces dix dernières années en Thaïlande ont été le terreau de l'épanouissement de ma création, un chemin qui m'emmène toujours plus loin et me permet d'irradier bien plus loin que la seule Thaïlande. Mais c'est à Bangkok que je travaille, que j'ai mon atelier, que j'ai trouvé une équipe pour me seconder dans mes projets, que je fonds mes sculptures en bronze.
Pendant toutes ces années, mon atelier -une pièce de 20m2, puis un appentis dans mon jardin- est devenu un atelier sur mesure, à ma mesure, que nous avons dessiné mon mari et moi-même dans le style thaï contemporain de notre maison avec une belle hauteur sous plafond et la surface nécessaire à l'évolution de mon travail vers l'art public et la sculpture monumentale.
La première grande étape de ce parcours vers la sculpture monumentale est venue via la Philippe Staib Gallery avec l'invitation par la Shanghai Art Fair en 2010 de réaliser la sculpture monumentale installée à l'entrée du salon, ma première réalisation de 5 mètres de haut.C'est avec ce projet que j'ai commencé à travailler en équipe, une équipe exclusivement thaïlandaise qui est restée et s'est agrandie au fil des années, chaque projet entraînant un nouveau projet.
Puis j'ai eu quelques belles expositions solo avec la Red Sea Gallery à Singapour qui m'ont fait entrer dans quelques belles collections particulières: Inle balance III à la fondation Vuitton, à la fondation Yishu 8 et au musée de la CAFA (Chinese Academy of Fine Art museum) à Pékin avec la Philippe Staib Gallery avec Eternal pillars et Autoportrait maintenant dans la collection permanente du musée.
Avec en parallèle une belle récompense avec le Trophée des Français de l'étranger en 2014, quelques belles installations dans des espaces publics Inle Balance III au Sofitel de Bangkok, Waiting III une réalisation sur commande de 4 métres de haut, Ville fantastique qui devrait être installée prochainement au Benjasiri Park pour n'en citer que quelques-unes.
Et 2016 est une année qui démarre en fanfare avec ma première installation évolutive sous-marine, Ocean Utopia à Koh Tao, en coopération avec l'association New Heaven Reef Conservation Program. Vingt tonnes de béton, des personnages en bronze, installés et assemblées sous l'eau par les équipes de New Heaven avec des cavités prévues pour les implants de coraux qui arriveront de la nurserie installée au centre des trois installations et modifieront au fil des mois le dessin de mes structures.
A venir aussi une commande particulière qui sera installée à Taiwan d'un projet passionnant: un chemin ininterrompu de sculptures monumentales sur 36 mètres de long pour évoquer le parcours intérieur de l'homme du commun vers une quête de sagesse universelle.
Et enfin l'intégration du verre dans mes créations en bronze dans l'idée de donner de la matérialité au vide. Je travaille pour ces nouvelles créations avec l'atelier Ars Murano en Italie.
Que pouvez-vous nous dire sur l’évolution de votre secteur en Thaïlande ces 10 dernières années?
Le marché de l'art en Thaïlande a fortement évolué depuis mon arrivée en 2004. Il était alors pratiquement inexistant avec très peu de galeries et des artistes locaux dont l'inspiration était largement concentrée autour du Bouddhisme et des symboles nationaux. Puis à partir de 2009, on a vu émerger des artistes qui ont beaucoup travaillé sur le thème de la contestation politique et dont le chef de file est incontestablement Navin Rawanchaikul qui est l'un des premiers artistes thaïs modernes à avoir exposé dans des salons internationaux comme à la Biennale de Venise en 2011.
Depuis environ huit ans, donc, j'ai pu constater une forte émergence de l'intérêt des Thaïlandais pour l'art moderne et j'ai d'ailleurs moi-même réalisé plusieurs projets à Bangkok et à Hua Hin, et des collectionneurs locaux viennent régulièrement voir, et éventuellement acquérir, mes œuvres à mon atelier. Cette tendance touche principalement la génération des 30-40 ans qui, plus que la génération précédente, s'est ouverte au monde de l'art contemporain.
On voit d'ailleurs depuis quelques années de nombreuses ouvertures de galeries d'art principalement à Bangkok, mais aussi dans des villes telles que Chiang Mai et Phuket.
Il est à noter que le marché thaïlandais commence même à intéresser des galeries internationales; l'implantation à Bangkok de la galerie Adler il y a environ deux ans, et dernièrement de la galerie S au Sofitel Sukhumvit et à Hua Hin en est une parfaite illustration.Il est aussi très clair que des artistes thaïs sont en train d'émerger dans le pays mais aussi à l'étranger car leurs styles sont devenus plus personnels, plus universels et touchent donc un bien plus large public que le travail de leurs ainés. Je pense en particulier à un artiste comme Attasit Pokpong qui expose ses toiles en Asie, en Europe et, je crois, aux Etats Unis. Il y aussi de jeunes artistes thaïs extrêmement talentueux comMe Rush (Gaspard) Pleansuk qui se font une place sur le marché avec une approche artistique tout à la fois moderne et empreinte d'une grande tradition.
Sur le plan personnel, comment avez-vous vécu ces dix dernières années, où en êtes-vous par rapport à vos débuts en Thaïlande?
Ces dix années n'ont bien entendu pas été sans difficultés, pesantes sur le moment où je les rencontrées, mais elles sont oubliées quand je regarde en arrière. Le sentiment de réalisations est bien plus fort. Je suis Française, électron heureusement libre en pays étranger, de culture française avec des racines puissantes et bienfaisantes dans mon pays d'accueil.
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Propos recueillis par Pierre QUEFFELEC jeudi 5 mai 2016