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La stupéfiante histoire de la Niche 1501 

Calle de las Barcas à ValenciaCalle de las Barcas à Valencia
jdiezarnal.com
Écrit par Paul Pierroux-Taranto
Publié le 18 avril 2020, mis à jour le 20 novembre 2023

C’est le récit d’un homme presque inconnu qui est devenu une icône des collectionneurs, bibliophiles et autres amateurs de Valence et ses secrets. Nous le devons à l’historien Rafael Solaz Albert qui l’a fait surgir du passé ravivant ainsi la flamme d’une histoire d’amour promise à l’oubli. Edgar Allan Poe, Lovecraft ou Villiers de L’Isle-Adam auraient pu s’en inspirer.

 

Tout commence à Valence aux alentours de 1870.

Un jeune homme de quinze ans rentre du Théâtre principal où il assiste religieusement aux pièces qui y sont jouées chaque soir.  

D’un pas ferme, il se dirige à travers les ruelles de Valence vers son domicile, Calle de las Barcas. Mais son esprit est ailleurs. Depuis qu’il a rencontré Emilia Vidal Esteve, voisine de deux ans de moins que lui, Vicente García Valero ne dort plus. Elle hante toutes ses pensées, occupe toutes ses nuits de veille. L’étreinte de ses bras adorables, ce premier baiser volé sous la lune - rose trémière au jardin des caresses ! - accompagnent ses pas et enivrent son coeur. Dès le premier regard, il est tombé amoureux de cette jeune fille comme on tombe d’un précipice, - happé par le vertige des profondeurs. Transporté de joie, aussi, depuis que les parents d’Emilia ont consenti à lui donner la main de leur fille. 

Seulement Vicente doit partir pour Madrid. Le contrat qu’il a signé avec une compagnie de théâtre l’oblige professionnellement. Il s’installe donc dans la capitale, loin de sa promise, avec la ferme intention de l’épouser une fois que sa situation économique le permettra.  

Mais le destin est capricieux. En 1876, une épidémie de fièvre typhoïde emporte Emilia à dix-huit ans seulement. Sort échu aux personnes de sa condition ou peut-être par mesure de prévention sanitaire, elle est abandonnée sans autre forme de procès dans une fosse commune au cimetière général de Valence.

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Vicente García Valero en 1909
Photo : archive personnelle de Rafael Solaz Albert

 

Vicente, qui apprend la nouvelle, est effondré. Son rêve d’une vie est anéanti. Il n’a dès lors qu’une seule idée en tête : exhumer le corps d’Emilia et lui offrir un enterrement digne. Il se bat contre vents et marées, persévère en dépit des obstacles juridiques et sanitaires et parvient à arracher de haute lutte un accord d’exhumation. Il débourse alors 250 pesetas pour payer la cérémonie - une fortune pour l’époque - et puise dans ses ressources personnelles pour acheter la propriété perpétuelle de la niche 1501. Le 24 décembre 1876, Emilia est déterrée en catimini avec la complicité du curé du cimetière. Vicente écrira dans ses mémoires qu’elle semblait dormir du sommeil du juste. 

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. 

Peu de temps après, Vicente, inconsolable de la perte de sa bien-aimée, trouve refuge dans les bras d’une autre femme, Angela, qui n’est autre que... l’une des soeurs d’Emilia. Désormais marié, il vit avec elle à Madrid et aura une fille à qui il donnera le nom... d’Emilia. Chaque année, à la Toussaint, il envoie de l’argent pour que l’on dépose des fleurs dans le cimetière de Valence, sur le caveau de l’ensevelie.

C’est un répit de courte durée. 

Alors que Vicente multiplie les cachets, crée sa propre troupe de théâtre et devient un acteur à succès (il écrira même quelques pièces de théâtre entre 1883 et 1905), sa fille meurt dans de terribles circonstances à l’âge de cinq ans. La maladie lui prendra aussi sa femme quelques années plus tard. 

Dans ses mémoires, il écrit : “ A mi siempre me ha rodeado la muerte ” (La mort m’a toujours accompagné). 

Veuf, Vicente plonge dans la vie de bohème pour noyer son chagrin. Au cours de ses pérégrinations Vicente rencontre une femme jongleuse dont les traits lui font immédiatement penser à la tête adorée et divine d’Emilia. Il jette son dévolu sur elle, la demande en mariage avant de s’apercevoir... qu’il s’agit en fait d’un homme! 

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Illustration : Serge Helholc

 

Son obsession pour Emilia est telle qu’elle le conduit à convoler en justes noces avec Amparo, la troisième soeur d’Emilia. De plus, il embauche un photographe pour immortaliser la niche 1501, image qu’il placera bien en évidence dans le salon de sa maison de Madrid.

Dans les dernières années de vie, sa carrière n’est plus qu’un souvenir. Usé, courant après des cachets de moins en moins lucratifs, Vicente, selon ses amis, traînait l’ombre de son passé et vivait dans les loges du souvenir.

Il met pourtant un point d’honneur à respecter le serment qu’il s’est fait et continue à envoyer des fleurs et de l’argent pour entretenir la pierre tombale.

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Couverture du livre "Niche 1501" de Rafael Solaz Albert

 

Sa situation financière se dégrade d’année en année et en 1911 il n’est plus en mesure de tenir sa promesse. 

L’année suivante, il erre, l’âme en peine, dans les rues de Madrid et tombe sur un jeu de hasard portant le numéro 1501. Sans hésiter, il l’achète pour 10 pesetas. Au moment du tirage au sort, le 10 octobre, il remporte 6000 pesetas. Il écrira : " Tant de temps à envoyer de l'argent pour des fleurs à mon Émilia, et maintenant elle me le rend ! "

Vicente meurt à Madrid en 1927. La niche 1501 où repose Emilia est toujours dans le cimetière de Valence. Malgré le passage du temps et l’érosion de la pierre, on peut encore y lire : en souvenir de Vicente García Valero. Phrase anodine qui cache pourtant une passion obsédante, une histoire d’amour tragique mais plus forte que la mort.  

 

Nous remercions l'historien et bibliophile Rafael Solaz Albert, auteur d’innombrables livres sur Valence, qui a découvert l’histoire de la Niche 1501, et nous a conseillé et documenté lors de la réaction de cet article.  

Tous nos remerciements aussi à l’artiste Serge Helholc pour sa superbe illustration !

 

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