Le 14 mai 2019, la Suisse et la Pologne célébraient le 100ᵉ anniversaire de leurs relations diplomatiques. L’occasion pour les deux pays de se tourner vers un nouveau siècle d’amitié, fondé sur une longue tradition. L’histoire polono-suisse s’est bâtie sur le socle d’une coopération économique fructueuse, d’échanges culturels symboliques et de développements scientifiques moteurs. Retour sur plus d’un siècle d’une amitié solide qui a résisté aux coups de griffes de l’Histoire.
La construction de la relation polono-suisse au 20e siècle d’un point de vue diplomatique
Deux amis de longue date. C’est ainsi que l’on pourrait qualifier la relation qui unit la Suisse à la Pologne. Une amitié parfois même fraternelle, comme en témoignent les nombreux colis livrés par les Suisses à des familles polonaises dans les années 80, en raison de la crise d’approvisionnement du pays. Avant cela, revenons quelque peu en arrière.
Ce n’est qu’en 1919, après la Première Guerre mondiale, que la Pologne retrouve son indépendance. L’Ambassade de Pologne ouvre ses portes à Berne, puis deux ans plus tard, en 1921, le premier Ambassadeur suisse Hans Pfyffer von Altishofen, un ancien officier haut placé, marié à une Polonaise, est nommé à Varsovie et présente ses lettres de créance au chef d’État Józef Piłsudski .
Quelques années plus tard, la Seconde Guerre mondiale renforce encore plus les liens entre les deux pays. Entre 1939 et 1945, 13.000 soldats polonais sont internés en Suisse dont de nombreuses personnalités polonaises comme Gabriel Narutowicz, devenu ensuite le premier Président de la Deuxième République de Pologne (1865-1922).
Après l’éclatement de l’URSS, pendant la période de transition des années 1990, de toute l’aide apportée par la Suisse aux pays de l’Est, la Pologne en a récolté la majeure partie, pour montant total de 264 millions de francs suisses.
De nos jours, l’excellence des relations bilatérales entre la Suisse et la Pologne est placée sous le signe de la tradition. Depuis la fin de la Guerre froide, ces relations n’ont cessé de s'intensifier, entre autres, par les visites d’État en 2012 et 2014.
Du côté de la coopération économique
L’économie constitue indéniablement le premier terrain de coopération polono-suisse. La Pologne est le principal partenaire économique de la Suisse en Europe centrale et orientale. À vrai dire, le pays dispose de nombreux arguments : proximité géographique, économie orientée vers l'exportation, appartenance à l'UE…
Ce fort potentiel commercial fait de la Pologne la principale destination des investissements directs suisses (7,3 milliards de CHF en 2020 selon la BNS) dans la région. Cette coopération économique est, elle aussi, de longue date.
De la Suisse vers la Pologne
Depuis 2003, l’Ambassade de Suisse à Varsovie abrite un « Swiss Business Hub », chargé de mettre en œuvre les stratégies d'exportations de la Suisse vers la Pologne.
Entre produits pharmaceutiques et chimiques, machines, appareils et produits électroniques, métaux, instruments de précision et montres, les principales marchandises importées par la Pologne depuis la Suisse sont vastes.
De la Pologne vers la Suisse
Par ailleurs, les exportations polonaises à destination de la Suisse naviguent entre produits industriels, électroniques, véhicules, meubles et accessoires de maison, métaux et produits métalliques, textiles, vêtements et chaussures. En 2011, le volume d’échanges agrégé entre les deux pays a même atteint 3,3 milliards de francs, faisant de la Pologne un partenaire économique suisse aussi important que la Russie, le Brésil ou la Turquie.
Niveau entrepreneuriat, la Chambre de commerce polono-suisse est une force motrice de la coopération économique qui lie les deux pays
Créée en 1998 à Varsovie, la Chambre de commerce polono-suisse - association bénévole (Swiss Chamber), non subventionnée par des institutions publiques, regroupe la majorité des entreprises suisses en Pologne avec environ 210 membres. Concrètement, le principal objectif de la Chambre est de favoriser le développement des contacts économiques entre la Pologne et la Suisse. Pour ce faire, elle emploie différents modes d’action : soutenir les activités commerciales des entreprises membres, représenter les investisseurs suisses en Pologne et polonais en Suisse, coopérer avec d'autres chambres bilatérales et organisations professionnelles polonaises et suisses ou encore façonner une image positive des investissements suisses en Pologne et des investissements polonais en Suisse. La chambre s’inscrit donc dans une logique de bénéfice mutuel à chacun des deux pays, placée sous l’ordre de la coopération. Elle peut s’appuyer sur des partenaires solides tels que l'Ambassade de Suisse en Pologne, le Swiss Business Hub Poland ou encore la Chambre de commerce Suisse-Europe centrale SEC.
Le Swiss Point de la Swiss Chamber au Forum International de Karpacz en septembre 2023
La Swiss Chamber était présente pour la première fois, au 32e Forum international de Karpacz, du 5 au 7 septembre 2023.
Organisé depuis plus de trente ans, le Forum économique est le lieu de rencontre des représentants du monde politique, économique et scientifique. La Swiss Chamber a été active tout au long de l’événement, avec notamment son pavillon Swiss Point, permettant aux entreprises helvétiques de promouvoir leur savoir-faire et de renforcer leur réseau.
Swiss Chamber Poland a également participé à des panels, dont celui sur la maintenance du rythme d’investissement suisse en Pologne, ou celui sur l’importance de la qualité des soins de santé pour la réussite économique d'un pays.
Parmi les entreprises présentes, on retrouvait Nestlé, Swissmem, ABB ou encore Novartis.
Le roboclette (robot préparateur de raclette installé à l'extérieur du pavillon), imaginé par Nicolas Fontaine - inventeur, en charge de la partie commerciale et Garrett Wollam - qui s'occupe de la programmation des machines, cofondateurs de la société Workshop 4.0, illustre parfaitement le savoir faire helvétique combinant tradition, technologie et innovation. BM et MC
Pourquoi investir ou s’installer en Pologne ?
De manière générale, la Pologne constitue un site de production apprécié des entreprises suisses, qui employaient 35.000 polonais en 2012. Le pays offre en effet de nouvelles possibilités de coopération dans le secteur des services : certaines start-ups travaillent sur des solutions innovantes dans des lieux comme le Cambridge Innovation Center. Des entreprises suisses de renom telles que Nestlé, ABB Kraft Jacobs Suchard et Novartis composent les principaux investisseurs suisses en Pologne.
Si les entreprises suisses voient en la Pologne une terre de délocalisations et de sous-traitance, elles y voient également une terre de recherche. Les banques suisses souhaitent en effet y développer leurs centres de services.
Certaines entreprises industrielles, à l’image de Novartis qui a doublé la capacité de son site de production et d’emballage de médicaments de Strykow dans la voïvodie de Łódź, district de Zgierz, investissent de plus en plus dans le pays.
Mais cela ne s’arrête pas là. La Pologne a fait partie des premiers États bénéficiaires de la contribution suisse à la réduction des disparités économiques et sociales dans l’UE élargie. Le pays a touché 489 millions de francs sur un total de 1,3 milliard attribué à treize États sur la période 2007-2017.
Les régions du sud-est polonais ont profité à 40 % de cette contribution. Au total, un quart des fonds a permis de soutenir des projets de promotion de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables. Toutefois, cela n’est pas sans conséquences. La dette en francs grimpe à vue d’œil en Pologne, si bien que la devise helvétique pourrait en pâtir. Cela pourrait être un problème dans les années à venir, d’autant plus que les Polonais en ont déjà souffert.
Après la crise de 2008, le coût des emprunts en francs suisses a atteint des sommets suite à la décision de la Banque nationale suisse de renoncer au plafonnement de sa monnaie face à l'euro. Résultat, de nombreux Polonais ayant contracté un emprunt réclamaient un aménagement de leurs remboursements. Cette crise restera dans les mémoires comme la « crise du franc fort », un véritable drame dans le cœur de tous les Polonais.
Coopération culturelle
Place à la culture désormais. La coopération culturelle polono-suisse s’inscrit dans la durée avec le Musée de Rapperswil, la plus ancienne institution polonaise en Suisse. Nous pouvons dégager trois périodes de son histoire : le Musée national de Pologne (1868-1927), le Musée de la Pologne moderne (1936-1952) et la réouverture du Musée de 1975 à nos jours.
Le premier musée, fondé par le Comte Władysław Broel-Plater (1806-1889) en 1868, était à la fois une institution rassemblant des souvenirs nationaux et un lieu de rencontre pour les émigrés polonais permettant de conserver la tradition nationale polonaise. Certains grands noms de la Pologne y sont liés, comme l'écrivain Stefan Żeromski ou Tadeusz Kościuszko, l'un des héros nationaux polonais. En 1927, la collection Rapperswil a été transportée en Pologne indépendante, puis une grande partie a été détruite pendant la Seconde Guerre mondiale. Le Musée est devenu celui de la « Pologne contemporaine » durant la période de la deuxième République de Pologne, mettant ainsi en avant la culture et de l'art contemporain polonais. En 1945, les autorités communistes polonaises voulaient prendre le contrôle de l'établissement, la fermeture des départements du Musée a ensuite entraîné un conflit avec la communauté de Rapperswil et par décision du Tribunal fédéral, le Musée a fermé ses portes en 1951. Le 21 juin 1975, un nouveau musée a été créé et de nombreux dons d'émigrés de divers pays ont enrichi sa collection. Plus de 100 expositions consacrées à l'histoire de la Pologne, aux relations polono-suisses et des conférences scientifiques rapprochant les Suisses de la culture et de l'histoire polonaise ont pu être menées. De nos jours, Musée polonais de Rapperswil est considéré comme un institut culturel polonais non officiel en Suisse, au service des Suisses et des Polonais.
Henryk Opieński, le visage de la coopération culturelle polono-suisse
Mais la coopération culturelle peut aussi prendre la forme d’un visage. Et, entre la Suisse et la Pologne, ce visage n’était autre que celui d’Henryk Opieński, pianiste, compositeur et chef d'orchestre, né en 1870 à Cracovie et décédé en 1942 à Morges (Suisse). Opieński, par des relations purement informelles, se plaçait au cœur de la « diplomatie culturelle polonaise ». Après l’indépendance de la Pologne, il noue des liens avec des diplomates polonais résidant à Berne et à Genève. Résident permanent en Suisse, il permet à différents projets culturels de voir le jour, aussi bien en tant qu’initiateur, qu’exécutant, par de nombreuses correspondances. La figure d’individus comme Opieński fut aussi un moyen de contourner le sous-financement de la diplomatie culturelle polonaise.
Une amitié… mais des valeurs qui divergent parfois
Toutefois, l’amitié polono-suisse, placée sous le spectre de l’Union européenne (UE), peut se heurter à un curseur de valeurs qui ne se place pas toujours au même niveau.
Pour preuve, l’UE a par ailleurs déjà engagé des procédures judiciaires contre la Pologne, que ce soit à propos de la réforme de la justice ou du refus du pays d’accueillir des réfugiés. Ainsi, la Commission européenne a entamé en 2017 une procédure d’infraction contre la Pologne sur la base de l’article 7 du traité sur l’UE. Le Département fédéral suisse des affaires étrangères (DFAE) avec sa sobriété toute helvétique a réagi : « La Suisse et la Pologne partagent de nombreuses valeurs, mais dans certains domaines les valeurs peuvent différer. La Suisse observe la situation et discute si nécessaire de certaines questions ». Tout est dit !
Un tendance confirmée par Pierre-Alain Eltschinger, porte-parole du DFAE : « La Suisse part de l’idée que les pays partenaires partagent les valeurs communes de l’Europe. Si ces principes fondamentaux ne sont pas respectés, la Suisse aura recours aux instruments de sa politique étrangère qu’elle appliquera en fonction de la situation et du contexte ».
En réalité, cette traditionnelle prudence suisse résulte en grande partie d’intérêts économiques.
Dans tous les cas, ces considérations ne sont pour l’instant que minimes. Pour la Pologne autant que la Suisse, en amitié, les relations les plus longues sont les plus solides.