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Crise du Coronavirus : Nous vivons l’Histoire

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Écrit par Cédric Tavernier
Publié le 26 mars 2020, mis à jour le 26 mars 2020

Nés en 1980, 1990 ou 2000, avions-nous eu déjà jusqu’à présent l’impression de vivre une période historique, un moment qui changera à jamais l’histoire de l’humanité comme nous le vivons aujourd’hui ?

 

Leidenstadt…

Jean-Jacques Goldmann a dit dans sa fameuse chanson : «  Si j’étais né en 17 à Leidenstadt au milieu d’un champ de bataille, aurais-je été meilleur ou pire que ces gens si j’avais été Allemand ». Cette phrase pourrait être le point de départ de tellement de dissertations philosophiques. Leidenstadt est une ville qui n’existe pas mais qui signifie « Ville de la Souffrance ». Certes, le territoire allemand n’a pas été touché par la 1re guerre mondiale mais l’idée est là : si vous étiez né en 17 en Allemagne dans un territoire éprouvé par la guerre, votre existence aurait été historique.

 

Vie historique pour tout le monde il y a 100 ans…

Allons plus loin, vous êtes un homme de 25 ans, vous êtes né en 1995 en France. Eh bien, non, finalement, vous êtes né en 1895 en France. Imaginez votre vie. A l’âge de 19 ans, vous êtes appelé sous les drapeaux. Vous attendent dans le meilleur des cas presque 5 ans à vivre dans la boue et la vermine, à subir les assauts ennemis et à craindre pour votre vie tous les jours avant de rentrer traumatisé dans une famille où vous avez peut-être déjà perdu un proche. Dans le meilleur des cas car peut-être que vous allez mourir dans les premières semaines des combats ou pire dans les dernières. Et puis vous allez peut-être gazé ou faire partie des nombreuses gueules cassées à qui il manque un œil, une jambe, un bras. Bref, vous avez de la chance, vous rentrez plus ou moins indemne. Et là, la plus grosse pandémie depuis 1348 vous attend : la grippe espagnole. Vous avez à peu près une chance sur 100 d’y passer. 500.000 morts en France. Un virus qui va vous pourrir la vie pendant 2 ans. Vous avez survécu. Yes ! Mais au boulot ! Le quart nord-est du pays est complètement détruit, miné, ravagé. La France a besoin de bras, vous n’avez pas intérêt à compter vos heures. Ouf ! Ça va mieux, vous semblez avoir repris une existence normale ! Et là, la crise de 1929, le chômage monte à 30%, la doctrine libérale n’a pas encore été adoucie par Keynes et la sécurité sociale. L’État vous laisse crever, vous qui avez combattu pour lui pendant 5 ans dans la vermine. Vous avez de grandes chances de déguster pendant cette période. Et puis, ce que vous redoutiez et vouliez éviter à tout prix revient : la guerre. Mais en pire : la défaite, l’humiliation, votre pays annexé par des Allemands surboostés dirigés par un individu qui ferait passer le Kaiser pour un Bisounours. Privations, déportations, 4 ans d’enfer … et voilà vous avez 50 ans et vu l’espérance de vie de l’époque, il vous reste vraisemblablement une petite dizaine d’années à vivre avant de casser votre pipe.

Ça, c’est une vie historique ! Mais franchement, vous en vous seriez bien passé…

 

En Pologne, l’ « Histoire » est plus récente

En Pologne, en naissant en 1960 on pouvait encore avoir une vie historique, avoir 20 ans lors de la création du syndicat Solidarité puis la déclaration de l’État de guerre, vivre sa jeunesse entre 20 et 30 ans avec les tickets de rationnement, les magasins vides, puis entre 30 et 35 ans vivre l’explosion du chômage, l’inflation à 600%, voir les magasins pleins mais ne plus avoir l’argent pour y acheter trop de choses… Mais pareil, cette génération se serait bien passée de vivre ces moments historiques pour commencer plutôt vers 1995, période qui semblait devenir beaucoup plus funky, car justement il semblait qu’on commençait enfin à sortir de l’Histoire.

 

Subir l’Histoire dans sa chair

Oui, car il y a une différence entre assister à des moments historiques en sachant qu’ils vont à moyen terme changer petit à petit notre vie et vivre l’Histoire concrètement, dans sa chair.

En général, quand on vit l’Histoire, on la subit plus qu’on ne l’influence. Quand fait-on partie du peuple ? Qu’est-ce que le peuple ? J’aime cette définition qui précise que font partie du peuple tous ceux qui n’ont aucune possibilité d’intervenir sur les lois et les règles auxquelles ils devront se soumettre. Ainsi, font partie du peuple les non-politiques de haut niveau et ceux qui ont un pouvoir économique trop faible pour avoir une influence politique, c’est-à-dire au moins 99% de la population. En tant que peuple, vous subissez donc une Histoire sur laquelle vous n’avez aucun contrôle.

Et quand on subit, en général, on morfle. Parfois un peu, parfois sévère. Vous rigoliez il y a encore 3 semaines sur cette petite grippe. Moi aussi. Ben oui, le 7 mars, Macron sortait avec Brigitte au théâtre et incitait tous les Français à en faire de même, on n’allait pas se laisser déstabiliser par un petit virus innocent, tout de même ! Dindon de la Farce. Y’a pas de gels hydroalcooliques, pas de tests, pas de masques. Bah, pas le choix, va falloir vous adapter.

 

Vivre l’Histoire nous aveugle

Le 7 mars, il fallait sortir, montrer que la vie continuait. Le 16 mars, il fallait rester à la maison, confinés, sans quoi on devenait un irresponsable, un assassin en puissance. On reconnait les périodes historiques par l’exacerbation des émotions et la volonté de créer des gentils et des méchants : les confinés contre les cons finis en est un bon exemple. Les messages de propagande fleurissent aussi, que cette propagande puisse être du bon sens n’enlève rien au propos. Il est intéressant aussi de voir ce que nous sommes capables d’accepter en termes de restriction des libertés quand nous estimons que cela a du sens. En 1914, on estimait que voler la jeunesse de toute une génération pour défendre la patrie avait du sens. Et Jean Jaurès qui n’était pas d’accord a été assassiné et son assassin acquitté par le tribunal par onze voix sur douze, la veuve devant s’acquitter des frais du procès ! Et tout cela dans ce que l’on appelle une démocratie ! Dans l’Aisne, il y a quelques jours, a été décidée l’interdiction de la vente d’alcool, la prohibition en d’autres termes pour éviter les comportements violents pendant le confinement. Devant le tollé, le préfet a certes abrogé l'arrêté... On prépare une loi sur la semaine de travail de 60 heures en ce moment…

 

Monde transitoire et Monde d’après

Bien sûr, à période extraordinaire, moyens extraordinaires. Bien sûr, il faut tout faire pour enrayer la pandémie et certes le confinement permet de limiter la propagation de la maladie ce qui est essentiel vu que tous les pays européens manquent de lits… mais gardons les yeux ouverts, ne nous aveuglons pas, ne devenons pas haineux, intransigeants, maîtrisons nos émotions. N’oublions pas que quand on vit une période historique, le monde a déjà changé, nous sommes dans un monde transitoire, différent du monde d’avant et préparant le monde d’après. Et ce monde d’après, quel sera-t-il ? Un monde où le PIB aura chuté de 10 ou 15%, où le chômage aura explosé, où des drames humains et des morts auront eu lieu de toutes parts, où le système bancaire sera en miettes, où les hommes auront plus de problèmes psychologiques qu’aujourd’hui et où se seront produits des événements dont on n’a même pas encore idée. Dans ce monde d’après, il sera d’autant plus important de garder la tête froide, de rester rationnels et pragmatiques et de ne pas oublier tous les droits et les libertés pour lesquels nos ancêtres se sont battus et que l’on n’a pas le droit de sacrifier d’un revers de la main au nom d’une sécurité qui à ce moment-là ne se justifiera plus.

Car n’oublions jamais cette phrase de Benjamin Franklin : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre, et en fin de compte finit par perdre les deux »