Depuis le 10 juillet, Vincent Fichot est installé sur le sol, devant la gare de Sendagaya, à deux pas du stade olympique qui accueillera les JO dans quelques jours. C’est déjà dans tous les médias : le père de 39 ans a entamé une grève de la faim, un dernier recours dangereux et désespéré afin de faire entendre ses revendications.
Voilà trois ans que le Français n’a pas vu ses deux enfants, enlevés du domicile familial par leur mère japonaise du jour au lendemain. Malgré le marathon judiciaire qu’il entame contre cette dernière, malgré ses actions menées avec d’autres parents auprès du Sénat et du Parlement européen, le système judiciaire japonais campe sur ses positions et refuse au papa la garde partagée ou même le droit de visite. Un véritable enlèvement parental considéré comme tout à fait « légal », bien plus courant qu’on ne le pense au Japon.
Par sa grève de la faim, Vincent Fichot met aujourd’hui en lumière les pratiques d’un pays qui préfère détourner le regard. Ils sont nombreux les anonymes qui viennent chaque jour depuis samedi témoigner leur soutien à Vincent et partager à leur tour leurs histoires. Nous avons pu échanger avec eux et comprendre un peu mieux la machine infernale à laquelle ils sont confrontés.
Vincent Fichot ou la pointe de l’iceberg
L’histoire de Vincent Fichot est dramatique et pourtant, elle ressemble à celle de milliers de parents privés de leurs enfants par leur conjoint japonais chaque année. Bien que les enlèvements parentaux au Japon soient souvent associés à une bataille opposant mère Japonaise contre père étranger, nous avons pu constater que les pères japonais, les mères japonaises et les mères étrangères étaient tous concernés.
Scott, citoyen australien, se rend chez ses beaux-parents afin d’obtenir des informations sur ses enfants disparus, il est aussitôt arrêté et envoyé en prison.
Un autre père témoigne également : « J’avais obtenu la garde partagée de mon fils. Un jour, je le découvre avec des marques de coups. Je demande alors à sa mère ce que cela signifie et elle me répond que son grand-père l’a “embrassé”. Devant cette réponse complètement dingue, j’ai voulu porter plainte, mais mon avocat m’a prévenu que si je le faisais, je perdrais la garde partagée et je ne pourrais plus jamais revoir mon enfant, car il serait confié à sa mère. »
Si ce papa préfère rester anonyme, c’est parce qu’il lui reste une chance de revoir son enfant : un arrangement à l’amiable. Certaines affaires se terminent ainsi, par un accord directement mené entre les deux partis, sans passer par les tribunaux. Impuissants, véritablement pris en otages, les parents préfèrent abandonner les poursuites dans l’espoir de revoir leur enfant. Ce système d’arrangement à l’amiable est bien ancré dans la culture japonaise et évite aux familles « la honte » ou le scandale. 80 % des litiges sont en effet réglés par voie de médiation et de la grande majorité des affaires (viol, violences, abus variés…) ne va jamais jusqu’aux tribunaux.
L’enlèvement parental au Japon : le poids du système
Si la question des kidnappings est connue depuis longtemps au Japon et à l’international, comment se fait-il qu’aucun changement ne prenne forme ? La profusion d’arrangements à l’amiable peut expliquer en partie cet état de fait. Il faut aussi comprendre que l’enlèvement parental au Japon reste dans une zone grise et se trouve facilement accepté par les autorités lorsqu’il est justifié par des déclarations de violence conjugale et/ou un départ forcé du domicile. C’était au départ l’arme des mères japonaises voulant se séparer de leur mari, mais la pratique s’est désormais « démocratisée ».
Le premier qui enlève l’enfant a gagné
On planifie le divorce et l’enlèvement de ses enfants avec son avocat, en espérant que son partenaire n'y ait pas déjà pensé. Certains pères, de peur de voir leur femme disparaître avec les enfants, préfèrent agir en premier.
Le premier qui enlève l’enfant a gagné, car c’est presque toujours à lui que l’enfant sera confié en cas de litige, peu importe la suite des évènements. Les lois régissant les affaires de couples au Japon sont très différentes des lois françaises : possibilité de divorcer sans en informer son conjoint et de revendiquer en même temps la garde des enfants, de déposer plainte pour violences conjugales sans preuve… autant de faiblesses juridiques qui facilitent l’enlèvement des enfants.
Kidnapping des enfants au Japon : un vrai business
L’enlèvement d’enfant serait-il devenu un vrai business ? Vincent nous explique qu’il a dépensé 230.000 euros en frais d’avocats pour s’entendre dire qu’il avait « déjà perdu ». Et il va plus loin : certains de ces avocats, spécialisés dans les affaires d'enlèvements d’enfants, proposent sur leur site internet diverses « formules ». Parmi celles-ci, un « premium package » (200K ou 300 k de yens) vous assure que les droits de visite de votre conjoint ne seront pas respectés. Certains prennent également une commission sur les paiements de pension alimentaire que sont condamnés à verser les parents comme Vincent Fichot.
À Paris, la Japan Bar association aurait tenu un séminaire expliquant à 70 mères japonaises comment enlever avec succès leur enfant en contournant la convention de La Haye. On leur y conseillait par exemple de porter plainte pour violences domestiques contre leur conjoint afin de faciliter leur départ. Une sénatrice japonaise a d’ailleurs soulevé le sujet auprès du ministère des Affaires étrangères, sans obtenir de réponse satisfaisante.
Un système très codifié et opaque, auquel s'ajoute pour les parents non japonais les barrières de langue et de culture.
Pas de véritable pression internationale
Dans cette situation, les parents étrangers n’ont aucune chance de faire valoir ou même de comprendre leurs droits. Ils demandent alors souvent l’appui de leur ambassade ou des associations de leur propre pays. Des membres de l’Union européenne ont plusieurs fois uni leurs forces afin de faire connaître la situation à l’international et exprimer leur mécontentement. Mais qu’en est-il des autres pays ? Nous avons contacté l’ambassade d’Australie, mais n’avons pas obtenu de réponse quant à la situation de ses citoyens. Une entente globale est elle réalisable et nécessaire pour convaincre le Japon de réagir ?
Scott n’est pas très optimiste : « Nous sommes tous solidaires, mais nous avons tous des points de vue différents, nous réagissons différemment. Nous sommes tous abîmés, traumatisés. Il est difficile de tous nous rassembler. »
Et le Japon ? Vincent nous explique que les ONG japonaises sont très nombreuses, mais s’entendent mal et agissent plus comme des groupes de parole et de soutien que comme un contre-pouvoir.
Aujourd’hui Vincent Fichot se bat avant tout pour les enfants, pas pour les parents. Une jeune Japonaise de 16 ans est d’ailleurs venue le voir devant la gare. Enlevée à son père quand elle était petite, elle se désespère de ne jamais retrouver sa trace. Vincent, lui, espère que d’autres anciens enfants kidnappés prendront à leur tour la parole afin d’expliquer les dommages que ces enlèvements leur ont causés. Alors que les médias japonais s’intéressent de plus en plus à son histoire et que la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques approche, la venue d’Emmanuel Macron est attendue avec impatience par les soutiens de Vincent. Une prise de parole du président français à ce sujet pourrait-elle enfin obliger le Japon à reconsidérer la situation ?
Bien conscient des problèmes que peut soulever le mariage franco-japonais, l’association OLES Japon a édité un petit guide nommé « Regards sur le mariage franco-japonais ». Y sont abordés différents aspects socioculturels et juridiques et notamment les questions de violence conjugale, de divorce et d’enlèvements d’enfants. Une initiative qui permet de mieux comprendre les obligations légales et les procédures japonaises auxquelles une personne mariée au Japon pourrait un jour se retrouver confrontée.