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Emmanuelle MALIBERT : « Le potager de Valencia est extraordinaire ! »

Emmanuelle MalibertEmmanuelle Malibert
Écrit par Shirley SAVY-PUIG
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 11 janvier 2018

Emmanuelle Malibert a 50 ans et en avait 22 lorsqu’elle est arrivée à Valence pour y travailler. Cette bonne-vivante au sourire communicatif dirige d’une main de maître le restaurant Atmosphère de l’Institut Français de Valencia. Originaire des Pyrénées-Atlantiques, elle aime marier dans sa cuisine les saveurs du monde auxquelles elle donne une petite touche française bien entendu. Rencontre avec cette cuisinière de talent dont la tarte tatin n’est pas l’unique atout ! 

Lepetitjournal Valence : Emmanuelle, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous et sur votre parcours à Valence ?

Emmanuelle Malibert : J’ai 50 ans et je suis arrivée à Valencia alors que j’en avais 22. Cela fait donc plus longtemps que j’habite à Valencia qu’en France. Je suis originaire d’un petit village qui s’appelle Artix, à côté de Pau, à la frontière espagnole, pas loin de San Sébastian. Nous passions souvent nos weekends en Espagne car nous étions à deux heures de routes. A l’époque je faisais des études en hôtellerie. Je devais faire un stage à l’étranger et j’ai passé neuf mois à Valencia, puis un an et demi à Londres. A mon retour d’Angleterre, j’avais trois possibilités en tête : rester en Angleterre, repartir en France, à Paris, ou retourner en Espagne. Mais à 22 ans ce n’était pas forcément un choix réfléchi. Je m’étais fait plein d’amis à Valencia, j’avais bien accroché. On m’a proposé un petit job et je suis restée. 

Avant de venir à Valence, connaissiez-vous la ville ?

Non, je connaissais l’Espagne car dans les Pyrénées Atlantiques, nous avions énormément d’espagnols expatriés. Dans ma petite école comme au lycée, il y avait beaucoup de Martinez, Rodriguez, Lopez et Perez. Une de mes meilleurs amies, Marie Toledano, était repartie avec ses parents à Cordoba. J’y avais passé trois mois là-bas, mais je n’ai pas voulu y faire mes études. 

Il y a 30 ans, comment était Valence ?

Il y a 30 ans c’était une ville en plein « boom ». Le jardin du Turia n’existait pas encore, enfin pas comme on le connait aujourd’hui. La ville a énormément changé en 30 ans mais elle avait déjà ce côté petite ville facile à vivre. C’était l’Espagne qui voulait changer, qui avait envie de culture … Je me souviens que nous allions au café Lisbonne, calle Caballeros mais qui a déménagé depuis. C’était un café emblématique où les gens parlaient politique à voix basse. Il y avait encore le fantôme de la dictature espagnole qui flottait et les gens avaient peur de la liberté d’expression. Mais certains voulaient s’exprimer. Il y avait une petite révolution culturelle, c’était palpable. Nous faisions la fiesta à Ibiza pour un weekend. Et puis nous les français, nous avions une espèce d’auréole : nous étions ceux qui amenaient le côté frivole. 

La ville a énormément changé en 30 ans mais elle avait déjà ce côté petite ville facile à vivre.

Comment avez-vous vu changer cette ville depuis 30 ans ?

La Ciudad de las Ciencias n’existait pas, Blasco Ibañez n’allait pas jusqu’à la plage, le Marché Central était plus rustique qu’il ne l’est maintenant. L’ambiance était différente. Il y avait beaucoup plus de drogues : les gens fumaient plus de haschisch dans les rues et il y avait ce qu’on appelait la Ruta del Bakalao. Mais toute l’Espagne était en ébullition. Les jeunes se lâchaient, tout était permis ! Les discothèques ouvraient jusqu’à 8 heures du matin, les bars jusqu’à 5 heures. Tout était bon marché, il y avait du travail pour tout le monde, la crise est arrivée bien après. Dans la ville, il y avait des grues à tire-larigot, tout se construisait… Dix ans après nous avons eu toutes les conséquences de ce boom économique qui n’a pas été contrôlé.

Toute l’Espagne était en ébullition. Les jeunes se lâchaient, tout était permis !

Comment en êtes-vous arrivée à ouvrir votre propre restaurant ?

Alors c’est une jolie et une triste histoire en même temps. Il y a 12 ans, j’étais venue manger dans ce restaurant au sein de l’Institut français avec une amie d’enfance de mon village d’Artix. Nous sommes arrivées dans ce patio où il n’y avait personne, c’était triste. Nous avons trouvé ce restaurant sans grand intérêt et nous sommes donc partie. Mon amie, qui savait que je voulais monter mon restaurant, m’a dit «mais pourquoi tu ne postules pas pour reprendre la gérance de ce restaurant». Et je l’ai fait ! A l’époque c’était Monsieur Pierre Bertier le Directeur de l’Institut. Il m’a reçue très gentiment pour m’expliquer que trois femmes tenaient le restaurant et que cela se passait bien. C’était au mois de mai 2006 et il m’a rappelé en octobre de la même année pour m’annoncer que les gérantes partaient et qu’il me proposait de reprendre l’affaire. J’ai ouvert le 15 janvier 2007, le jour de mes 40 ans. Tout cela, c’est grâce à Sylvaine, mon amie d’enfance, qui malheureusement n’est plus là aujourd’hui.

Comment définiriez-vous la cuisine de votre restaurant l’Atmosphère ?

Alors très curieusement, le Directeur actuel du Muvim m’a dit «Tu es plus cuisine du monde avec une touche française». Du coup, j’ai gardé cette phrase car je trouve qu’elle me correspond bien. En fait, je n’ai pas voulu me restreindre à une cuisine française, qui me plait, mais qui est forcément limitée. Etant donné qu’à Valencia nous avons des riz et des plats excellents, je me suis dit qu’il fallait faire un peu de tout et je m’arrange toujours pour qu’il y ait un plat français à la carte, notamment ma tarte tatin. Mais je ne vais pas trop en parler de cette tarte parce qu’elle a trop de succès (rires) ! Les clients viennent juste pour elle alors que nous faisons aussi d’excellents moelleux au chocolat, des tartes au citron, des iles flottantes, des clafoutis aux framboises et même de la crème brûlée avec de vraies gousses de vanille de Bourbon ! Nous cuisinons tout nous-même : les fonds de poisson pour nos riz, nos fonds de sauce.

Emmanuelle et une de ses tartes

 

L’Atmosphère, c’est donc le mélange d’un bistrot français et d’un bar espagnol ?

Oui voilà ! On peut venir chez nous dès 8h30 pour les croissants et les tartines. A 9h30, c’est l’almuerzo avec notamment l’omelette de Teresa qui a remporté le prix de la meilleure tortilla de patatas du quartier del Carmen. A 12h30, nous fermons 30 minutes pour que nous puissions manger et préparer la salle. A partir de 13h15, c’est la partie restaurant et de 16h15 jusqu’à la fermeture à 20h30, on enchaîne le goûter avec la tarte tatin, une carte des thés ou le verre de vin avec une tapas. Deux samedis par mois, nous organisons les cenas gourmet avec les accords mets-vins.

Nous sommes vraiment une brasserie française où l’on peut avoir une salade avec un verre de vin, un menu complet ou un casse-croûte.

Valence et sa région sont-ils inspirants pour la cuisine ? Prenez-vous du plaisir à cuisiner avec les produits de la huerta ?

C’est incroyable, le potager de Valencia c’est quelque chose d’incroyable ! On trouve de tout ici, même des topinambours ! L’autre fois, j’ai fait une soupe de légumes d’antan. Alors il faut peut-être aller à MercaValencia (NDLR : l’équivalent du marché de Rungis pour Valence), au Marché Central, ou les commander à son fournisseur car on ne va pas les trouver tous les jours. Mais la variété est incroyable, on trouve de tout !

Est-ce que les grands chefs de la région comme Ricard Camarena ou Quique DaCosta vous inspirent ?

Pour moi, c’est surtout la revue Saveurs que l’on trouve à la Médiathèque de l’Institut français. Comme nous changeons notre menu tous les jours, tous les jours à 16h30, je m’installe à la Médiathèque de l’Institut où je consulte cinq ou six revues pour m’inspirer. C’est la cuisine que j’aime, des saveurs que j’adore, des choses revisitées et rigolotes. Mon cuisinier favori c’est Jamie Oliver, le chef Anglais. Pour ma part, j’ai travaillé avec Oscar Torijos, un chef étoilé, qui est un ami et qui a été mon patron. Il réalise une cuisine « popotte » que j’adore. J’ai aussi travaillé deux ans avec Steve Anderson qui possède le restaurant Ma Khin et le Seu Xerea. J’ai adoré travailler avec lui !

Je m’inspire un peu de tout ce que j’ai appris le long de ma carrière en fait. Je vais sur mes 51 ans, donc j’ai un peu de bouteille !

Imaginons que vous ayez des amis qui viennent manger, quel serait votre repas idéal ? Que leur cuisineriez-vous ?

Comme nous avons du très bon poisson, à des amis français, je préparerais de la morue. C’est un poisson qui a très mauvaise réputation en France alors que la manière de le cuisiner est excellente ! Je la fais au restaurant avec des pommes de terre à l’étouffé et un croustillant d’ailloli. C’est un plat tout simple. Dès que je rentre en France, j’apporte de la morue à mes parents qui se sont réconciliés avec. Je pense que le leur ferais aussi un secreto de porc confit à l’orange. El secreto, c’est un morceau du porc qui est coincé entre les côtelettes et le rôti. C’est un plat que l’on fait ici qui est très tendre, confit cinq heures dans du jus d’orange.

Pour des amis espagnols, je ferais des œufs mollets. Par exemple, des œufs mollets avec une émulsion de chou-fleur, un sauté d’ail frais et d’asperges vertes. Et en dessert, de bonnes pâtisseries françaises.

Quand vous rentrez en France, c’est dans votre région d’enfance ?

Oui, mais une fois par an je vais voir mon frère à Paris. Nous sommes une grande famille et c’est ce qui me manque le plus de la France. Mais à l’époque où j’ai commencé à vivre ici, je mettais 9 heures à faire le trajet en voiture alors que maintenant on ne met que 6h30. Donc dès que j’ai un pont ou quatre jours de suite, je prends la voiture et je file en France.

Quel est le bilan de votre expatriation ici ? Plutôt positive apparemment ?

J’aurais du mal à revivre en France. L’horaire espagnol me convient tout à fait : des matinées longues, des après-midis longs, des gens qui vivent dehors jusqu’à très tard.

Que conseilleriez-vous aux francophones qui arrivent ici ou à ceux qui veulent vivre à l’étranger ?

Il faut qu’ils aient une ouverture d’esprit, ils ne pourront pas tout changer ! Après, forcément il faut parler la langue car pour trouver du travail c’est important. Il faut s’intégrer également. C’est peut-être plus difficile quand on vient en famille alors qu’en venant tout seul, on est obligé de s’intégrer.

 

Retrouvez les créations culinaires d'Emmanuelle au restaurant l'Atmosphère.

 

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