Mariusz Kamiński et Maciej Wąsik, deux figures emblématiques du paysage politique polonais depuis les années 80, ont été arrêtés au Palais présidentiel le 9 janvier 2024 à 19h. Le 20 décembre 2023, le tribunal de district de Varsovie les avait condamnés à 2 ans de prison dans le cadre de la reprise du procès pour l’affaire du « scandale foncier » datant de 2015. Retour sur l'affaire et les tensions qu'elle génère, tant au sein de la classe politique que de l'opinion.
Qui sont Mariusz Kamiński et Maciej Wąsik ?
Mariusz Kamiński est une figure importante de la politique polonaise. Il était, pendant l’époque PRL, militant anticommuniste, ce qui lui a valu un an de prison en 1981 et une arrestation en 1983. Membre de la Fédération de la jeunesse combattante et co-fondateur des magazines « Serwis Informacyjny FMW » et « Nasza Wiadomości » - tous clandestins et luttant contre le régime communiste, il est ensuite, entre 1997 et 2006, élu député du Sejm. En 2005 et 2006, secrétaire d’État à la Chancellerie du Premier ministre, de 2006 à 2009 chef de la BCA, de 2011 à 2023, il reprend ses fonctions de député du Sejm.
Mariusz Kamiński, est un des leaders du PiS : vice-président du parti depuis 2011, il a également était ministre au sein des deux gouvernements de Mateusz Morawiecki, en tant que ministre coordinateur des services secrets, de 2015 à 2023 et ministre de l’Intérieur et de l’Administration de 2019 à 2023.
Maciej Wąsik a, lui aussi, un parcours conséquent dans la vie politique polonaise. Dans les années 1990, il est militant de la Ligue républicaine, une organisation anticommuniste et rejoint rapidement les bancs du PiS. Élu conseiller du district de Praga-Południe en tant que candidat du parti PiS en 2002, il devient maire de Wawer en 2003 puis commandant adjoint de la garde municipale de Varsovie.
Son parcours se mêle à celui de Mariusz Kamiński dès 2006, puisqu’il occupe le poste d’adjoint au chef de la BCA jusqu’en 2009.
Maciej Wąsik est un membre fort du PiS, puisque député du Sejm de 2015 à 2023, mais aussi secrétaire d’Etat à la Chancellerie du Premier ministre de 2015 à 2019 et secrétaire du Collège pour Services secrets de 2015 à 2023, et enfin entre 2019 et 2023 secrétaire au ministère de l’Intérieur et de l’Administration
Les accusations remontent à 2015 et sont liées à un scandale foncier. Elles ont été remises sur le devant de la scène juridique en juin 2023, peu de temps après l’arrêt de la Grande Chambre de la Cour de Justice de l’Union européenne du 5 juin 2023 qui a de nouveau condamné la Pologne pour son manque de garantie de l’indépendance et de l’impartialité des juridictions nationales.
La Cour suprême a jugé au mois de juin 2023 que la grâce présidentielle n’était applicable qu’aux personnes reconnues coupables, et a ainsi déclaré invalide la grâce accordée par Andrzej Duda à Mariusz Kamiński et Maciej Wąsik.
Le nouveau gouvernement de Donald Tusk, pro-européen, affirme sa volonté de renouer des relations plus apaisées avec l’Union européenne, en passant par le respect de ses textes, de ses valeurs ainsi que le respect de l’indépendance des juges et est favorable à cette décision de la Cour.
Procès, grâce et arrestation : les faits
En mars 2015, Mariusz Kamiński et Maciej Wąsik ont été condamnés à 3 ans de prison et 10 ans d’interdiction d’exercice des fonctions publiques dans le cadre de l’affaire dite du « scandale foncier ».
L’affaire appelée « scandale foncier » remonte à 2009, année durant laquelle Mariusz Kamiński et son adjoint Maciej Wąsik étaient à la tête de la CBA ( Centralne Biuro Antykorupcyjne , Bureau Central Anticorruption) et ont été accusés, ainsi que 2 autres subordonnés, d'outrepasser leurs pouvoirs dans le cadre d’une enquête sur un scandale de corruption, dans laquelle des hommes d’affaires polonais auraient pu modifier le statut juridique de toutes les parcelles de terres polonaises. Cette affaire ayant conduit à la démission du vice-premier ministre Andrzej Lepper.
Le président fraîchement élu Andrzej Duda les avait alors graciés et en mars 2016, le tribunal de district de Varsovie avait désisté le procès.
En juin 2023, la Cour suprême de la Chambre pénale, après un pourvoi en cassation, a annulé le désistement de 2016. Le procès a repris et le 20 décembre 2023, le tribunal de district de Varsovie a condamné Mariusz Kamiński et Maciej Wąsik a deux ans de prison et une interdiction d’exercer des fonctions publiques pendant 5 ans.
Ils ont été arrêtés au Palais présidentiel du Belweder le 9 janvier 2024 et placés en maison d’arrêt en attendant la fin des procédures, incluant un potentiel appel de leur part.
Le président du Sejm, Szymon Hołownia, a déclaré l’expiration du mandat parlementaire de Mariusz Kamiński et Maciej Wąsik.
Mariusz Kamiński a fait un recours à l’encontre de cette décision, qui a été rejetée par l'Izba Pracy i Ubezpieczeń Społecznych - Chambre du Travail et de la sécurité sociale.
Les réactions des principaux intéressés, du PiS et du président Andrzej Duda
Suite à ces arrestations, le président Duda s’est exprimé, affirmant qu’il les avait graciés en 2015 et que revenir sur cette décision est illégal, car elle a, selon lui, été confirmée par le tribunal de district ainsi que trois jugements du Tribunal constitutionnel, déclarant :
« C’est pourquoi, au cours des derniers mois, semaines et derniers jours, j’ai soutenu et je reste d’avis que les ministres et leurs collègues ont été graciés par le président de la République de Pologne en 2015, tout à fait conformément à la Constitution, que cette grâce est valable et efficace et donc que les ministres - aujourd’hui députés élus lors des dernières élections législatives - ont leur mandat et que toute tentative visant à les priver de ces mandats est en fait illégale. »
Il a également rajouté : « lorsque j’entends que cette affaire n’est pas politique, j’ai le sourire aux lèvres ». Il affirme toujours son soutien aux deux anciens membres du gouvernement Morawiecki et demande à ce que les éventuelles manifestations se fassent dans le calme et la paix.
L’ancien Premier ministre Mateusz Morawiecki s’est d'ailleurs également exprimé, sur X : « Des choses sans précédent se produisent sous nos yeux. C'est une menace réelle pour notre démocratie »
Na naszych oczach dzieją się rzeczy bez precedensu. To jest realne zagrożenie naszej demokracji. pic.twitter.com/nne4oRf6ND
— Mateusz Morawiecki (@MorawieckiM) January 9, 2024
Jarosław Kaczyński, a déclaré devant le commissariat de Grochów :
« Nous avons des prisonniers politiques pour la première fois après 1989. C'est scandaleux. »
Mariusz Kamiński a, quant à lui, affirmé faire une grève de la faim jusqu’à sa libération.
Déclarations du gouvernement, des experts et du Sejm
Maria Ejchart, vice-ministre de la Justice, affirme que Mariusz Kamiński et Maciej Wąsik ne peuvent pas être considérés comme prisonniers politiques, car ils ne correspondent en aucun terme à la définition de prisonnier politique créée par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe en 2012.
Aussi, elle déclare nulle la grâce de 2015, car le jugement n’était pas terminé lors de sa mise en application, or, c’est une condition nécessaire, et elle ajoute que le président Andrzej Duda est en revanche disposé à gracier les accusés lorsque ce procès-ci sera terminé.
En ce sens, Bronisław Komorowski, ancien président de Pologne, affirme que le président est détenteur d’un droit de grâce, et non d’acquittement.
Czesław Mroczek, chef adjoint du ministère de l’Intérieur et de l’Administration, au sujet d’un potentiel enregistrement de la détention de Mariusz Kamiński et Maciej Wąsik, a déclaré : « le temps de subordonner le système judiciaire, les forces de l’ordre et les services secrets à la propagande du parti et sa diffusion à la télévision du régime est terminé. »
Enfin, le vice-maréchal du Sejm Włodzimierz Czarzasty a déclaré à propos de la détention des deux députés et des réactions des hommes politiques du parti PiS : « Je pense que nous essayons de ne pas aggraver l’ambiance (...) nous essayons de montrer que l’État - peu importe qui il concerne - est un État sérieux, une institution sérieuse et si quelqu’un pensait qu’il était le ministre des Services et qu’il pouvait faire n’importe quoi, y compris des choses qui ne sont pas légales, il sait déjà avec certitude que ce ne sera pas le cas. »
Partout dans le pays, des manifestations de soutien à Mariusz Kamiński et Maciej Wąsik ont eu lieu peu après leur arrestation et dans la journée du 10 janvier.
Pour rappel, la Pologne a été condamnée, notamment en 2018 et 2019 par l'UE, et de nombreuses tensions subsistent sur plusieurs sujets, notamment l’irrespect de l’indépendance des juges portant atteinte à l’Etat de droit à cause de plusieurs réformes et décisions prises par le parti PiS, alors au pouvoir.