Une seconde fois en l’espace de moins d’un mois, les foyers polonais vont se parer de pétales et embaumer un parfum floral entêtant. La journée du 8 mars, reconnue en 1977 comme Journée Internationale des Droits des Femmes par l’ONU, est ainsi une réelle institution en Pologne, et ce depuis l’instauration du régime communiste d’après-guerre. Ce lundi, les quelques 18 millions de Polonaises recevront des fleurs des mains de leurs époux, frères, pères, amis, dans le but d’honorer la place de la femme dans la vie privée et publique.
Deux premières escales à Luksemburg et Lublin
Il faut mobiliser les femmes « en accord avec les organisations politiques et syndicales du prolétariat, dotées de la conscience de classe, conformément à la conception socialiste d'ensemble de la question des femmes. » Ces mots, inscrits dans la Résolution de la Conférence Internationale des Femmes Socialistes de Copenhague en 1910, sont l’oeuvre de Clara Zetkin. Cette journaliste allemande, figure de proue du féminisme socialiste, souhaite rassembler les femmes ouvrières de toutes les nations autour de revendications politiques et économiques, comme le droit de vote ou le salaire équivalent. Un leitmotiv tellement original en ce début du XXe siècle qu’il met ces femmes en opposition avec le jeune mouvement féministe de l’époque, jugé bourgeois, car laissant de côté la lutte des classes pour ne se concentrer que sur les différences de genre. Pour symboliser cette lutte d’un genre nouveau, Zetkin et Alexandra Kollontaï proposent une journée annuelle prévue pour mettre en avant les revendications des femmes ouvrières : la journée internationale des droits des femmes est née, et éminemment représentée en Pologne par Rosalia Lübeck, plus connu sous son nom polonais de naissance, Różalia Luksemburg.
L’arrivée au pouvoir du Comité de Lublin communiste en 1946 sera déterminante dans ce glissement thématique de la journée du 8 mars. Fidèles à une conception stalinienne de la société, les gouvernements communistes des pays satellites profitent de cette célébration pour vanter les mérites du régime stalinien, tout en incitant la population à produire en quantité pour le bien collectif. Installé à la tête de la Pologne par Staline, le Comité de Lublin se réapproprie ainsi la journée du 8 mars dès 1948. Désormais, l’heure est à la mise en avant de la productivité des femmes, qui doivent être honorées avec la plus grande ferveur. Le 8 mars n’est donc plus la fête du saint Wincenty Kadlubek, mais une journée où les femmes dépassent leurs normes de travail, sous le regard attentif des superviseurs communistes. Les plus méritantes voient alors leur portrait accroché aux murs des usines pendant le mois de mars.
Les fleurs des mâles et le Black Protest
Avec la progressive déstalinisation du pays et l’Octobre Polonais de 1956 – courte période de dégel où le pouvoir fit la critique du stalinisme -, les années soixante voient arriver une nouvelle mutation des festivités du 8 mars. Les femmes ne sont alors plus seulement perçues comme une force de travail, mais également comme les actrices importantes de la vie familiale. Cette dernière récupère d’ailleurs, avec le retour autorisé du religieux, un peu de sa place d’antan dans la culture polonaise. La dimension privée reprend progressivement ses droits également, comme l’atteste la mise en place d’un avortement légal et totalement gratuit jusqu’à 12 semaines de grossesse, dès 1956. Le 8 mars devient alors un moment particulier pour combler les femmes de bonheur. Et les années 70 poursuivent sur cette lancée. L’arrivée au pouvoir d’Edward Gierek en 1970, propice à un rapprochement avec l’Ouest et à l’accès à une consommation de masse, donne ainsi une première dimension marchande au 8 mars : les hommes du pays sont invités à offrir des oeillets rouges aux femmes de leur entourage. L’arrivée de la Saint Valentin, une dizaine d’années plus tard, et la marque communiste inscrite au fer rouge sur le 8 mars diminueront l’importance de cette tradition jusqu’à la fin du XXe siècle.
Est-ce la fin du chemin tortueux de cette Journée Internationale des Droits des Femmes en Pologne ? Plutôt le début d’une renaissance, selon Liliana Religia, coordinatrice des médias dans l’association Fédération des Femmes et du Planning Familial. « Il est vrai que les Polonais se contentaient bien souvent d’offrir des fleurs aux femmes qu’ils connaissaient ce jour-là, il n’y a aucun doute là-dessus, résume-t-elle entre une journée Porte Ouverte organisée par l’association ce lundi, et sa conférence en Suède prévue mardi. En revanche, je suis persuadée que cette date du 8 mars a recouvré, dans l’esprit des Polonais, toute sa portée politique. »
La lutte pour les droits des femmes a ainsi fait son retour, progressivement, dans les rues polonaises depuis 2000. « Cela va faire 19 ans maintenant que nous organisons des mouvements appelés Manifa, qui réunissent des milliers de personnes dans les plus grandes villes du pays. Bien sûr, certaines éditions n’ont pas offert de belles affluences : les premières éditions n’avaient réuni que quelques centaines de manifestants, tandis que d’autres attirent moins de monde à cause des conditions météorologiques parfois peu clémentes. Bien sûr, il existera toujours des gens désintéressés par notre cause et par la politique en général. Mais ce qui compte, c’est que les gens qui s’y intéressent aient accès aux informations concernant les mouvements de luttes pour les droits des femmes, et que le 8 mars soit devenu une date qui leur parle. »