Sur l’esplanade du dôme de Genbaku, Mito Kosei, chaque jour fort de son sourire, raconte Hiroshima. Devant le mémorial et l’ossature de son dôme métallique, il redessine les souvenirs de ce moment tragique. C’est un témoignage poignant de ceux qui ont vécu l’Histoire, le combat résolu contre les armes de la guerre. Car à travers le récit de la bombe par les yeux de ses proches, Mito Kosei n’adresse qu’une volonté : plus jamais Hiroshima.
L'histoire de Hiroshima à travers les yeux de Mito Kosei
Lorsque la bombe, que les américains surnomment « Little Boy », irradie la ville, le 6 août 1945, Mito Kosei se trouve encore dans le ventre de sa mère, exposée aux radiations 3 jours plus tard lorsqu’elle entre dans le centre ravagé d’Hiroshima à la recherche des vestiges de sa maison. Elle lui donne naissance 6 mois plus tard. Il est un survivant in utero. D’autres n’ont pas eu cette chance : les radiations, autant qu’elles calcinent les chairs, pénètrent les ventres. Beaucoup d’enfants sont morts avant même de voir la lumière du jour, encore soigneusement portés dans le giron de leurs mamans aimantes. Les enfants nés sans problèmes évidents, connaissent, eux, un taux de mortalité plus élevé en dépit des sevrages effectués.
Dans son enfance, Kosei, chétif, est souvent malade, mais il se bat, grandit et s’accomplit. Ses pas le mènent à faire carrière dans l’enseignement, puis la trace d’Hiroshima le rappelle et le fait entrer au Musée du Mémorial de la Paix : il devient guide. Pourtant ce n’est pas assez ; Kosei ne se sent pas libre dans sa parole, emprisonné dans les carcans de l’institution officielle qui l’empêchent notamment de répondre aux questions des visiteurs curieux. Alors il part s’installer en 2006 aux pieds de ce Dôme décharné, de l’autre côté du Parc du Mémorial de la Paix. Là, chaque matin, contre les talus et les arbustes il déplie sa chaise de tissu et dispose ses cahiers qui racontent l’Histoire. L’Histoire d’Hiroshima, l’Histoire d’un peuple, d’une ville viscéralement abîmés, l’Histoire de ses parents. Soutenu dans sa démarche, une quinzaine de guides bénévoles l’ont rejoint pour partager leur propre vécu. Ensemble et bénévolement, ils forment le groupe FIG (free and informative guide) et assurent une présence quotidienne pour porter la voix des survivants.
Hibakusha : les survivants de Hiroshima
Ces hibakusha comme on les a nommés : ces hommes, ces femmes et ces enfants, présents à quelques kilomètres de l’hypocentre le 6 août 1945, présents à moins 2 kilomètres du cratère de l’explosion les jours suivants ou encore exposés aux pluies noires, les radiations des retombées. 266 598 en mai 2005, ils étaient 183 519 en mars 2015, tous détenteur d’un « A-bomb survivor’s health book » ou certificat de survivance. Certains refusent le document de peur d’être stigmatisés et de devoir affronter les discriminations. Non, les victimes de la bombe ne sont pas contagieuses. Non, les maladies qui les concernent ne sont pas héréditaires. Les difficultés ne s’arrêtent pas à l’ignorance : c’est, au-delà des préjugés, un défaut de reconnaissance. On estime que moins de 1% des hibakusha encore en vie sont reconnus comme souffrant d’une maladie causée par les radiations. Comment dès lors soigner les traumatismes, apaiser les mémoires qui saignent parfois encore à vif des images qu’elles ont enregistrées 70 ans plus tôt ? Les effets de la bombe sont toujours présents sous les peaux autant que dans les esprits et ne s’effaceront jamais. De nouveaux types de cancers sont apparus chez les survivants, que les chercheurs pensent liés à des dommages au niveau génétique. La bombe est dans les corps et souffle encore.
Le sourire sur les lèvres, Mito Kosei pose avec son livret rose. Il explique l’épicentre, il explique l’onde de choc, les sites d’évacuation où l’on parquait les enfants ; le récit de sa mère, « la mer de feu qui s’étendait sur toute la ville » imprimée sur ses rétines ; sa peur surtout, de croire son père et son mari morts, comme c’était imprégné si sûrement dans le cœur des proches. Le grand-père de Kosei est revenu au foyer deux jours plus tard, le visage noir et la chair en lambeaux, les trous dans ses bras que les débris soufflés avaient laissés. Et puis la dégradation de sa santé jour après jour, les tâches rouges apparues sur sa peau et les vomissures comme de la pourriture, « comme si tous ses organes étaient expulsés dehors ». Il s’est éteint le lendemain de la capitulation du Japon, alors qu’il regardait les informations. Son père, lui, a gardé le silence sur ce qu’il avait vu et conservé ce secret en disparaissant à son tour, il y a 12 ans, à l’âge de 93 ans.
70 ans après, les traces sont toujours vivaces. Si la ville est debout et paisible, les habitants n’oublieront jamais. Et il est important de ne pas oublier pour ne pas reproduire. Il est important de savoir, de connaître les effets des radiations, la dévastation de la bombe autant sur les villes que sur les corps pour s’opposer, enfin, à cette menace nucléaire qui pèse au-dessus de nos têtes. Car à travers son histoire, Mito Kosei ne souhaite que la paix et milite pour l’espoir, contre le destin fatal que nous réservent les armes atomiques : celui de la peur et de la déshumanisation.
« Se souvenir du passé, c’est s’engager pour l’avenir. »
« Se souvenir d’Hiroshima, c’est s’engager pour la paix.
Se souvenir de ce que les gens de cette ville ont souffert, c’est renouveler notre foi dans l’homme, dans sa capacité de faire ce qui est bien, dans sa liberté de choisir ce qui est juste, dans sa détermination de changer le désastre en un nouveau commencement. »
Jean Paul II lors de son appel pour la paix, le 25 février 1981 devant le cénotaphe pour les victimes de la bombe A au Parc du Mémorial de la Paix.