C’est dans le lobby à la déco très avant-gardiste du nouveau SO/Auckland que nous rencontrons le charmant chef étoilé Marc de Passorio. Un homme à plusieurs vies : né au Cameroun, Marc a grandi à la Réunion, créé des restaurants aux quatre coins du monde. Nous étions curieux de connaître ce qui l’a amené en Nouvelle-Zélande ainsi que ses nouvelles aspirations. Au milieu d’un emploi du temps très serré, notre chef français qui vit à cent à l’heure nous a accordé une interview en exclusivité.
Marc, qu’est-ce qui vous amené si loin de la France, en Nouvelle-Zélande ?
En 2011, je rencontre une personne qui me demande de venir en Nouvelle-Zélande pour vérifier la faisabilité d’un restaurant sur le lac de Wanaka. Je crois que c’était aux alentours du 15 juin et j’ai dit : pourquoi pas ? Le 1er juillet, j’avais mon billet.
Je me suis dit que je viendrais finir ma vie ici
J’arrive à Auckland, où j’ai tout de suite été surpris par la pureté de l’air. Puis à Queenstown et Wanaka. Je suis resté cinq jours d'une grande intensité. On a créé un restaurant qui est vite devenu autonome et ça a été comme une révélation pour moi. Je me suis dit que je viendrais finir ma vie ici. L’air, les paysages, les habitants de la Nouvelle-Zélande m’ont fait complètement craquer.
Pourquoi le SO/Auckland ?
J’étais en contact avec le General Manager de la société de consulting que j’avais créé et avec laquelle je travaille sur différents concepts de restos. À mon ami Robert Andren - Director of Wine One and Dine au SO - que j’ai connu au Vietnam, je lui disais toujours que je voulais partir m’installer en Nouvelle-Zélande. Un jour il m’appelle pour me dire qu’il s’y rend. Peu de temps après, on me proposait le SO.
Que signifie pour vous d’être un chef étoilé ?
J’étais le premier chef étoilé de l'Océan Pacifique et pour moi, devenir étoilé, a été la consécration de mes acquis. Je suis également récompensé Gault&Millau d’or en 2014 et c’est le plus important. Le Gault&Millau d’or, il y en a qu’un par an et il n'est attribué qu'à un seul homme. Une fois que vous l’avez, c’est à vie. C’est une transmission, c’est impressionnant. Les gens le connaissent moins mais il a une très grande importance. Le Michelin, il y a plusieurs étoiles par an mais on peut vous la retirer. Et cela peut être très difficile à vivre dans la vie d’un homme. Être étoilé signifie que j’ai réussi et que maintenant je peux transmettre. Je n’ai jamais eu de difficulté à trouver des employés ni à les garder. Cela apporte également une reconnaissance internationale.
Quelles sont vos aspirations aujourd’hui ? Que souhaitez-vous apporter ici ?
Je n’ai aucune prétention à faire une cuisine étoilée Michelin ici au SO car je veux que les gens viennent avant tout pour se faire plaisir. Je veux cuisiner des produits locaux et de saison. Je me bats avec mes producteurs pour avoir les meilleurs produits de Nouvelle-Zélande, travailler la saisonnalité. Nous avons une cuisine à deux vitesses : une cuisine “fine dining” avec des plats de haut niveau mais aussi des viandes et des poissons qu’on va cuire dans le four et que nous pouvons servir avec des frites.
Je veux que les clients viennent se faire plaisir en dégustant des bons produits.
Nous proposons par exemple un déjeuner à $39 le midi (entrée-plat-dessert) car nous souhaitons offrir une cuisine abordable. En choisissant des produits locaux et surtout de saison, nous arrivons d'ailleurs à jouer sur les prix.
Quels sont les produits de Nouvelle-Zélande que vous aimez travailler ?
L’avocat est extraordinaire, les tomates cerises, les mini carottes, le saumon... L’agneau est d’un autre monde ! L’agneau néo-zélandais que nous avons en France est différent, il est dédié au marché Français. Ici il est extraordinaire. Les produits sont fabuleux mais c’est un combat de tous les jours pour faire comprendre aux producteurs que nous sommes ouverts à tout changement.
Je préfère d'ailleurs de bons produits bien mûrs plutôt que des produits pas bons que j'aurai demandé. Je préfère qu’ils me donnent ce qu’ils ont de meilleur et c’est à moi de m’adapter au produit. C’est ce que je veux inculquer à mes équipes.
Avez-vous vu des différences avec vos équipes ici ? Avez-vous eu besoin de les former davantage ?
Mon staff est très multiculturel. Au début, cela a été difficile, il a fallu beaucoup de training pour leur faire comprendre ma façon de travailler mais maintenant ils sont très réceptifs. La différence c'est qu’ici le staff découvre la passion pour un produit à travailler.
J’ouvre la cuisine à tous ceux qui veulent venir travailler avec moi. Ils doivent être passionnés avant tout.
Tous les matins, je fais un point avec mes équipes. Tous les jours, je leur demande le prix des produits. La transmission de mon savoir passe par la bonne connaissance du produit qu'on cuisine. Ils doivent savoir le prix des produits afin de connaître l’importance de les cuisiner. Ils doivent aussi connaître la provenance, comment poussent les tomates, comprendre le raisonnement quand on les travaille.
Comment définissez-vous votre cuisine ? À Auckland par exemple, on constate que la tendance est à la cuisine fusion.
Je ne suis pas très fusion, je fais attention avec cette cuisine. Ma cuisine est plutôt exotico-méridionale. Toujours un peu de gingembre, de soja, des épices car je viens de la Réunion mais je ne touche jamais le produit originel. L’agneau aura un goût d’agneau et le saumon de saumon. Je ne vais jamais remplir de sauce ni couvrir le goût du produit.
Je suis allé moi-même à la rencontre des producteurs locaux pour trouver les meilleurs produits.
Qu’est-ce que l’ADN du Harbour Society ? À quoi doivent s’attendre nos lecteurs ?
C’est avant tout une cuisine de produits et je m’adresse aux locaux. Je ne fais pas de la cuisine de chef étoilé à tout prix. Je veux que les gens passent un bon moment. La cuisine ouverte est à hauteur d’homme. Je cuisine devant les clients. Les gens peuvent me voir travailler et peuvent venir me poser des questions, me demander des conseils. Il y a une carte mais c’est une cuisine interactive.
Vous avez été pas mal occupé avec le lancement du restaurant depuis votre arrivée, cependant pensez-vous à d’autres projets ?
Oui, mon chef pâtissier que j’ai pu former pendant plus de huit ans et qui est vice-champion de France des desserts va venir à Auckland. Aussi, en avant-première, je ne devrais pas vous le dire mais en septembre nous allons organiser une semaine étoilée Michelin. Je vais inviter des chefs étoilés et tous les soirs ce sera le show ! Un chef différent chaque soir aux commandes et les autres chefs seront les commis.
Sinon j’aime l’aventure, je peux partir sur la route et je veux aller à la rencontre des gens
Je suis parti récemment sur les routes de Nouvelle-Zélande et j’ai fait 1500 km. Un jour, je me suis arrêté près d’une ferme. J’ai rencontré une famille, je leur ai dit que j’étais cuisinier, que c’était ma passion. J’ai passé quatre jours avec eux. Je peux arriver chez vous et avec un rien on fait des merveilles. J’ouvre le frigo et hop avec une boite de kiri, des sablés on peut faire des trucs de malade.
Des adresses à nous recommander à Auckland ?
Je suis très peu sorti mais j’ai quand même testé Ebisu, que j’adore.
En quittant Marc après une petit tour du restaurant et du rooftop qui propose une vue incroyable sur Rangitoto, on n’a plus qu’une envie, c’est de réserver une table et d’éveiller nos papilles en dégustant de délicieux produits néo-zélandais préparés par ses soins. Avec des projets plein la tête et ce côté aventurier, on est sûr d’une chose, nous n’avons pas fini d’entendre parler de Marc de Passorio cette année.
Lecteurs du Petit journal, attention, à vos fourchettes !