Le droit à l’avortement est, depuis quelques mois, régulièrement menacé par des projets de loi conduits par la majorité législative. Le début de l’année 2018 n’a évidemment pas fait exception. Un texte soumis par le Comité Stop Avortement proposant une restriction de l’avortement a ainsi recueilli un avis favorable par une commission parlementaire de la Diète. L’objectif est d’interdire l’avortement dans le cas d’une malformation du fœtus ou d’une maladie génétique diagnostiquée. Et si le PiS est régulièrement présenté comme le fer de lance d’une des législations les plus restrictives d’Europe en matière d’avortement, pas sûr que le parti de Jarosław Kaczyński en tire quelques bénéfices, à l’heure où une écrasante majorité de Polonais se prononce contre une restriction du droit de l’avortement. Finalement, la grande gagnante pourrait bien être l’Eglise catholique polonaise, qui s’assure encore une fois du poids important qu’elle occupe dans la vie politique du pays.
Retour historique : la place de l’Eglise catholique
Trente-sept ans d’avortement libre et gratuit, puis 1993. Il aura donc fallu, assez curieusement, attendre l’entrée du pays dans le libéralisme et l’année 1993 pour voir à nouveau le droit de l’avortement remis en question. Après un consensus difficilement trouvé entre l’Eglise et l’Etat, l’avortement n’est plus autorisé que dans trois cas de figure : le viol et l’inceste, un handicap grave ou une malformation du fœtus, et des risques encourus sur la vie de la mère. La promulgation de cette loi a réduit le nombre d’avortements officiels de 130 000 par an dans les année 1980 à moins de 2 000 aujourd’hui, laissant ainsi à penser à une explosion d’avortements clandestins et tout ce qui peut en résulter – risques sur la santé, tarifs élevés, voyages coûteux, arnaques, etc. Cette loi, c’est aussi le retour du religieux dans le politique : auréolée par son statut de martyr pendant la Guerre Froide, sanctifiée pour avoir porté et représenté l’identité nationale polonaise tout au long de l’Histoire contemporaine, l’Eglise catholique a récupéré, cette année 1993, une place politique équivalente à son aura populaire – notons que près de 90 % des Polonais se déclarent catholiques. « Le "compromis" de 1993 sur l'avortement s'inscrit dans une politique de conflictualité sociale, à un moment où la société est affectée par de gros changements, expliquait le sociologue François Bafoil, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique, spécialiste de l'Europe centrale, pour Le Monde Diplomatique en novembre 2016. Durant le partage de la Pologne, l'Eglise a permis d'assurer l'unité historique, territoriale, et l'idée de la nation. Elle a de nouveau joué ce rôle dans l'entre-deux-guerres, sous le nazisme puis sous le communisme. Elle a été le pilier de l'identité commune. Elle l'est restée dans les années 1990, alors que l'État était dépassé par l'ampleur des tâches à accomplir à la suite de l'indépendance, et le demeure encore aujourd'hui. »
Aujourd’hui : l’Église au coeur du projet de l’avortement
Vingt-cinq ans plus tard, le combat est toujours le même pour l’Eglise et ses considérations théologiques, pour qui l’avortement représente le meurtre et le déni de la vie. « Le christianisme offre une réponse très concrète aux interrogations de la vie, à-travers l’espérance et l’expérience de la mort, explique le Père Michał. Aujourd’hui, la société polonaise a tendance à cacher la mort : il y a moins de prières auprès de personnes qui sont mortes, par exemple. Si quelque chose n’est pas visible, pour certains, cela veut dire que cela n’existe pas. C’est infantile de penser comme cela, ce n’est pas mature. L’Eglise protège la vie, car la vie est un mystère qui se développe dans le temps. Le fait de la voir ou de ne pas la voir ne change rien : elle sera toujours là. » Que l’on ne s’y méprenne pas : l’Eglise n’est pas à l’origine du projet de loi sur l’avortement. L’initiative, d’origine citoyenne, qui a recueilli plus de 800 000 signatures en trois mois, est même jugée un peu trop sévère par l’épiscopat, notamment à propos des sanctions pénales que pourrait encourir la mère qui avorte. « Je ne veux pas extrémiser les gens non plus, prévient le Père Michał. Il faut prendre en compte la souffrance des femmes et l’Eglise doit s’engager là dessus. » L’Eglise ne s’est pour autant pas mise en retrait de la vie politique, notamment concernant le point épineux de l’avortement. Déjà, parce qu’une grande partie de ces 800 000 signatures ont été collectées dans des églises, souvent encouragées par les prêtres lors des offices, parfois même assez lourdement incitées. Ensuite, parce que le réseau local du catholicisme polonais a su garder une emprise très forte sur les femmes et hommes politiques du pays. « En Pologne, l’Eglise est toujours restée très puissante, avance Anna Karaszewska, vice-présidente du Kongres Kobiet et actrice déterminante du projet de loi visant à libéraliser l’avortement, initié par le collectif « Sauvons Les Femmes ». Son influence sur le politique n’est plus à prouver, que ce soit sur les précédents gouvernements de la PO ou sur celui du PiS : j’ai parlé à de nombreux députés et ex-députés, qui ont tous affirmé subir une certaine pression de la part des paroisses de leurs circonscriptions respectives. » Une « pression » qui aurait probablement poussé de nombreux députés de l’opposition à s’absenter lors du vote sur le texte de Sauvons Les Femmes, en janvier dernier. Quand, dans le même temps, l’initiative de Stop Avortement était autorisée à passer en Commission.