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La réalisatrice Française Céline Sciamma nous parle de son film : Petite Maman

Portrait de Céline SciammaPortrait de Céline Sciamma
Écrit par Arthur Struyf
Publié le 7 décembre 2021, mis à jour le 11 décembre 2021

A l'occasion de la sortie en salle de son dernier film, Petite Maman, Céline Sciamma est venue discuter avec nous. L’opportunité d’en savoir plus sur ce très beau film, qui par sa singularité et son authenticité, vous fera voyager dans vos souvenirs d’enfance.

Pouvez-vous évoquer avec nous l’histoire de votre dernier film Petite Maman ? Qu’est ce qu’elle représente pour vous ?

L'histoire de Petite Maman, c'est l'histoire d'une petite fille qui se noue d'amitié avec une autre enfant et cette autre enfant pourrait être sa mère, enfant. C'est l'histoire de quelques jours d'amitié entre une mère et sa fille. C'est un petit voyage dans le temps, un voyage dans le temps émotionnel. Le film est pensé pour être vu aussi bien par les enfants que par les adultes. Le film est pour moi une expérience de cinéma intergénérationnelle ou l’on partage les mêmes émotions entre adultes et enfants.

Ce que je trouve très agréable dans ce film, c'est son authenticité. Comment avez-vous fait pour transmettre d’une si belle manière cette authenticité, de rendre une histoire qui semble très personnelle, universelle?

C'est une question que je me suis posée et ma solution a été de ne pas situer le film dans le temps. C'est-à-dire, qu'on ne sait pas quand est-ce qu'il se passe. Mon envie, c'était qu'un enfant des années 50, un enfant d'aujourd'hui et tous les enfants d’entretemps, puissent tous se dire: c'est mon enfance, ça pourrait être mon enfance, le temps de mon enfance. Cela impliquait que les costumes, les meubles, tout le réel du film puissent être un temps commun à plusieurs générations. Il n'y a pas de machine à voyager dans le temps dans le film. C’est le film qui est une petite machine à voyager dans le temps. Avec cette idée, que c'est un voyage dans le temps qui n'est ni dans le passé ni dans le futur, mais qui est dans un temps présent partagé. Toute la direction artistique du film essaye de créer un monde qui pourrait être commun à 50 ans d’enfance.

 

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Les actrices Gabrielle et Joséphine Sanz lors du tournage de Petite Maman

 

Vous êtes très impliquée dans le processus créatif jusqu’au moindre détail, je pense notamment à votre travail sur les costumes. Pouvez vous nous parler de cet aspect de votre métier ?

Oui, complètement. C'est vrai que c'est un film sur lequel il s'agissait de construire entièrement un espace, J'ai vraiment pu avoir accès à un niveau d'intervention où on choisit le moindre interrupteur. Et c'est vrai que j'aime ça. J'aime vraiment vraiment ça. Pour le coup, le fait de tourner en studio et de construire entièrement l'espace, il y avait une opportunité que j'ai vraiment saisie et qui faisait partie du plaisir pour moi de faire le film, c'est certain. Pour ce qui est des costumes, je le fais toujours, sur tous  mes films. Mais c'est vrai que là, je l’ai fait entièrement. Je ne l'ai pas fait sur Portrait de la Jeune Fille en Feu parce que c'était des costumes d'époque, donc ce n'était pas possible. Mais c'est aussi une façon pour moi de commencer à nouer une collaboration avec les actrices, à un moment où l'on ne répète pas. J’habille les personnages et on noue un dialogue là dessus. C'est une façon pour moi de commencer la relation avec les acteurs du film. Pour moi, les costumes, c'est pas strictement comment les personnages sont habillés, c'est aussi une partie de la matière, de l'image du film. Le fait de faire les costumes, je les fais très en amont pour choisir les couleurs. Et du coup, j'arrive avec les costumes comme première indication du nuancier du film, de quoi va être faite l'image. La discussion avec la cheffe opératrice et le chef décorateur se fait aussi autour des costumes.

Comment crée-t-on une relation de travail avec de si jeunes actrices ?

En leur faisant totalement confiance. C'est-à-dire que moi, par exemple, pour le casting je n’ai vu qu’elles. Je n’ai pas mis de compétition entre plusieurs enfants possibles. Je ne leur ai pas fait tester des choses devant la caméra pour les choisir. On a choisi autour de l’idée du film, de leur envie de faire le film. Il y a eu la possibilité de faire ça. 
Après faire à ce point confiance aux gens cela peut leur mettre la pression. Je suis consciente de ça. Il faut vraiment assumer de travailler exactement comme je travaille avec tous les acteurs et actrices. C'est-à-dire partager les idées, ne pas tenter d’obtenir des choses autrement que par vraiment le travail de faire un film. Je pense que quand on donne de l'autonomie et de la confiance à un enfant, il se sent en confiance. Ensuite il faut être à la hauteur de la confiance que les enfants vous donnent. La confiance est là dès le départ avec les enfants. Après c’est comment être à la hauteur de leur confiance. J’ai aussi cette chance qui est que comme j’ai déjà souvent travaillé avec des enfants, les enfants qui viennent pour faire mes films, ils savent pour quel cinéma, quel type de cinéma ils viennent. Ils viennent aussi pour faire ce film là. Ça aussi, c’est quelque chose je pense d’une confiance. Confiance dans le regard, j’aime bien ce regard, je veux bien que l’on me regarde comme ça. Ça me donne également confiance, leur confiance.

 

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Joséphine Sanz et Nina Meurisse

 

Il y a un élément important dans votre film, c’est une cabane. Que représente cette cabane pour vous ?

J’ai choisi l’idée qu’elles fassent une cabane avant tout, pas temps pour des questions symboliques mais parce que je crois que c’est vraiment un fantasme commun à toutes les enfances. Il n’y a pas qu'une enfance. Je crois que c'est un fantasme fédérateur, de se construire un abri comme ça ensemble et de jouer à la maison. Dans cette idée de maison commune qu’elles font, cela contient bien des sujets et des dynamiques du film. Je me souviens vraiment de ce désir de construire des cabanes… qui était souvent décevant en plus parce qu’on était pas super compétent. Je pense que c’est un rêve commun d’enfance, d’aventure qui combine toutes les époques, les enfants d’aujourd’hui ont autant envie de faire des cabanes que les enfants d’il y a plusieurs siècles.

S'il fallait résumer le cinéma néo-zélandais à l’international, trois noms me viennent à l’esprit, Jane Campion, Peter Jackson, Taika Waititi. Que vous inspirent ces trois noms ?

Cela m’inspire trois choses assez différentes. Jane Campion évidemment son cinéma, son existence, le rayonnement de son cinéma, sa palme d’or, change ma vie, change nos vies. La Leçon de Piano, c’est pour le film et le succès du film, un moment de bascule dans les projections que l’on peut faire de nous mêmes comme femmes cinéphiles comme jeunes filles cinéphiles qui rêvent de faire du cinéma. D’un coup, Jane Campion ouvre un espace, d’abord à travers ses films, et ensuite du fait que ses films ont un impact et surtout la longévité de ce dialogue. Tous ces films sont importants.

Peter Jackson, c’est un cinéaste qui a beaucoup compté aussi, notamment avec un de ses premiers films Heavenly Creatures, Créatures Celestes avec Kate Winslet. Il y avait une romance lesbienne entre deux adolescentes, c’’était extrêmement rare, c’était des images que je recherchais. Peter Jackson, même si évidemment j’adore le Seigneur Des Anneaux, j’ai beaucoup aimé ça, il est d’abord lié à Créatures Célestes. Taika Waititi je l’ai rencontré dans le “Awards Season” parce que l’on avait des films au même moment. C’est une personnalité contemporaine hyper importante qui amène de la comédie et de la politique d’une façon ultra contemporaine. Le point commun de ces talents c’est quand même d’être absolument locaux avec leur films qui viennent de Nouvelle Zélande. Mais dans les talents qu’ils révèlent, dans la façon dont ils se déploient dans le monde, il y a quelque chose qui influence le cinéma de manière super forte avec un réel  impact culturel.

 

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Stéphane Varupenne et Joséphine Sanz

 

Depuis quelques années, des voix s’élèvent contre un cinéma jugé de plus en plus standardisé. Va-t-on vers la fin de la singularité au cinéma ?

Le cinéma a toujours fonctionné avec l’idée de solidarité entre un art et une industrie. On voit que cette solidarité se dégrade. Les films qui ont plus d’exposition sont toujours un peu les mêmes. Pour autant, c’est le rapport de force entre ces choses là qui est en train de se creuser. Mais ça fait des années. Pour autant les produits qui s’exportent y compris les produits français qui s’exportent, peuvent être aussi standardisés par moment. Il se trouve que la France produit énormément de films et qu’elle a une politique d'exportation de ses films très importante. Une politique qui est pensée avec ses circuits et là dedans, ça fait également voyager l’avant garde, les films d’auteurs et aussi des films qui sont destinés plus à de l’export. C’est un tout, un rapport de force entre cinéma opportuniste de celui avec de la vision. Il y a plein de rapport de force au sein de ces choses-là. Cela pose véritablement la question de comment on définit le Cinéma. Si on ne veut pas juste regretter la disparition de l'expérience du cinéma en salle, si on conditionne l'existence du Cinéma à la condition de la projection du film, on est perdant. Mais je pense que la définition du cinéma est plus grande et plus vaste. On est au cœur d’une transformation. Il faut être très vigilant, il faut être très actif. Comment être active ? En étant mobile, en n’étant pas nostalgique et en continuant à proposer des formes.

À découvrir sur grand écran dans une trentaine de salles à travers la Nouvelle Zélande. Vive le Cinéma.

 

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