Le 9 août 2020, en Biélorussie, Alexander Loukachenko est réélu pour un sixième mandat avec 80,08% des suffrages au premier tour. Les forts soupçons de fraude ont ouvert une grave crise politique.
Qui est Alexander Loukachenko ?
Né en 1954, Alexander Loukachenko devient en 1982 vice-président de sovkhoze puis en 1987 secrétaire général de sovkhoze avant d'être nommé directeur d’usine de matériaux de construction de fermes d'État. En 1990, il est élu député au conseil suprême de la république socialiste de Biélorussie où il crée un groupe politique appelé « les communistes pour la démocratie ». Créatif... Alors qu’il n’était pas du tout favori à la base, il est élu président de la Biélorussie en 1994 grâce à sa campagne dont le thème principal était : « vaincre la mafia ».
La mise en place de la dictature
Durant les deux premières années de son premier mandat, entre 1994 et 1996, Loukachenko fait encore face à une opposition virulente. En 1996, il supprime la liberté de la presse et fait fermer tous les journaux d’opposition, fait emprisonner 89 députés jugés « déloyaux » et augmente les pouvoirs du KGB, la Biélorussie étant la seule ancienne république soviétique à avoir gardé ce nom pour ses services secrets. Bien que maintenant des élections dont les trucages font peu de doutes, Loukachenko fait régulièrement disparaître voire assassiner ses vrais opposants politiques, ses « adversaires » aux élections n’étant pas particulièrement virulents. Il est à noter que même des élections non truquées dans un tel contexte n’auraient guère de valeur. N’oublions jamais qu’une démocratie ne se définit pas et loin de là, juste par la tenue d’élections même si elles ne sont pas truquées. Logiquement, Loukachenko « gagne » toutes les élections présidentielles dès le 1er tour avec des scores variant entre 77 et 85%. Comme dirait l’autre, dans les élections, il ne faut pas dépasser le seuil psychologique des 100%, sinon les gens doutent.
2001 : 77,40% au 1er tour
2006 : Légère progression à 82,60% au 1er tour bien évidemment
2010 : Petite baisse de régime avec seulement 79,67% au 1er tour
2016 : Record battu avec 84,09% des voix toujours au 1er tour
Pourquoi le peuple ne s’est pas révolté avant ?
Paradoxalement, Loukachenko est resté longtemps populaire dans une partie importante de la population car dans les années 90 il a évité le naufrage qui avait lieu dans la Russie de Boris Eltsine en maintenant une forte politique sociale et dirigiste. A son arrivée au pouvoir en 1994, il double le salaire minimum et établit un contrôle des prix qui évitera une trop forte inflation. De la même façon, la croissance est au rendez-vous, allant jusqu’à 15% en 2010, l’industrie se développe, représentant 36% du PIB en 2018. Le chômage est nul, les bus ayant chacun leur propre contrôleur et les balayeurs de rue, innombrables, étant à l’affût du moindre papier, rendent les trottoirs des villes d’une propreté confondante. Les étudiants ont deux mois après leur diplôme un travail garanti par l’Etat mais s’ils ne viennent pas le jour de leur embauche, gare à eux, ils seront traqués par la milice et s’ils ont fui à l’étranger, la milice traquera leur famille, lui demandant de payer des amendes inouïes. Le système de santé est gratuit et universel, la mortalité infantile inférieure à celle de la France mais des visites régulières chez son médecin traitant sont obligatoires, sous peine de sanctions.
Coups d’éclats
Certains diront que par rapport à Loukachenko, Trump est un petit joueur et ils auront peut-être raison. Florilège :
2007 : Il considère la ville de Bobrouïsk dégoûtante parce qu’elle a un passé juif
2007 : Il soutient le programme nucléaire iranien
2011 : il déclare publiquement ne pas aimer les « pédés »
2020 : il déclare que pour lutter contre le Covid, il faut boire 50 ml de vodka tous les jours
L’heure de la révolte
La Biélorussie est la dernière dictature d’Europe et un bien-être social tout relatif ne suffit plus à maintenir le peuple dans la soumission. Ainsi la révolte gronde à l’aube des élections de 2020. À la mi-juin, les candidats de l’opposition Viktar Babaryka et Sergueï Tikhanovski sont arrêtés. La femme de Tikhanovkski, Svetlana, se présente à sa place. Dans sa campagne, elle attaque le régime comme aucun candidat ne l’avait fait jusqu’à présent. Elle propose, si elle est élue, de redonner le pouvoir au peuple en organisant dans les 6 mois de nouvelles élections, libres, cette fois, ce qui suscite un immense espoir. Son score de 10,09% apparaît comme une véritable manipulation surtout que Loukachenko réalise à nouveau un score dans sa fourchette traditionnelle : 80,08% cette fois-ci. Des manifestations éclatent immédiatement où la police tire à balles réelles et Svetlana s’exile en Lituanie où ses enfants résidaient déjà au moment où elle avait commencé sa campagne. Le pays s’enfonce ans une crise politique sans précédent.
Le rôle de la Pologne
La Pologne ne cache pas son activité diplomatique dans la crise biélorusse. Dès le 10 août, la Pologne avait demandé la tenue d’une réunion extraordinaire du conseil européen. La Pologne finance également les médias indépendants biélorusses victimes de répression. Elle rejette en revanche les accusations de prétentions territoriales notamment sur la région de Grodno que lui prêtent les autorités biélorusses.
La Pologne, par contre, entend bien jouer le rôle de tête de file dans les pays soutenant « une Biélorussie libre ». Ainsi, la Pologne a réservé un accueil digne d’une visite officielle d’Etat à Svetlana Tikhanovskaïa lors de sa venue à Varsovie le 9 septembre. Elle a été reçue en personne par le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki.
Pour bien comprendre ce qu'il se passe actuellement en Biélorussie, voici une interview d’Anaïs Marin réalisée par Noé Nitot de projektwalizka.com
Anaïs Marin est chercheuse à l'Université de Varsovie en Pologne. Politologue spécialisée dans les relations internationales et les études russes, elle est titulaire d'un doctorat de Sciences Politiques. En tant qu'experte de la Biélorussie, elle nous explique en détail comment comprendre la situation liée aux élections présidentielles du 9 août 2020.