Interrogé sur la situation économique et les difficultés subies par le secteur des bars à Hong Kong, l’entrepreneur Allan Zeman, souvent appelé "le père de Lan Kwai Fong" devenu le conseiller économique spécial de Carrie Lam indique être confiant dans l’avenir et la capacité pour Hong Kong à surmonter l'épisode actuel. Homme d'affaire implanté en Chine, il nous livre sa vision sur le développement chinois et le nouveau rôle appelé à jouer pour Hong Kong.
Propos recueillis par Didier Pujol
"Une crise temporaire pour Hong Kong"
Hong Kong traverse une période difficile. Comment voyez-vous la situation?
C’est vrai que Hong Kong vit un passage compliqué: les commerces ont été très impactés par l’agitation de 2019-2020 et les secteurs des bars restaurants et de l’immobilier subissent le contrecoup des fermetures sur une durée encore inédite. Les propriétaires ont un manque à gagner et les patrons de commerce sont au bord du dépôt de bilan pour un très grand nombre. Les aides du gouvernement des 6 derniers mois ont permis d’éviter le pire mais cette quatrième vague plonge à nouveau les exploitants de bars dans l’incertitude. Dans mon rôle de conseiller économique auprès de la Chief Executive Carrie Lam, je milite pour que le combat contre le covid ne se fasse pas au détriment du monde des affaires. Il faut maintenir un équilibre en . soutenant l’activité et l’emploi.
Combien de temps vont encore durer les fermetures?
Aujourd’hui, malgré un nombre assez bas de cas, une quarantaine, le gouvernement continue de limiter les rassemblements. L’objectif est la réouverture des frontières avec la Chine continentale qui est le ballon d’oxygène naturel de Hong Kong. C'est donc une bonne mesure. Pékin craint que l’ouverture précoce des frontières ne ruine les efforts de la Chine pour juguler la pandémie au niveau national. Il est donc indispensable que Hong Kong obtienne des résultats comparables à ceux du continent dans les régions limitrophes de Hong Kong. C’est pour cela que la période à risque du Nouvel An est critique afin qu’il n’y ait pas d’explosion des cas. Au delà, je suis partisan d’une réouverture des commerces au public, quitte à fermer tel ou tel établissement si des cas sont détectés pendant 10 jours pour désinfection en traçant les cas issus de ce cluster. Par contre, je ne suis pas favorable au fait d'étendre les mesures à tout un secteur d’activité pour un seul cluster. C'est le point de vue que je soutient auprès de Carrie Lam car il faut que les entreprises puissent retrouver un niveau de revenus suffisant. Dans le cas contraire, le poids économique et social des fermetures va devenir insupportable.
"La Grande Baie pèse autant que la Corée du sud"
Quelles sont les raisons de rester optimiste?
Ce n’est certainement pas la première difficulté traversée par la ville. Depuis 50 ans que je suis installé ici, la ville a connu bien d’autres vicissitudes tels les changements et adaptations qui ont suivi la rétrocession de 1997, la crise du SARS, entre autres ... À chaque fois, on a prédit à tort la fin de Hong Kong et celle-ci s'en est remis et a continué à prospérer. Nous sommes confrontés aujourd’hui à une nouvelle phase d’adaptation. L’entrée dans le projet de la Grande Baie, qui a été retardée par les manifestations et la fermeture des frontières, est une opportunité fantastique pour Hong Kong qui va continuer à jouer à plein son rôle de pôle financier, Shenzhen devenant quant à elle leader pour le secteur des technologies au sein d'un espace comprenant 11 grandes villes à 1h30 les unes des autres soit 70 millions de personnes contre 7,5 millions aujourd'hui à Hong Kong. La GDP 2019 a représenté 1650 milliards de dollars US soit le revenu de la Corée du Sud. C'est donc un pôle économique majeur dont Hong Kong va faire partie intégrante, cette zone devenant aussi la plus attractive de Chine et la Chine ayant toujours besoin de Hong Kong et de son statut particulier pour continuer à effectuer des transactions financières et exporter.
Qu'en est-il du secteur du tourisme jusqu'alors une source importante de revenus?
L’attrait touristique de la ville n’est en rien impacté par la crise actuelle: le territoire possède deux parcs d’attraction majeurs avec Disney et Ocean Park, des musées de premier ordre avec le développement du pôle culturel de West Kowloon. De tout temps, Hong Kong a attiré les visiteurs du monde entier et elle continuera de le faire. Avant toute chose, Hong Kong est une marque. L’intégration à la Chine est un processus logique et ce fait ne change en rien l'attractivité de Hong Kong que l'on continuera de visiter comme on le fait pour Paris ou Shanghai.
"La loi de sécurité nationale apporte la stabilité"
Quel impact a la reprise en main par Pékin a-t-elle pour les entreprises étrangères?
La Loi de Sécurité Nationale est très une bonne chose pour Hong Kong. La plupart des pays dans le monde ont des lois similaires destinées à assurer la sécurité du pays et la stabilité vis à vis des activistes. Sur ce plan, les États Unis sont mal placés pour donner des leçons quand on voit la répression des troubles politiques récents. A ce titre, pour beaucoup de minorités ou de gens dépourvus d'accès à la couverture sociale, l'American dream s'est transformé en American nightmare.
A Hong Kong, la Chine a décidé d’intégrer les nouvelles lois dans la mini-constitution en respectant le principe "un pays deux systèmes". Plutôt que d’envoyer l’armée pour faire cesser les troubles, le gouvernement central a passé 6 mois à rédiger ces lois pour garantir l’intégrité du pays et ramener le calme à Hong Kong. Dans "un pays deux systèmes", beaucoup de gens ont tendance à éluder un paramètre essentiel pour la Chine à savoir "un pays", qui vient en premier car quand la stabilité du pays est en danger, rien d’autre n'est possible.
Pensez-vous que les problèmes politiques soient réglés?
La crise qui vient de se dérouler est à la base une crise identitaire, liée aux inquiétudes des jeunes nés après 1997 qui n'ont pas reçu d'éducation nationale. Confrontés à la difficulté de vivre à Hong Kong avec leurs premiers salaires, souvent insuffisants pour acheter un appartement ou se marier, ils se sont fait manipuler par les réseaux sociaux où s'activent des groupes soutenus financièrement par l'étranger. Certes, aujourd'hui, les problèmes sociaux et identitaires de Hong Kong ne sont pas encore réglés, mais les perspectives économiques ouvertes par la réalisation marché de la Grande Baie vont permettre de sécuriser le futur commun de Hong Kong. Les manifestations ont eu pour effet de réveiller tout le monde et elles sont une raison de plus pour accélérer les changements qui ont pris du retard.
"La guerre commerciale a profité à la Chine"
Comment les élections américaines vont changer la donne?
Joe Biden a 47 ans d'expérience comme politicien et il connait la Chine, ce qui n'était certainement pas le cas de Donald Trump. Il sera cependant difficile pour lui d'être très actif sur le plan international avant un certain temps, la crise sanitaire américaine étant particulièrement grave et les cicatrices laissées par l'administration précédente devant être refermées. Avec une élection aussi tendue, la grande difficulté va être d'unir le peuple américain, ce qui n'est apparemment pas simple, vu que Trump a tout de même obtenu la moitié des suffrages avec 75 millions de votes et que beaucoup de trumpistes continuent de croire à la fraude électorale. Les démocrates vont augmenter les impôts que Trump avait baissé de 21% et les générations futures vont devoir payer pour le déficit abyssal. La seule chose est que pour l'instant, le dollar n'ayant pas de compétiteur, il suffit pour les Etats Unis de faire marcher la planche à billets pour continuer à se financer, ce qui va changer quand d'autres monnaies vont s'imposer.
A terme, Biden sait que les Etats Unis ont besoin de la Chine et il est probable qu'il reviendra sur une partie des mesures prises par Donald Trump, comme il va devoir le faire avec de nombreux pays avec lesquels l'administration Trump s'est brouillée. Face à la domination des Etats Unis, la Chine est en train de monter, forte de ses bons résultats économiques et de son système solide. La guerre commerciale entamée par Trump a non seulement mis à jour les faiblesses américaines mais a aussi mis en évidence ce que la Chine devait améliorer, en diminuant sa dépendance aux exportations et en développant son marché domestique.
Hong Kong peut-elle profiter des changements?
Ayant travaillé longtemps dans la fabrication de produits en Chine pour l'exportation, je sais que la Chine a longtemps fonctionné sur le différentiel de coût entre la marché local et les marchés occidentaux sans avoir pour cela besoin de subventionner ses exportations. Le nouveau plan de 5 ans met le focus sur le marché intérieur de 1,4 milliard de personnes dont 700 millions de consommateurs potentiels dans la classe moyenne, mettant à l'abris la Chine d'une nouvelle guerre commerciale. Concernant les technologies, les limitations et contrôles sur les importations et achats, conduisent la Chine à booster sa propre industrie dans les domaines de fabrication de puces ou de composants pour les hautes technologie en aidant les entrepreneurs locaux à monter en puissance, ce qui devrait amener la Chine à être auto-suffisante dans de secteur dans 4 ou 5 ans. De même, l'impossibilité pour les entreprises chinoises de se financer sur les marchés américains les ramène finalement sur le marché financier de Hong Kong.
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