Fondée en 1846, l’École Française d’Athènes a pour objectif d’étudier les territoires de l’hellénisme, des origines à nos jours. Grâce à son centre de recherche, sa bibliothèque contenant plus de 90.000 documents ou encore son parc technologique, l’EFA s’impose aujourd’hui comme l’une des références de la recherche en sciences humaines ici en Grèce. Rencontre avec Véronique Chankowski, directrice de l’EFA depuis 2019, professeure d’histoire grecque à l’université Lyon II et spécialiste de l’histoire économique du monde grec ancien.
L’EFA, au cœur de deux siècles d’amitié franco-grecque
Porter le titre de premier institut français implanté à l’étranger tout en portant celui de premier institut étranger implanté en Grèce n’est pas anodin. Et la directrice de l’EFA, Véronique Chankowski, en a pleinement conscience. Elle rappelle qu’à l’époque de la fondation de l’école, « il y avait un grand soutien international à l’indépendance de la Grèce, qui était une volonté partagée ici. » Retour en arrière : entre 1828 et 1833, en pleine guerre d’indépendance grecque, la France participe à l’expédition de Morée, un corps militaire et scientifique envoyé dans le Péloponnèse. Comme pour la campagne d’Égypte de Bonaparte, cette mission associe action militaire et découverte savante. Sur place, les scientifiques français prennent conscience de l’immensité du patrimoine archéologique grec encore inexploré. « C’est une époque où l’archéologie n’existe pas encore en tant que discipline. On part vraiment de l’exploration. Nous sommes pionniers dans cette dynamique », explique la directrice. Dans ce contexte, la création d’un institut permanent à Athènes devient une évidence, en dialogue avec le nouvel État grec, qui a très tôt la volonté de protéger et d’étudier son patrimoine. L’ÉFA est officiellement fondée en 1846.
Enracinement made in France
Au-delà de son caractère pionnier, l’EFA reste aujourd’hui un haut lieu de recherche, de formation et de coopération. L’insertion dans le tissu grec est profonde : « Les chercheurs rencontrent les locaux, les ouvriers des fouilles, les personnels de musée, les archéologues grecs. C’est un travail commun, un enracinement scientifique et humain. »
Le rapport à la Grèce contemporaine ne date pas d’hier : dès ses premières décennies, l’Ecole mène des enquêtes ethnographiques, des études de terrain et participe activement à la construction des savoirs sur la Grèce moderne. La spécificité de l’EFA tient justement à sa double approche : passé et présent, Antiquité et contemporanéité, archéologie et anthropologie. Aujourd’hui, l’ÉFA fait partie d’un réseau de 20 instituts archéologiques étrangers en Grèce, et reste un acteur central. Elle est l’un des cinq établissements du réseau des Écoles françaises à l’étranger (EFE) avec Rome, Le Caire, Hanoï (École française d’Extrême-Orient) et Madrid (Casa de Velázquez). Ces écoles, toutes sous tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ont pour particularité d’être implantées sur le terrain, au plus près des sociétés étudiées. Véronique Chankowski, qui assure cette année la présidence tournante du réseau, précise : « C’est un hub de savoir, le point central d’un réseau international de chercheurs. »
Et demain, quelle relève ?
Parmi ses missions essentielles, l’EFA forme les chercheurs de demain. Chaque année, plus de 1 000 personnes passent par ses locaux ou ses chantiers : doctorants, post doctorants, stagiaires, chercheurs confirmés. Une partie d’entre eux bénéficie de bourses de recherche. D’autres rejoignent les équipes sur les chantiers archéologiques, à Délos, Delphes, Thasos, Malia, Philippes ou encore Apollonia en Albanie et Amathonte à Chypre.
L’Ecole accueille également des stagiaires dans tous les métiers d’appui à la recherche : photographes, topographes, informaticiens, restaurateurs, bibliothécaires, archivistes, éditeurs, personnels de communication, administrateurs. « Beaucoup de métiers découlent de la recherche », insiste la directrice. Et pas seulement ceux du chercheur ou de l’archéologue. Tous les métiers nécessaires au fonctionnement d’un centre de recherche y sont représentés, dans ce qu’elle qualifie de véritable « ruche ». La bibliothèque de l’EFA, spécialisée en archéologie et en sciences de l’Antiquité, est l’une des plus riches d’Athènes. Elle attire de nombreux chercheurs du monde entier, venus y consulter des sources rares, des archives numérisées et des publications scientifiques.
Une école dans son temps : conférences, publications, mécénat
Loin d’être un temple fermé, l’ÉFA est très active dans la diffusion du savoir. Elle organise régulièrement expositions, conférences et colloques ouverts au public. Parmi les plus marquants : des expositions avec le Louvre (« Paris-Athènes »), sur les Jeux olympiques, les 175 ans de l’EFA, ou encore une collaboration avec la fondation NEON autour de l’art contemporain. Des expositions sont également accueillies dans les jardins de l’école. Pour rendre ses travaux plus accessibles, l’EFA édite la collection Épitomé, en français, grec et anglais, qui présente des recherches synthétiques pour un large public. Elle participe aussi activement à la politique de science ouverte, mettant à disposition ses archives, cartes, bases de données et publications via internet. Et parce que la recherche nécessite aussi un soutien financier pérenne, l’EFA a mis en place un dispositif de mécénat. Ouvert à tous — particuliers, entreprises, associations —, ce système permet de soutenir les missions scientifiques de l’Ecole tout en bénéficiant d’avantages fiscaux. Une association des amis de l’ÉFA permet de suivre l’actualité de l’établissement.
Une directrice engagée dans la société
Professeure d’université, archéologue, spécialiste du monde grec antique, Véronique Chankowski connaît l’EFA de l’intérieur : elle y a été membre scientifique dans ses jeunes années. Aujourd’hui, elle dirige aussi ANCHISE, un grand programme européen de lutte contre le trafic d’antiquités, financé par Horizon Europe. Ce projet, né d’une collaboration avec Interpol et l’École nationale supérieure de la police, mobilise policiers, douaniers et archéologues. « Il y a toujours une place pour la recherche, même dans les domaines les plus sensibles comme la lutte contre le pillage. La France a su développer un réseau d’institutions de terrain, stable, structuré, efficace. C’est une vraie force dans le monde académique », affirme-t-elle.
Une mission intemporelle
Chercher pour mieux comprendre, comprendre pour mieux transmettre : tel est le credo de l’École Française d’Athènes. À l’approche de ses 180 ans, elle continue de conjuguer tradition et innovation, passé et avenir, savoir et engagement civique. Dans le respect des terres grecques et de leur histoire, l’EFA poursuit son rôle de passerelle intellectuelle entre la France, la Grèce et le monde.
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