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Cuba - Espagne : une longue histoire d'amour... et de déconvenues

cuba espagnecuba espagne
Fidel Castro et Felipe González, en 1984, à la Moncloa / DR
Écrit par Quentin Gallet
Publié le 18 juillet 2021, mis à jour le 19 juillet 2021

Cuba est en proie à une forte agitation ces temps-ci. De l’autre côté de l’Atlantique, l’Espagne regarde ces événements avec un mélange de neutralité feinte, de plaisir non-boudé ou de malaise à peine dissimulé. Chacun tient son rôle et y va de sa déclaration. Il faut dire que Cuba, colonie espagnole pendant quatre cent ans, n’est pas n’importe quelle île pour Madrid. Les liens hispano-cubains se tissent à la fin du Moyen Age jusqu’à nos jours. Une histoire longue et mouvementée.

 

Nous sommes le 28 octobre 1492.  L’actuelle île de Cuba est habitée par les Tainos, peuple autochtone, quand Christophe Colomb y pose le pied. La plus grande île des Caraïbes est alors baptisée Juana, en référence –selon les sources– au fils ou à la fille des Rois Catholiques, Isabelle et Ferdinand. 
 

Le conquistador Diego Velázquez
Le conquistador Diego Velázquez / DR


Dans les années qui suivent, Diego Velázquez (le conquistador et non le peintre !) se rend totalement maître de Cuba. Très vite, les Espagnols profitent de l’importance stratégique de l’île qui est notamment le point de départ la conquête du Mexique aztèque par Cortés. Ils y fondent également la Havane et Santiago. 
Les conquistadores, en quête d’or, sont un peu déçus par les piteuses ressources de l’île. Son climat est toutefois tout à fait est propice au développement d’une économie de plantations : le fameux tabac et le sucre. Cette dernière denrée est continuellement exploitée par les Espagnols au cours du XVIIe siècle avant de s’épanouir pleinement au XVIIIe siècle. 
De plus, l’embrasement révolutionnaire de l’île voisine de Saint Domingue -des suites de la Révolution française- fait de Cuba le premier producteur de sucre au monde. La présence d’esclaves originaires d’Afrique subsaharienne dans les plantations s’accroit fortement. 

 

Plantation sucrière à Cuba
Plantation sucrière à Cuba / DR

De la fin de l'esclavagisme dans les colonies espagnoles à l'indépendance de Cuba

Après la vague d’indépendance des colonies espagnoles dans les années 1810 et 1820, qui voit notamment le Mexique se séparer de Madrid, Cuba reste dans le giron espagnol. Il faut dire que les liens commerciaux hispano-cubains sont vivaces, contentant l’élite marchande de l’île.
Seulement, les commerçants de Cuba ne peuvent s’empêche de lorgner sur l’immense marché américain dont l’accès et rendu compliqué par la jalouse –et lointaine– métropole.
Les Etats-Unis d’Amérique le comprennent parfaitement et attise en sous main les vélléités d’indépendance. De manière significative, un Parti Révolutionnaire Cubain est créé à New York. 
Une première étincelle s’allume aux lendemains de la Révolution espagnole de 1868. Le conflit, surtout ancré dans l’est de l’île, durera dix années et se soldera par la défaite des insurgés cubains. Ces derniers retenteront leur chance l’année suivante, sans plus de succès que la démonstration de visées indépendantistes de plus en plus fortes.
Surtout, et cette décision bouleversera le jeu politique de l’île, en 1882, l’esclavage est aboli dans les colonies espagnoles. Les grands propriétaires, traditionnellement fidèle à Madrid sont furieux et rejoignent les insurgés. Une troisième offensive indépendantiste, plus nourrie cette fois, est lancée en 1895. Le gouvernement colonial vacille et est contraint de concéder un statut d’autonomie à Cuba en 1897.
Enfin, l’incident du cuirassé américain Maine provoque l’entrée en guerre des Etats Unis d’Amérique, qui n’attendaient que ça, aux côtés des insurgés cubains.

L’épave du cuirassé américain Maine au large de La Havane
L’épave du cuirassé américain Maine au large de La Havane / DR


S’en suit une guerre hispano-américaine, perdue rapidement par l’Espagne. Le traité de Paris sanctionne la perte de Cuba, de Puerto Rico et des Philippines qui deviennent tous trois des territoires étasuniens. Cuba ne deviendra pleinement indépendante qu'en 1902.
Alors que l’Europe est en pleine période coloniale, l’Espagne se retrouve dépossédée. La perte définitive de la colonie aura des conséquences majeures dans la politique intérieure espagnole. Un secteur revanchard de l’armée attendra dans l’ombre son heure afin de restaurer la grandeur de l’Empire vaincu. 

La Cuba de Castro et l'Espagne de Franco, dans les bourrasques de la Guerre Froide

Même indépendante des Etats Unis, ces derniers continuent d’exercer une influence, qui confine à la tutelle, de l’ancienne colonie espagnole. Néanmoins, la situation change radicalement lorsque le général Batista, homme fort de La Havane et pro-américain, est renversé par un mouvement révolutionnaire mené par Fidel Castro. 
L’Oncle Sam assiste alors avec stupéfaction à l’installation d’un régime communiste au large de ses côtes alors que la Guerre Froide entre Etats Unis et URSS tétanise le monde de l’après guerre. Les présidents américains Eisenhower puis Kennedy imposent un blocus commercial à l’île castriste qui résiste, aidée par le « grand frère » soviétique. 

 

Fidel Castro
Fidel Castro / DR


De l’autre côté de l’Atlantique, l’Espagne du général Franco est dans une situation compliquée caractéristique de celle d’une métropole à l’égard d’une colonie qui a pris le large après quatre siècles en commun. 
D’un côté, l’idéologie franquiste est viscéralement anticommuniste, la haine des « rouges » ayant notamment fait office d’étendard pendant la Guerre Civile (1936-1939). Aussi, le nouveau régime cubain, mis en place par Fidel Castro et béni par l’Union Soviétique a tout pour irriter le Caudillo. De plus, l’Espagne a officieusement été réadmise dans le concert des nations au moyen d’adoubement par les Etats-Unis, adoubement lui-même conditionné par la conclusion d’accords militaires comprenant l’hébergement de bases militaires américaines en terres ibériques

D’un autre coté, les relations hispano-cubaines ne furent pas sectionnées comme on pourrait le penser au lendemain du basculement de l’île dans le socialisme d’Etat. Au contraire, pendant les années les plus tendues du blocus commercial, l’Espagne, faisant fi des pressions américaines, continuera de commercer avec l’île et maintiendra la liaison aérienne Iberia
Une attitude qui ne sera pas oubliée de l’autre côté de l’Atlantique, comme en témoigne cette très étonnante consigne du pouvoir cubain à la mort de Franco. Trois jours de deuil officiels furent décrétés, même si l’information n’aurait pas dû passer en Occident. Toutefois, de manière plus directe, le leader communiste cubain rendra hommage au Généralissime en 1978 lors de la visite d’Adolfo Suarez (premier premier ministre de la Transition) à la Havane pour avoir su résister aux pressions « impérialistes » de l’Amérique. Castro mentionnera même la Galice comme lien entre les deux hommes : le père du révolutionnaire en était originaire tout comme Franco. 

Des décennies plus tard, face à aux troubles populaires qui secouent Cuba, chacun dans le paysage politique espagnol a endossé son rôle : la droite fustige la dictature communiste qui oppresse le peuple tandis que la gauche au pouvoir refuse, non sans malaise, d’employer ce terme. 
Ces empoignades et la profusion des débats sur la situation outre-Atlantique témoignent d’une permanence des liens anciens et complexes qui demeurent entre l’Espagne et son ancienne colonie.

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quentin gallet
Publié le 18 juillet 2021, mis à jour le 19 juillet 2021