Nous profitions récemment de la date anniversaire des 50 ans de la mort de Franco pour aborder le travail de Robert Capa, photo-journaliste, pionnier et presque unanimement reconnu comme le père de cet art. Gerda Taro, sa compagne, était également mentionnée dans l’article … mais son oeuvre est passée à la trappe de l’histoire pendant longtemps au profit de celle de son compagnon. Permettons-nous ici de braquer les projecteurs sur la non moins illustre Gerda Taro, photo-journaliste, militante et antifasciste.


Qui est Gerda Taro ?
Gerda Pohorylle naît le 1er août 1910 à Stuttgart en Allemagne. Elle fait très jeune partie de groupe de gauches anti-nazis, et ira même jusqu’à faire un séjour en prison en 1933 après avoir été arrêtée pour distribution de tracts. C’est à la fin de cette même année qu’elle quitte l’Allemagne pour la France, et l’année suivante, en 1934, elle commencera à travailler pour l’agence Alliance-Photo. C’est en 1935 qu’elle fait la connaissance d’un photographe d’origine hongroise avec qui elle va travailler et entretenir une relation amoureuse. Leurs carrières peinent pour autant à décoller avant que Gerda n’ait l’idée suivante : faire adopter à son compagnon le pseudonyme de Robert Capa, et à elle-même le nom de famille de Taro.
C’est avec ses nouveaux noms qu’ils partent pour l’Espagne en 1936 pour couvrir la guerre civile, et Taro a alors une idée claire : très politisée, elle veut partager les combats, et les victoires, des républicains espagnols. Ils travailleront ensemble en Espagne, possédant la même approche : une volonté que la photo parle d’elle même, soit universelle et pas une simple illustration accompagnant du texte. Taro et Capa traiteront ainsi la lutte des miliciens républicains pour la liberté face au fascisme pendant près d’un an, avec en commun cette volonté d’être au plus proche de l’action, de ne pas se satisfaire d’immortaliser la scène depuis un lieu sûr mais d’aller sur le terrain aux côtés des soldats et soldates. Elle axera également une part de son travail sur la documentation des victimes civiles, femmes & enfants, et sur les nouveaux comportements révolutionnaires qui sont semblables mais pourtant radicalement différents de ceux des civils en temps de paix.

L’histoire de Gerda Taro sera hélas coupée court en 1937, alors qu’elle revenait d’un reportage de conflit dans les alentours de Madrid, à Brunete. Durant la retraite républicaine, un tank la heurte et l’écrase, et elle trouvera la mort le lendemain, devenant ainsi la première femme photographe de guerre à avoir trouvé la mort pendant un reportage. Son corps sera rapatrié en France par les cercles communistes qu’elle fréquentait à Paris, et sera enterré au Père Lachaise, où Pablo Neruda et Louis Aragon prononcent son éloge funèbre. C’est ainsi que s’éteint Gerda Taro à 27 ans seulement, femme illustre qui sera pourtant restée longtemps dans l’ombre de son compagnon Robert Capa. Ce dernier publiera en 1938 un livre à sa mémoire, Death in the Making, rassemblant les photographies prises en commun, ouvrage qui est pourtant signé du nom de Capa uniquement. Dans la suite de cet article, nous verrons comment la mémoire et les travaux de Gerda Taro sont revenus bien après sa mort sur le devant de la scène.
La valise Mexicaine
Ce titre peut paraître fort énigmatique, d’autant plus si l’on ajoute qu’il ne fait en réalité pas référence à une valise, et que ce qu’elle désigne ne provient pas du Mexique. Il s’agit en fait de trois boîtes, lesquelles contiennent plus de quatre mille négatifs issus des travaux de quatre photographes : Robert Capa, Gerda Taro, et deux de leurs collaborateurs : Chim & Stein. Cette valise tient son qualificatif du lieu où ont été retrouvés les négatifs : à Mexico. En effet, par un coup du destin, les archives des quatre photographes ont été amenées sur un autre continent depuis Paris, où Capa gardait ses archives dans un studio rue Froidevaux. Ayant dû fuir le pays face à la menace nazie, il aurait confié ses archives à un ami, lesquelles seraient passées de main en main pour finalement terminer dans celles d’un consul mexicain qui les auraient ensuite ramenées au pays. Mais ce qui nous intéresse ici est plutôt le contenant de ses boîtes que leur histoire.
À l’intérieur des boîtes, les négatifs sont numérotés, étiquetés avec le sujet des reportages, et une initiale faisant référence au photographe qui a pris les photos. Seulement, voilà le hic : certains films sont étiquetés “C” ou “Capa”, alors que nul doute n’est permis, c’est bien Gerda qui a pris ces photos. Comment en être aussi sûr ? Outre les sujets représentés, et la localisation des reportages, les photos sont distinctes de par le fait suivant : jusqu’en février 1937, si Gerda Taro utilisait un appareil dont les formats d’images étaient carrés, Capa utilisait un Leica dont les photos sont rectangulaires. Après cette date en revanche, les deux photographes ayant changés d’appareil, il est moins aisé de différencier leurs travaux.

S’il n’est pas dit que l’attribution de ces photos à Capa est mal-intentionnée, l’on pourrait également supposer par exemple qu’il s’agissait d’un moyen de faire vendre plus facilement les tirages de la photographe, il n’en est pas moins que ces trouvailles plus récentes permettent à la postérité de rendre à César ce qui appartient à César, et à Gerda Taro les mérites pour les travaux de haute qualité qu’elle a su produire de son vivant.
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