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EXCLUSIF - Interview de Noriko Tezuka, coordinatrice générale du Festival du film français au Japon

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Écrit par Lepetitjournal Tokyo
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 7 janvier 2018

Du 22 au 25 juin s'est déroulé le 25ème Festival du film français au Japon. Cette édition anniversaire a réuni une sélection de onze films marquants du cinéma hexagonal qui dévoilaient, au public japonais, un échantillon de notre 7ème Art. Pour dresser le bilan de ce cru 2017, qui a réuni plus de 7 300 spectateurs, nous avons interviewé Madame Noriko Tezuka, coordinatrice générale du festival et représentante Unifrance à Tokyo.



25 ans de festival. La perception des Japonais pour le cinéma français a-t-elle évolué ?

Je dirais plutôt que la perception du public japonais a beaucoup changé depuis ces 25 ans. Entre les années 90 et 2000 par exemple, nous étions en plein c?ur de l'âge d'or des Mini theatre (l'équivalent de petites salles indépendantes d'art et essai au Japon). Les films français connaissaient un certain succès dans ces salles et la fréquentation pour les films d'auteur européens était toujours très importante. Ce phénomène a permis, en 1993, de lancer le premier festival du film français à Yokohama. Grâce à l'ouverture de nombreux centres commerciaux et grandes salles de congrès dans le quartier Minato Mirai, les premières années du festival étaient placées sous le signe du "glamour". Les marchés du film, qui les accompagnaient, étaient de belles réussites. Encore aujourd'hui, un marché du film est toujours organisé en parallèle du festival. Cette année, 24 vendeurs français ont rencontré une cinquantaine d'acheteurs japonais.

Puis les années 2000 sont arrivées. L'installation des multiplex a causé énormément de fermetures de Mini theatre. Le changement de comportement des spectateurs a suivi et de nombreuses salles indépendantes l'ont subi très vite par la suite. L'époque était alors aux grands centres commerciaux en banlieue ou en province. Par exemple, la chaîne de grande distribution japonaise, Aeon, possède des multiplex de cinéma directement dans leurs grands supermarchés. Leur public visé est donc naturellement la famille, les enfants, les parents. Les films d'animations et les blockbusters sont alors les films les plus recherchés.

Depuis ces années-là, le cinéma français a beaucoup perdu de son public, faisant ainsi face à de nombreuses difficultés pour le renouveler. Il existe un spectateur type pour le cinéma français, que l'on représenterait par une femme, entre 50 et 60 ans principalement. Les distributeurs japonais achètent donc des films qui interpellent cette cible, ce qui aurait entraîné une perte de la diversité des thèmes proposés.

Pour l'édition 2017 du festival, la sélection a encore une fois été coordonnée avec les distributeurs japonais. Parmi les films sélectionnés cette année, dix d'entre eux avaient déjà été achetés. C'est pourquoi nous retrouvons les thèmes récurrents qui plaisent au public ciblé avec des sujets sérieux traités, des films d'auteur, des drames, des histoires évoquant l'art, les relations familiales ou les destins de femmes âgées.

Mais pour l'anecdote, en 2015, nous avions présenté le film "Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu ?", qui n'avait pas encore de distributeur à ce moment-là au Japon. Nous l'avions choisi pour le succès rencontré sur le marché français. La séance fut complète, même sans la présence des artistes du film. Une distributrice a ensuite eu le courage de l'acheter. Elle a eu raison. Le film fut placé en premier, en moyenne par copie, parmi les cinémas indépendants lors de la première semaine de sa sortie et plus de 30 000 entrées ont été comptabilisées, ce qui en fait un succès correcte au Japon (chiffre moyen pour une sortie d'un film indépendant sans un gros budget de promotion). Aucun professionnel japonais n'avait prévu ce succès.

 


Plus généralement, quel est l'intérêt du public japonais pour le cinéma français ? Les thèmes et les sujets appréciés sont-ils récurrents ?

Au-delà des sujets évoqués lors de la première question, il existe une idée fixe (peut-être trop) dans la tête des distributeurs japonais : le thème doit faire pleurer le spectateur par l'intermédiaire d'une histoire touchante. Ce souhait cinématographique des distributeurs a été fortement accentué par le succès du film "Intouchables" : 1 300 000 entrées au Japon, c'est exceptionnel. On recherche alors, par tous les moyens, à reproduire ce succès une nouvelle fois. Plusieurs films avec Omar Sy ont d'ailleurs été achetés après ce succès.

Pour plaire au public ciblé, les distributeurs se focalisent sur des sujets lourds, des histoires de secrets de famille, de relations complexes avec une mère... Par contre, ce public, qui attend de ressentir de nombreuses émotions lors de la séance, souhaite en ressortir heureux. La "Famille Bélier" souligne bien ce sentiment recherché à la fin. D'ailleurs, ce film a comptabilisé près de 100 000 entrées. Un beau succès.

 


Pour cette édition, quelles ont été les différentes difficultés rencontrées ? Avoir l'accord de cette marraine (Catherine Deneuve) et de ce parrain prestigieux (Takeshi Kitano) en a-t-il fait partie ?

Chaque année, la difficulté principale de ce festival est de ne pas être (trop) en retard dans le bouclage de la sélection et de la délégation artistique vis-à-vis des Japonais. Car pour les attachés de presse par exemple, il faut des noms et des films pour parler du festival le plus rapidement possible. Si nous bouclons fin mars, c'est déjà très juste pour la période de juin. Et côté français, communiquer les éléments en mars est difficile. En effet, puisque le calendrier des tournages ne se fixent pas aussi tôt, il est compliqué de connaître les réponses rapidement au sujet des disponibilités, notamment des acteurs. Pour les 25 ans, nous avons fait un effort supplémentaire pour obtenir les accords au bon moment. Catherine Deneuve a ainsi donné son accord fin mars sans complication particulière. Cela a aidé énormément le travail des attachés de presse. Il n'a pas mieux que Catherine Deneuve pour la promotion du cinéma français au Japon. C'est même la seconde fois qu'elle parraine notre festival, après 2007. Puis, Isabelle Huppert a donné son accord en avril.

Et enfin, nous avons obtenu l'accord de Takeshi Kitano, qui semblait être un défi irréaliste. Mais comme l'artiste avait reçu dernièrement la Légion d'honneur et qu'il racontait souvent, lors de ses passages à la télévision japonaise, que son cinéma n'était pas aussi bien évalué au Japon qu'en France, nous avons tenté de le convaincre et il a accepté. Grâce à ces artistes prestigieux, nous avons reçu 90 journalistes, soit trois fois plus qu'habituellement, à la cérémonie d'ouverture. Cela a été dense et compliqué à gérer mais tout s'est très bien passé.

 

Takeshi Kitano était donc le parrain 2017. Quel lien entretient-il avec le cinéma français ?


Takeshi Kitano est un cinéaste très reconnu, au Japon comme en France. Son travail artistique est d'ailleurs très apprécié dans l'Hexagone. Il a été décoré de la Légion d'honneur en 2016 et il est devenu Commandeur dans l'ordre des Arts et des Lettres en 2010. On peut même dire que son art, en tant que cinéaste, est plus reconnu en France qu'au Japon. Par exemple, il a été invité en tant que rédacteur en chef des Cahiers du cinéma lors de leur 600ème numéro. Puis en 2010, une grande exposition à la Fondation Cartier lui a rendu hommage. La délégation artistique de notre festival a été très heureuse d'avoir eu cet artiste comme parrain. C'est une personnalité idéale pour célébrer le cinéma, ici au Japon.



Le film "Grave" sort du lot dans cette sélection 2017. Quelle a été la réaction du public envers lui ?

Le public de cette séance attendait "Grave" tout particulièrement, suite aux réactions de la presse étrangère. Sans même la présence de la réalisatrice ni de l'actrice, la vente des billets a été sold out en cinq jours seulement. La salle de 530 places fut donc pleine lors de la projection du film.

Le public différait d'ailleurs du public classique du festival. Il était en effet plutôt jeune et masculin. Le film ne sortant dans les salles japonaises qu'en 2018, le public présent était vraiment heureux de le découvrir lors du festival. "Grave" a été très bien accueilli et nous avons pu lire de très bonnes réactions sur les réseaux sociaux.

Lepetitjournal.com Tokyo remercie Noriko Tezuka pour sa gentillesse et sa disponibilité.

Julien Loock (www.lepetitjournal.com/tokyo) et Christophe Pinol (Le Matin Dimanche) le lundi 31 juillet 2017

logofbtokyo
Publié le 30 juillet 2017, mis à jour le 7 janvier 2018

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