Les cimetières ont l'habitude de se visiter, en Pologne, comme des parcs ou des musées. Ce n'est pas une tradition macabre mais une véritable manière d'en apprendre plus sur la culture du pays, et sur l'histoire de ses grandes figures. Varsovie compte plus d'une dizaine de cimetières répartis dans toute la ville, d'une grande variété de religions : catholiques, juifs, orthodoxes, protestants et musulmans. Lepetitjournal.com/Varsovie a eu la chance de visiter avec Varsovie Accueil le plus grand cimetière juif de la capitale, lieu rempli de symboles qui abrite des figures majeures de l'histoire polonaise.
La création du cimetière
Fondé en 1806, le cimetière juif de Varsovie de la rue Okopowa est l'un des plus grands cimetières juifs d'Europe (33 hectares et environ 200 000 stèles) et l'un des rares de cette religion qui remplit encore sa fonction en Pologne, avec 20 à 30 sépultures par an. Ce cimetière juif n'est pas le premier de cette confession dans la capitale puisque le plus ancien est établi au XVème siècle et est utilisé jusqu'à l'expulsion des juifs de Varsovie, à la fin du même siècle. S'ensuit une période durant laquelle les juifs des environs de la ville sont inhumés dans les cimetières des communautés voisines. Deux cimetières juifs sont ensuit construits fin XVIIIème-début XIXe. Le premier, établi en 1780 sur la rive droite de la Vistule, dans le quartier de Bródno, est rapidement surchagé. Il est, avec le temps, davantage destiné aux familles pauvres alors que celui d'Okopowa est davantage occupé par des familles aisées.
Le cimetière d'Okopowa est surpeuplé au bout d'une dizaine d'années à son tour et connaît de nombreux élargissements. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il est utilisé par les nazis pour les exécutions de masse et l'enterrement des victimes. On estime qu'à cette époque, environ 100 000 personnes ont été enterrées dans les fosses communes du cimetière. Après l'insurrection du ghetto en 1943, les Allemands font exploser tous les bâtiments de la zone, y compris la synagogue et les maisons funéraires. Après la guerre, le cimetière est rouvert et commence à être rénové dans les années 90.
Lieu d'une grande valeur sacrée et symbolique
Un cimetière juif est extrêmement sacré ; il y est interdit, contrairement à un cimetière chrétien par exemple, de toucher aux pierres tombales, de construire sur l'emplacement du cimetière, ou de le détruire. De ce fait, les pierres tombales sont rajoutées au fil du temps les unes au-dessus des autres, comme c'est le cas à Varsovie, rendant invisibles les tombes d'origine. La plus ancienne de ce cimetière date de 1807 mais personne, même notre guide n'a jamais réussi à la retrouver. Il faut dire que les allées ne sont parfois pas clairement tracées et les tombes sont très proches les unes des autres, ce qui confère à ce cimetière un aspect quelque peu chaotique et rend toute recherche difficile. Les pierres tombales juives sont placées, non pas derrière mais devant la tombe, ce qui peut surprendre au premier abord. Cependant, il est aujourd'hui obligatoire de la placer derrière. Les inscriptions sur les pierres tombales sont à l'origine inscrites en hébreu, même si durant l'époque des partages (fin XVIII-début XIX), il est obligatoire d'y rajouter le polonais, l'allemand ou le russe.
Lorsque le cimetière est créé, les dépouilles, selon la tradition juive, sont inhumées en terre dans un linceul, et non dans un cercueil. Cependant, on impose à Varsovie, depuis le milieu du XXème siècle, l'usage du cercueil, afin d'éviter les épidémies.
La tradition juive impose également dans les cimetières toute comme à la synagogue, une séparation entre hommes et femmes. En effet, les tombes de chaque sexe n'étaient pas situées au même endroit, tradition qui perdure jusqu'au XIXème siècle environ.
Partons maintenant à la rencontre des tombes les plus importantes du cimetière, sur le plan historique et artistique.
Cette tombe richement décorée est ce qu'on appelle en hébreu un "ohel', une "tente", soit un mausolée abritant la dépouille du défunt. Il s'agit en l'occurrence d'un membre de la famille Sonnenberg (une des principales familles appartenant au monde de la finance de Varsovie), fournisseur à la cour du dernier roi de Pologne, Stanislas II Auguste Poniatowski et parmi les premiers juifs de son temps à faire le lien entre tradition religieuse et mode de vie polonais. Un des deux bas- relief ornant son mausolée, considéré comme le plus beau d'Europe, représente la capitale.
Nous voici devant la tombe d'Adam Czerniaków, célèbre pour avoir été, sous la Seconde Guerre mondiale, à la tête du Judenrat (corps administratif formé dans le ghetto juif) du ghetto de Varsovie. Il est convoqué le 22 juillet 1942, où on lui demande de prêter son aide aux départs des premiers convois de déportations vers l'Est. Ce dernier refuse de participer, et réalisant que ces déportations signifient la mort, il se suicide. Un acte qui divise car s'il est symbole de courage pour certains, il est une preuve de lâcheté pour d'autres, lesquels pensent qu'il aurait pu plaider en faveur des juifs.
Le nom du défunt de cette tombe vous est sans doute inconnu, mais certainement pas son invention. Il s'agit de Ludwik Zamenhof, surnommé Doktoro Esperanto, inventeur de la langue du même nom. Ce dernier part du constat que les guerres sont provoquées par les différences de langue entre les peuples, les empêchant de se comprendre. De là vient son idée d'une langue mondiale commune, qui ne rencontra pas l'effet escompté.
Dans une partie du cimetière, vous pourrez trouver les tombes des insurgés du ghetto de Varsovie, regroupés en « camarades » jusque dans l'au-delà. La dernière tombe de cet ensemble est très récente puisque c'est celle de Marek Edelman, mort en 2009, un des leaders du soulèvement du ghetto de Varsovie. Eloigné de la religion juive, sa dernière volonté est de reposer auprès de ses frères d'armes.
Les symboles étant légion dans un cimetière juif, de nombreuses inscriptions sur les pierres tombales ne peuvent se comprendre sans une explication préalable. Voici les symboles les plus courants qu'on retrouve sur les tombes, qui sont de précieux indices pour connaître l'identité du défunt ou encore son caractère :
-Deux mains faisant un geste de bénédiction : le défunt provient de la famille des Cohen, membres du clergé hébreu
-Cruche qui remplit une vasque d'eau : le défunt est issu de la famille des Lévites, serviteurs des Cohen, auxquels ils versaient sur les mains l'eau d'ablution purificatrice.
-Bibliothèque : le défunt est un rabbin
-Le tronc à aumône, avec une main donnant une pièce : le défunt est une personne charitable
-Chandelier : une femme est enterrée, car ce sont elles qui, pour le Sabbat, en allume les bougies. Les bougies sont généralement brisées sur les pierres tombales, afin de marquer la mort.
La tradition juive interdit de représenter des figures humaines, ainsi que des corps. C'est pourquoi cette sculpture d'ange a fait scandale, et même si ce n'est pas un personnage humain à part entière, les juifs orthodoxes s'y sont fermement opposés. Cette tombe a ainsi été plusieurs fois dévastée par ces derniers.
Ce monument à la lisière du cimetière est la tombe symbolique de Janusz Korczak, médecin-pédiatre et écrivain polonais. Il est célèbre pour avoir accompagné les enfants déportés du ghetto de Varsovie, dont il s'occupait dans un orphelinat. D'ailleurs, alors qu'à Treblinka, les pierres tombales n'indiquent que les noms des villes d'où proviennent les convois, il est le seul à être nommément indiqué, ainsi que les enfants qu'il accompagnait. Le film Korczak, d'Andrzej Wajda, raconte son histoire.
Merci à Varsovie Accueil et à notre guide Andrzej Papli?ski
© photos: Constance H.
Constance Horeau (lepetitjournal.com/Varsovie) - Lundi 12 juin 2017
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