Kombinowa?, zorganizowa?, za?atwia?... les Polonais sont les rois du « système D ». En chacun d'eux vit encore un contrebandier ou un bricoleur du dimanche. Ils sont capables de tout, du pire comme du meilleur. Lepetitjournal.com enquête sur ce légendaire "polak potrafi?. [archive 2011]
Cette expression (littéralement : le polonais peut) est très présente dans le langage et la culture polonaise. Elle s'accompagne d'une pointe de sarcasme, d'un tendre ironie et/ou d'une certaine fierté. Elle renvoie à la capacité supposée des Polonais à résoudre leurs problèmes avec des méthodes non-conventionnelles. Au mieux pragmatiques, au pire franchement éhontées...
Le pays tirerait cette ingéniosité débridée de son histoire douloureuse. Paradoxalement se sont les privations qui auraient stimulé toute la puissance créatrice de la société polonaise. Face à une autorité souvent étrangère et oppressive (tsariste, nazie, soviétique...), il est aussi du devoir d'un citoyen honnête de contourner, voire d'enfreindre la loi. « Magouiller » devient une manière de passer à l'action, de reprendre en main son destin, quand seule la résistance passive est possible.
« Monsieur main en or »
Quand rien ne marche et qu'on manque de tout (pièces de rechange, outils...), il vaut mieux avoir des idées et savoir se servir de ses 10 doigts... Dans le cas contraire, on peut aussi contacter un « homme à tout faire ». Aujourd'hui encore, ils se trouvent facilement dans les petites annonces.
Moyennant finance ou peut-être un repas, voire un verre de ?nalewka domowa? (eau de vie maison), Pan z?ota r?czka, cet homme aux mains (et au c?ur) d'or dépannera dans la journée aussi bien un robinet qui fuit qu'une Fiat 126 qui ne démarre pas. A noter que ces généralistes du dépannage venaient souvent avec pour tout équipement une cigarette collée au coin de la bouche. Et le résultat, s'il fonctionnait, n'était pas forcément esthétique...
Trafic d'influence
Face visible des efforts déployés pour améliorer le quotidien difficile : impossible de circuler sous la PRL sans croiser des porteurs de colis ou de baluchons plus ou moins volumineux. Ces trésors sont le fruit de démarches complexes et sont arborés tels des trophées de chasse. Aucune honte à parader avec sa guirlande de rouleaux de papier toilette chèrement « gagné » autour du cou.
« Kombinowa? » (combiner, contourner, improviser, bricoler, magouiller, dégoter...) est alors une nécessité. Quand on ne peut pas "acheter", faute d'argent et d'approvisionnement, on est bien forcé d'avoir recours à une économie et un vocabulaire parallèles. On n'achète donc plus de la viande, on se la procure. Si on rentre avec un morceau de b?uf précieusement emballé dans du papier journal, c'est qu'on connaît bien la vendeuse. Elle nous a gardé ce qu'il faut spod lady (sous le comptoir) ou po znajomo?ci (par connexion).
La ligne entre le bien commun et privé est souvent ténue. Les magasins vides n'offrant pas d'alternative, on « exfiltre » ce qu'on peut du bureau ou des chantiers sans aucun remord, avec même une sorte de fierté. Le cwaniak (resquilleur) a tout compris, seul le frajer (pigeon) respecte les règles. D'ailleurs ce n'est pas un crime... Car par euphémisme, plutôt que « voler » on utilise volontiers « organiser » (zorganizowa?), « trouver » (wynale??), « dénicher » (wykombinowa?) etc.
"Les parents et amis du lapin"
Krewni i znajomi królika est une expression tirée de Winnie l'ourson. Elle désigne le réseau social d'une personne (et le népotisme qui va avec). Si les Polonais sont toujours prompts à aider leur entourage, c'est parfois dans l'espoir de se voir retourner la faveur : R?ka r?k? myje (une main lave l'autre main). Et l'argent n'est pas au centre de cette économie de service. Ce sont d'abord les relations qui permettent de contourner une attente de plusieurs mois pour une consultation chez le spécialiste ou de trouver un lit dans un hôpital bondé.
La reconnaissance pour un service rendu s'étend d'ailleurs non seulement à l'intermédiaire mais aussi au médecin/fonctionnaire/infirmière etc et s'exprime le plus souvent avec une bouteille de vodka ou une boîte de chocolats glissés plus ou moins discrètement. Et malheur à celui dont la déontologie empêcherait d'accepter ces offrandes ou qui les prendrait pour des pots-de-vin ! Le patient reconnaissant, surtout les plus âgés, pourrait rapidement se transformer en patient indigné.
Le décor a changé, mais ces habitudes mettent du temps à disparaître. Même après la chute du communisme, elles ont très largement influencé la société polonaise. Qu'on pense seulement aux fortunes qui se sont faites au moment de la privatisation des biens nationaux...
Le génie polonais
Heureusement l'art du « kombinowa? » peut être utilisé à d'autres fins que le profit personnel. La créativité et la débrouillardise polonaises sont d'abord de formidables outils pour s'adapter aux mutations politico-économiques. Le pays s'est improvisé capitaliste avec le succès qu'on connaît. Les immigrés polonais ont aussi largement fait la preuve de leur capacité d'adaptation culturelle, linguistique et professionnelle.
Cette tournure d'esprit ne date pas seulement de l'après-guerre communiste. Le pays s'enorgueillit d'une longue tradition d'excellence dans les sciences appliquées. Les Polonais sont notamment les fiers inventeurs de toutes ces créations que vous utilisez quotidiennement (ou presque...) : le coton-tige, le gilet pare-balles, le préservatif en latex, la raffinerie pétrolière, l'espéranto, le vaccin contre le typhus, le compteur kilométrique ou le détecteur de mines...
AR et CQ (www.lepetitjournal.com/varsovie.html) lundi 24 octobre 2011
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