La Fifla est le surnom que porte la famille de Silvia Soria. Agée de 86 ans, cette dame souriante nous a ouvert la porte de chez elle. Originaire de La Punta, elle a passé la majeure partie de sa vie dans une petite maison traditionnelle valencienne appelée “barraca”. À quelques kilomètres du cœur de ville, le quartier de Malaguanyat nous fait faire un saut dans le temps. Ici, pas un bruit, ou presque. Silvia Soria est entourée de vastes champs. Enfant pendant la guerre civile, elle est la fille d’un combattant républicain fusillé à Paterna.


Jordi Sebastià est le gendre de Silvia Soria. Touché par l’histoire de sa belle-famille, il décide d’en faire un documentaire. Il l’appelle “La Fifla : un récit sur la dignité et l’importance de la mémoire”.
La barraca, vestige d’une époque révolue
On trouve ces petites maisons au toit très incliné au cœur de la Huerta valencienne, à proximité des cultures. Leur présence témoigne de l’histoire de La Punta, un quartier en périphérie de Valencia qui cultive des souvenirs d’antan.
Le contraste est frappant. Alors que la Zone d’activités logistiques (ZAL) de La Punta n’est qu’un vaste espace vide, bien loin de l’idée d’effervescence bureaucratique que l’on pourrait s’en faire, quelques vestiges du passé subsistent. Ce sont les barracas. Ces constructions d’abord temporaires ont fini par se faire une place parmi les cultures, au gré des conjonctures politiques et économiques. À l’origine, la barraca est réalisée par les agriculteurs à partir de boue et de paille, des matériaux légers et peu chers. Elle sert à entreposer les outils à proximité des champs. Finalement, certains finissent par les agrandir pour s’y loger, eux et leur famille.

Aujourd’hui, la plupart des barracas qui subsistent sont en état de délabrement, après que leurs habitants aient été expulsés lors de la création de la ZAL. Toutefois, l’une d’elles s’érige encore fièrement derrière la Cité des Arts et des Sciences : la barraca de la Fifla.
La Fifla, témoin tragique des horreurs de l’après-guerre civile espagnole

Alors que nous arrivons à proximité de la casa de la Fifla, Jordi Sebastià évoque l’horreur de la répression directement vécue par sa belle-famille à la fin de la guerre civile. Le père de Silvia Soria a toujours lutté pour la République. Dénoncé par un voisin et emprisonné pendant plusieurs années, il est finalement fusillé.
Silvia Soria voit son père emmené par les forces de l’ordre le jour de Noël. Pendant plusieurs semaines, sa mère tente de le faire libérer par tous les moyens. Elle falsifie des documents et parvient à trouver un bateau chargé d’emmener les prisonniers évadés dans les eaux internationales. Son mari se sait innocent et refuse de partir. Il sera tué malgré tout.
Cayetano Ripoll : la dernière victime de l’Inquisition espagnole
Si le tragique réside d’abord dans la cruauté de telles exécutions, le pire de l’histoire se trouve peut-être ailleurs. “Alors âgée de sept ans, ma belle-mère a dû recueillir le corps sans vie de son père au cimetière de Paterna, qui était le lieu de fusillades le plus important d’Espagne à l’époque.”, nous explique Jordi Sebastià, l’air sombre. Touché par le récit que brosse Silvia, il décide de réaliser un documentaire pour lui donner l’occasion de raconter son histoire.
Un documentaire qui célèbre le devoir de mémoire
Le court-métrage La Fifla a été présenté lors de la septième édition du festival DocsValència/Espacio de No Ficción, qui a eu lieu en mai 2023 à Valencia. Il fait partie des seize documentaires sélectionnés pour la projection, sur un total de trente-sept productions.
Tout au long des vingt-huit minutes de documentaire, Jordi Sebastià s’attache à faire revivre La Punta du siècle dernier. Grâce aux effets spéciaux, il reconstitue par exemple l’ancienne plage désormais remplacée par le port de Valencia, l’autoroute et le chemin de fer. Alors que les images défilent, Silvia Soria raconte. Elle fait vivre la mémoire et transmet son expérience de la guerre aux nouvelles générations. Ses mains tremblantes sont le signe d’un passé encore proche et douloureux.
Plus qu’un récit familial, La Fifla est un morceau d’histoire qui aborde les questions de dignité et de devoir de mémoire. Car l’horreur ne doit pas être oubliée, Jordi Sebastià a décidé d’allumer sa caméra. Ainsi est née La Fifla : un récit sur la dignité humaine et l’importance de la mémoire.