Vénus noire d'Abdellatif Kechiche explore l'histoire de la Vénus hottentote, une jeune femme sud-africaine exhibée en Europe au XIXème siècle. Une reconstitution sans paillettes de ce que pouvait être la vie au temps des phénomènes de foire

Une histoire vraie…
Saartjie Baartman, jeune femme d'ethnie khoisan, est née en Afrique du Sud vers 1789. Son physique atypique mêlant une hypertrophie des hanches et du sexe la fait remarquer d'un fermier qui décide de l'emmener en Europe. C'est à Londres que son calvaire va commencer en 1810. Devenant une "bête de foire", elle est exhibée de cabarets en bordels aux yeux des Britanniques avides d'exotisme. Son supplice ne va pas s'arrêter là. Elle est revendue à un montreur d'ours qui la ramène en France où elle va susciter une fascination malsaine et sexuelle dans les salons libertins de la capitale. Les gens la touchent, la scrutent, la bousculent, sa vie devient une sorte de viol continu, loin de son rêve de devenir riche en Europe.
Elle finira par mourir, seule, à 27 ans, dans un bordel, seulement cinq ans après son arrivée en Europe. C'est pourtant une fois morte que son calvaire va atteindre des sommets. Elle sera disséquée contre sa volonté par Georges Cuvier, un des pères de l'anatomie moderne. Ses fesses, ses organes génitaux et son squelette resteront au Musée de l'Homme jusqu'en 1976, avant qu'en 2002, sa dépouille ne soit restituée à l'Afrique du Sud où elle aura enfin droit à une sépulture décente.
Un film sur le regard
Abdellatif Kechiche n'explore pas les méandres de la psychologie de la Vénus noire. Au contraire, il place le spectateur en position de voyeur en privilégiant les visages, les décors et les corps. Une position difficile mais le réalisateur l'assume, il s'était interdit de rendre le film séduisant. Le sujet est ambitieux, et c'est avec justesse, sans basculer dans la complaisance que ce long-métrage traite le calvaire vécu par la Vénus noire en Europe. Pour incarner la jeune femme, Abdellatif Kechiche a choisi une inconnue cubaine de 30 ans rencontrée en 2005 dans les rues de Belleville. Malgré son manque d'expérience, Yahima Torres est magistrale dans ce film. Ceux qui l'entourent, notamment Olivier Gourmet (Réaux), André Jacobs (Caezar) et François Marthouret, qui campe un Cuvier à la perfection, sont excellents, sans parler des figurants aux trognes impressionnantes.
L'Africain vu par l'Occident au XIXème siècle
Saartjie Baartman est comparée à un singe, réduite au rang d'animal sauvage, elle est tenue en laisse, exhibée dans une cage. Sa tristesse bouleverse le spectateur autant que le manque d'humanité dont elle est l'objet peut le révolter. C'est un film sans concessions, qui malmène et donne à réfléchir sur les préjugés et le racisme, les scènes sont brutales, interminables, mais c'est malheureusement un film qui explore un pan de notre passé, et en cela, il est extrêmement intéressant.
Magali MASSA (www.lepetitjournal.com) jeudi 4 novembre 2010
Bande-annonce :


































