Ce weekend, Le Petit Journal Auckland a l’honneur de vous emmener à la rencontre de Terrence Wallace. Né à Chicago, il est le créateur du projet social “InZone" offrant à des jeunes minorités venant de quartiers défavorisés l’opportunité de vivre dans des zones résidentiels, en leur apportant un support pour réussir dans des écoles au niveau scolaire élevé. Son documentaire “In the Zone” sortie dans les salles le 6 décembre dernier, retrace son retour à Chicago avec son projet et met en exergue les inégalités du système de zones scolaires. Rencontre avec un véritable innovateur au grand coeur.
LPJ Auckland : Terrence, peux-tu nous raconter comment c’était de grandir à Chicago ?
Terrence Wallace : C’était intéressant. J’ai grandi à l’ouest, dans les quartiers pauvres. Dans mes premières années, ce quartier était très serein mais a rapidement été gangréné par les gangs avec trafic de drogue et règlements de compte.
D'ailleurs, ma mère ne voulait pas que j’aille à l’école ici où le système scolaire était moins bon et la violence très présente.
Elle m'a donc envoyé dans une école d'un quartier favorisé près de l'aéroport et hors de notre zone. À partir de ce moment-là, ma vie s’est ouverte à plus de diversité et je me suis fais des amis venant du monde entier. C’était génial ! Chicago est une ville magnifique et il y a beaucoup à faire. Sur 77 quartiers, il doit y en avoir 5 ou 6 qui sont considérées comme très violents, avec une pauvreté extrême et des personnes qui s’appauvrissent de génération en génération.
Quand as-tu commencé le projet "InZone" ?
Je suis venu en Nouvelle-Zélande pour la première fois en 2009, en vacances, et j'y suis revenu en 2010 avec un visa de travail pour développer le projet "Inzone" qui a lui-même vu le jour en 2011.
Qu’est-ce qui t'a donné envie de commencer ce projet ?
J’ai lu un article sur les Māori et les personnes venant des Îles du Pacifique qui vivaient en Nouvelle-Zélande. L'article expliquait que ces enfants ne réussissaient pas scolairement parlant et j’ai donc voulu faire quelque chose pour arranger la situation, aider ces enfants. Je pense que les difficultés que ces enfants rencontrent en Nouvelle-Zélande sont similaires à ce que les jeunes afro-américains et hispaniques vivent aux États-Unis. Et avec mon expérience, j’ai pensé que je pouvais aider. J’ai donc pris des cours de Māori et je suis revenu en Nouvelle-Zélande pour chercher une maison dans la zone d'Auckland Grammar.
C’est vraiment mon expérience personnelle qui m’a inspiré à créer ce projet. Je voulais redonner à une communauté dans le besoin.
J’ai pensé que c’était une bonne idée car j’ai vu le potentiel qui existe dans ces communautés, les capacités qu’elles ont et je voulais leur donner une chance de réussir comme les enfants qui habitent dans des quartiers favorisés, leur donner les mêmes moyens et qu’ils puissent étudier paisiblement. Je voulais rompre ce cercle vicieux qui les entraîne souvent dans la pauvreté auquel ils font face en restant dans leur quartier.
As-tu rencontré des difficultés pour trouver des sponsors pouvant aider ce projet en Nouvelle-Zélande ?
Cela a été un peu difficile au début oui, mais je pense que la passion est un langage universel et je crois que le projet InZone a rapidement favorisé cette passion et un grand engagement une fois que les personnes ont compris le sens du projet. Les gens ont donné ce qu'ils pouvaient mais le seul fait de participer au projet a permis de faire la différence.
Quelles difficultés as-tu rencontré pour mettre en place ce projet ici ? On peut imaginer par exemple certains parents de familles plutôt aisées, voir d’un mauvais oeil l’arrivée d’enfants de quartiers défavorisés ?
Il y a eu quelques challenges au début. Emmener ces enfants dans la zone d'Auckland Grammar n’était pas facile. Les écoles avaient peur que ces enfants perturbent les autres et quelques habitants avaient quelques peurs également. Néanmoins, ces préjugés se sont rapidement envolés en discutant avec eux et en leur expliquant le projet. Puis ils ont vu ces enfants évolués naturellement dans leur nouvel environnement.
Quand as-tu repris le projet à Chicago? Quel était le contexte là-bas et quelles difficultés as-tu rencontré ?
Je suis rentré à Chicago en 2017, et je pouvais voir la différence avec le gouvernement Trump. Il y avait cette énorme tension autour des noirs américains et beaucoup de discrimination raciale. Le courant suprématiste qui prenait de plus en plus d’importance, des policiers tuants des noirs dans la rue sans raison. Dans ces zones défavorisées, les crimes étaient plutôt entre gangs dans la rue, pour des motifs de drogue. Et les enfants pouvaient malheureusement se retrouver au milieu des tirs mais n’étaient pas la cible comme ils pouvaient l’être dans des quartiers aisés. Nous avons fait face à d’énormes challenges pour monter ce projet à Chicago car pour beaucoup de familles, c’était une question de vie ou de mort pour leurs enfants. Être noir américain dans un quartier chic aux États-Unis étaient vus comme très dangereux pour eux.
Enfin, de l’autre côté, nous avions des familles riches se demandant pourquoi faire venir ces enfants de quartiers pauvres dans leur quartier tranquille. Les deux scénarios, ces deux mondes, ont leurs propres difficultés et se confrontent, mais à la fin, j’ai dû rester concentré sur ma mission et ne pas me focaliser sur ces difficultés pour permettre à ces enfants de réussir.
Pourquoi n’es-tu pas allé directement dans les écoles dans ces zones défavorisées pour améliorer le système ?
On me pose souvent la question. Ce n’est pas seulement se battre pour améliorer un système scolaire. C’est une grande bataille générale. Les problématiques dans ces écoles sont multiples, ce sont les ressources qui manquent parmi ces communautés, dans leurs maisons etc... Et ma philosophie est que si ces enfants sont dans une maison paisible avec de bonnes ressources, de la nourriture sur la table, un bon lit et un accès à une bonne éducation, alors ils peuvent réussir. Quand un enfant n’a pas ces basiques, même s’il y a une bonne école, les éducateurs sont obligés de faire du social et le niveau scolaire reste bas puis es enfants perdent peu à peu confiance en eux.
Comment choisis-tu ces enfants ?
Les enfants sont de niveau collège et lycée et doivent avoir une sorte de désavantage. Aussi, le critère numéro un est la volonté de faire parti du projet, c’est vraiment leur motivation qui compte et aussi leur attitude. Nous regardons également leur capacité pour voir si nous avons la possibilité de les supporter avec les ressources que nous avons. Les tests en revanche ne sont pas basés sur les résultats académiques.
Quels sont les résultats obtenus et que sont devenus ces enfants en Nouvelle-Zélande ?
Certains sont à l’université poursuivant des études de médecine ou d’ingénieur, Il y a des joueurs de rugby professionnels, certains ont monté leur propre business. D’autres encore sont des mentors pour la prochaine génération d'élèves.
Combien d’enfants as-tu aidé avec ce projet ?
60 environ depuis le début du projet en Nouvelle-Zélande.
Quels sont tes projets après Chicago ?
Nous avons un nouveau projet qui va débuter en Indiana et j’aimerais bien le voir se répliquait partout aux États-Unis. Un autre commencera également dans le North Shore en Nouvelle-Zélande dès février 2019.
Dans le futur, je souhaite faire du mentoring et inspirer d’autres personnes à créer ce même projet dans leur ville.
Penses-tu que tu pourrais organiser ce projet en France ?
Certainement ! Quand je vois les nouvelles de France et tous ces Africains qui viennent sans ressources, qui mettent une pression importante sur le pays, qui ont un niveau de frustration, de peur, de besoins importants, je pense en effet qu’il est essentiel d’être créatif et innovant pour trouver des solutions afin qu’ils s’intègrent. Être dans un endroit en sécurité, mettre des programmes en place pour ces personnes est parfois insuffisant, il faut que les communautés se rejoignent quelques part et arrivent à trouver un moyen pour s’aimer.
Merci beaucoup Terrence, un dernier mot pour la fin?
J’encourage tout le monde à voir le film “In the zone”. J’espère qu’il inspira les personnes à se mélanger entre différentes communautés et qu’il permettra de créer du lien. En nous rassemblons parmi différentes communautés, nous pouvons unir la nation et crée un monde meilleur ensemble.