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Fernando Arrabal : "Rien ne me détourne de mon bonheur d’écrire "

fernando arrabalfernando arrabal
Fernando Arrabal. Audoin Desforges/Pasco&co
Écrit par Paul Pierroux-Taranto
Publié le 14 juin 2021, mis à jour le 10 avril 2024

En plein confinement, convoquer le surréalisme comme antidote au surréel des événements nous semblait opportun. Et qui, à ce titre, de mieux placé que Fernando Arrabal, symbole vivant des avant-gardes ? Le météore, la supernova des quatre avatars de la modernité, s'est prêté au jeu pour nos lecteurs.


Fernando Arrabal est tout à la fois poète, écrivain, peintre, cinéaste, dramaturge (son théâtre compte plus de cent pièces qui se jouent dans le monde entier), et bien sûr, Transcendant Satrape du collège de Pataphysique. Né à Melilla en 1932, il s’installe à Paris en 1955. Il se lie d’amitié avec Andy Warhol, Tristan Tzara, côtoie les surréalistes et co-fonde le mouvement Panique avec Alejandro Jodorowsky, Roland Topor et Christian Zeimert
" Cuando nada lo justifica todo disponga de mí como de una sombrilla de La Malvarosa ", nous écrit-il. Nous le remercions d’avoir pris le temps de répondre à nos questions depuis son appartement parisien où il a passé ces quelques mois de confinement.



Paul Pierroux-Taranto : La période de confinement a été très productive pour vous. Vous venez d’ailleurs de signer une pièce de théâtre sur le confinement " Crumbs de confinamiento ". Pouvez-vous nous en parler ? En quoi est-elle l’une de vos " pièces favorites " ?

Fernando Arrabal :  Le confinement, à Paris, n’a rien eu à voir avec celui de Tommaso Campanella, qui a duré 22 ans, et lui a permis d’imaginer l’utopique Civitas Solis. Je me demande parfois à quels dragons alpins croyons-nous encore –  comme Newton, il y a presque  400 ans, il croyait qu’ils pouvaient gambader dans les contreforts des Alpes. J’emploie (et peut-être utilisons-nous) le mot confinement et la mise en quarantaine de manière excessive. Mais sans doute aurait-il été pire de le nommer d’autres mots tentants comme l’isolement, l’internement, l’ostracisme. La girouette égocentrique est convaincue qu’elle fait tourner le vent. Il est possible qu’on essaie de se victimiser (allez un autre mot !), à une époque où, comme Héraclite, Diogène ou Jorge Manrique... Nous sentons que tous ceux qui souffrent vraiment et qui meurent sont et seront toujours ceux que la Fortune choisit. Je pense bien sûr à ceux qui souffrent… et surtout et très spécialement à la metteuse-en-scène d’un Fando y Lis inoubliable (S.L.) … il serait plus logique que moi-même avec mes 88 ans et ma constante insuffisance respiratoire… 


Mais l’écrivain a été le grand bénéficiaire de l’enfermement ou, tout du moins, moi, je l’ai été totalement. J’ai évité tous les voyages ou distractions plus ou moins habituels. Rien ne me détourne de mon bonheur (peut-être puéril) d’écrire. Il n’a pas été mon premier enfermement. Il a été bien différent des autres de l’hôpital à la prison. Il a été incomparable avec les vraies séances de martyre (bronchoscopie) subies par un patient tuberculeux, ou avec le cachot (armoire de pierre) où le dissident de l’ancien régime pouvait passer des nuits entières à la Direction Générale de la Sécurité (de la Puerta del Sol à Madrid). Evidemment mon récent enfermement ne m'a pas empêché d’écrire et d’être actif sur les réseaux... à un rythme plus élevé que d’habitude : je suis un hacedor de textes, de gloses, de poèmes plastiques, de selfies presque quotidiens.

 

impertinence
IMPERTINENCE
​​​​​​huile sur toile de 127 cm x 102 cm de F. Arrabal 

 

Ce confinement était idéal pour écrire une pièce. Le dramaturge en a été le grand bénéficiaire. C’est aussi pourquoi Anton Tchekhov conçoit ses œuvres-magnanimes dans un couloir, sans entendre le cri des enfants. C’est pourquoi Sainte Thérèse, agenouillée en sa cuisine, grommelant a dû écrire par ordre supérieur, l’histoire de sa vie (son incomparable et brillante autobiographie). C’est pourquoi le malheureux Johann Wolfgang von Goethe écrit précisément "Les Douleurs du Jeune Werther", son chef-d’œuvre. C’est pourquoi le génie Echegaray jouira jusqu’au dernier souffle de la haine irrationnelle et masochiste de ses compatriotes. C’est pourquoi Tirso de Molina invente son mythe, par-dessus la jambe. Son nom n’était d’ailleurs pas Tirso De Molina, mais José López, le fils des " domestiques " !

 

petales
PÉTALES
F. Arrabal


 
Vous avez aussi écrit un hymne au confinement (La complainte de la rue désertée). Pensez-vous que l’on peut créer jusque dans l’airain du taureau de Phalaris ?

Vous parlez de la constellation du zodiaque ? Du tyran fils de Léodamas de Rhodes ? De l’airain satisfaisant  à toutes les exigences de la civilisation ? Du moyen de torture employé au IVe siècle dans le martyre de Pélagie de Tarse? Ou ? Ou ? J'écris seulement un long  poème "Complainte de la rue désertée". Je tiens à remercier les dizaines de traducteurs et les voix les plus écoutées d’aujourd’hui qui m’ont fait l’honneur immérité de me féliciter.

 

Qu’est-ce qui détermine votre choix d'écriture entre le français et l’espagnol ?

J'écris en français et en espagnol y todo lo contrario.



Vous vivez en France depuis 1955 et vous vous êtes décrit à plusieurs reprises comme un déraciné (“medio expatriado/medio exiliado”). Après tant d’années, revenez-vous sur cette opinion ?

Je suis un expatrié ? Un desterrado ?



Comme Marcel Duchamp, vous êtes un grand amateur d'échecs et vous ne dérogez pas à votre rituel des 10 minutes chaque soir. Que représente ce jeu pour vous ?

Pour mes amis ( Beckett, Gala Dali, Thomas Pynchon, Nabokov, Duchamp) et pour moi jouer fut toujours une grande joie...

 


Vous avez pris part aux quatre avatars de la modernité (le dadaïsme, le surréalisme, le mouvement panique et la pataphysique). Quelle est votre définition de la modernité ? 

Depuis big-bang et le tohu-bohu tout est décidé avec la rigueur mathématique de la confusion.


 
Par quels chemins le surréalisme est-il venu à vous ?

Qu’auraient-ils pensé Vaché, Péret ou Dali ?
 


Avec Jodorowsky, Topor et Zeimert, vous êtes le fondateur du mouvement Panique. Pouvez-vous revenir sur cette expérimentation artistique ?

Les textes fondateurs (10/18 etc) ne se réfèrent pas encore aux expériences.
 

lepanique


 
Vous avez accédé au titre de Satrape du Collège de Pataphysique en 1990. Quelle est, au juste, votre tâche ?

Aucune tâche ! 

 

arrabal
Fernando Arrabal

 

Votre roman La vierge rouge, écrit en 1986, est maintenant réédité. Il relate l’histoire d’une mère qui décide de donner naissance à une fille, sans tenir compte du procréateur, et d’en faire une créature parfaite et unique, sorte d’incarnation de l’Oeuvre au rouge alchimique. Elle finit assassinée par sa mère de six balles de revolver. Pourquoi vous êtes-vous saisi de ce “ fait divers ” qui a ému l’Espagne en 1933?

J’ai peut-être pensé à Regina Fischer/Staline ? 


 
Peut-on voir dans cette histoire une métaphore du processus de création artistique ? Je songe, par exemple, à René Daumal qui distinguait " le poète blanc qui cherche à comprendre sa nature de poète, à s’en libérer et à la faire servir " et le " poète noir qui s’en sert et s’y asservit ".

Malheureusement je ne connais que sa tuberculose final et très peu son indianisme.


Dans "le théâtre de la réalité " comme confusion, existe-t-il une différence entre l’accident et l’événement ?

Pour le moment j'ignore ces relations.


 
Après Newton, Planque (N.D.L.R. faute de frappe pour Planck), Einstein et le mouvement panique, quelle est la révolution à venir ?

Planque est-il le seul à pouvoir l’augurer ?


 
Une question d’un ami peintre : " quelle serait pour vous l’expérience la plus enrichissante dans la conception d’un couloir du temps ? "

Avec Clavier et Planque aussi ?


Et pour finir, pourquoi l'œuvre de Cervantes est-elle essentielle ?

Elle l’est pour les uns. Non essentielle pour d'autres.

 

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