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En 1969, mes premiers pas à Madras

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Mount road, carrefour Spencer’s, Chennai en 1970
Écrit par Alain Guillaume
Publié le 22 juin 2020, mis à jour le 19 décembre 2023

1969, Madras. Alain est un jeune étudiant parachuté en Inde à la fin de son cursus universitaire. Une experience qui le marquera à jamais. Plus de 50 plus tard il partage ses souvenirs de Madras sur lepetitjournal.com, un régal !

Après avoir raconté comment il avait atterri à Madras il y a 50 ans, Alain se confie sur ses premières impressions, diapos à l'appui... (ndlr, ce sera par habitude que l’auteur utilisera dans ses rétrospectives le nom "Madras » ainsi que les noms de lieux anglais courants à l’époque, qui n’avaient pas encore été "indianisés").  

 

Premiers pas dans la ville

Je comptais bien partir à la découverte de Madras dès le lendemain de mon arrivée, mais ma hiérarchie en a décidé autrement. L’ouverture du Festival du Film Français a lieu ce samedi et la petite délégation française ne parlant pas anglais, je vais prendre en charge le metteur en scène Jean-Daniel Simon et l’actrice Bulle Ogier, et faire fonction d’interprète. Journée de conférences et cérémonies diverses, très enrichissante mais épuisante, j’aurai l’occasion d’y revenir.

 

Gemini Consulat USA
Gemini, Consulat USA, Chennai 

 

Ce dimanche matin, enfin libre, je vais parcourir la ville à pied, Mount road pour une bonne partie, de Gemini Circle jusqu’à Wallajah road, et c’est un choc. Chaleur humide, le soleil est presque à la verticale et j’ai l’impression qu’il m’en veut personnellement. Beaucoup de détritus sur les trottoirs défoncés, certains sont rassemblés dans de gros cylindres de béton avant d’être brûlés, ajoutant à l’odeur des caniveaux ; présentes un peu partout, des chèvres s’en repaissent ou dégustent des affiches fraîchement collées. Quelques vaches ou buffles errent sur la chaussée. Tout le commerce semble se faire dans de petites échoppes, et ma notion occidentale de magasins est mise à mal, même si dans cette grande ville ceux-ci existent aussi. La foule des passants est dense, très hétéroclite, du coolie crasseux au brahmane en dhoti immaculé ; les femmes ont un maintien et une allure remarquables, quels que soient leur âge ou leur origine ; saris de soie ou de coton impeccables, festival de couleurs, longues tresses de cheveux noirs ornées d’un mallipu de jasmin odorant. Quand on croise un regard, on échange un sourire – ça change du métro – sourire qui éclairera mon long séjour en Inde du sud.

 

Mount road près le la mosquée Thousand Lights
Mount road près le la mosquée Thousand Lights, Chennai 

 

Quantité de mendiantes et mendiants de tous âges prospectent les trottoirs, de la bande de gamin de tous âges à la vieille femme en haillons. Ils ont bien évidemment repéré l’occidental-tirelire-ambulante que je suis à leurs yeux : "Baksiss, Dorai ! ", "No Papa, no Mama, Verry Ungrry, Mâster !", "Change your money ?". Cela deviendra un jeu et au cours des semaines nous apprendrons à nous connaître.

 

 

Et après quelques semaines d’immersion…

 

J’ai pu mieux prendre la mesure de cette ville qui échappe totalement à nos critères occidentaux et laisse le voyageur très désorienté. Contrairement à Bombay ou Calcutta, elle donne l’impression d’une cité de province, insouciante, très aérée, on y ressent une agréable sensation d’espace. C’est un assemblage assez lâche de villages traditionnels, avec encore quelques champs et des bouquets de cocotiers. Au milieu, de nombreux ilôts urbanisés (Mylapore, Fort Saint-Georges, etc …) et des quartiers résidentiels plus récents. De St Thomas Mount au Fort St George, Mount road est l’axe principal ; y aboutissent quelques artères où sont situés les principaux commerces, les banques, les compagnies aériennes. Petit à petit, une urbanisation anarchique reliera tous ces quartiers. Les grands édifices anciens datent de la colonisation, le bâtiment récent le plus élevé est celui de LIC dans Mount rd.

 

Mount road, carrefour Spencer’s
Mount road, carrefour Spencer’s, 1970 à Chennai 

 

La circulation dans les axes principaux est fluide, peu de voitures particulières, de nombreux autobus (surchargés aux heures de pointe), beaucoup de taxis mais bizarrement peu d’auto-rickshaws. Les cycle-rickshaws sont légion et il reste pas mal de pousse-pousse à l’ancienne. La bicyclette est reine. Un premier "fly-over" fera son apparition dans les années 1980 à Gemini circle.

 

armenian chennai rickshaw india
l’heure de la sieste pour l’un des nombreux rickshaws à Chennai en 1969

 

On peut stationner sans grande difficulté, et traverser Mount road sans risquer sa vie. Dans les quartiers très actifs comme China Bazar ou Armenian street, les rues très étroites grouillent d’une activité intense qui contraste avec la quiétude des quartiers résidentiels ou des "Nagars" plus récents. Au milieu de tout cela passe une rivière ... La Coum ne s’écoule pour rejoindre la mer qu’en période de mousson. C’est un cloaque dégageant une odeur pestilentielle qu’on peut sentir parfois jusque dans Mount road. Elle est par endroits bordée de prairies où buffles et pêcheurs vaquent à leurs occupations. De grands travaux amélioreront la situation en 1971.

 

COUM chennai india inde
La Coum paisible près du centre ville à gauche, travaux de nettoyage de la Coum à droite, années 70 à Chennai 

 

Parallèlement à la côte se trouve Buckingham Canal, dont une partie est aujourd’hui recouverte par le Métro. Construit par les britanniques pour relier le nord et le sud de la cité, c’est devenu un égoût à ciel ouvert bordé de quelques villages misérables. Les cochons noirs fouissent dans la boue et les rats y pullulent, spectacle visible du pont qui l’enjambe sur Elliots road avant de rejoindre Beach road.

J’arrive à Marina Beach. Vantée dans tous les guides c’est une vaste et superbe étendue de sable qui va de San Thomé à l’embouchure de la Coum. L’allée qui la borde, jalonnée de quelques statues, est un lieu de promenade fréquenté le dimanche, calme le reste du temps. Côté ville, quelques édifices officiels alternent avec des villages de cahutes misérables d’une saleté repoussante. Une pancarte (en anglais) informe le visiteur que les habitants seront bientôt relogés ; cet avis restera en place pendant tout mon séjour.

 

marina beach india chennai inde
Marina Beach road, Chennai, 1970

 

De l’autre côté de Marina Beach road, c’est le sable blond, beaucoup plus photogénique. On ne s’y baigne pas à cause de la violence des vagues, des courants et de la présence de requins. Si on s’y aventure à pied, il vaut mieux regarder où l’on marche, les villages de pêcheurs n’ayant pas de commodités … L’épave d’un cargo échoué lors du précédent cyclone y restera de longs mois. Au lever du soleil, le spectacle est grandiose, les villageois voisins viennent baigner leurs buffles, les pêcheurs prennent la mer avec leurs catamarans rustiques…Mes amis me feront découvrir Elliot’s Beach, située plus au sud à l’écart de la ville, belle et paisible étendue de sable où nous avons plaisir à nous retrouver le dimanche après-midi.

 

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à gauche, toilette des buffles au petit matin à Marina beach, à droite, un dimanche après-midi à Elliot’s beach, années 70 

 

C’est cette petite communauté française que je vous présenterai dans un prochain article.

 

 

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