Médecin, hypnothérapeute et passionné par les cultures d’Asie, le Dr Bruno Bréchemier a publié « Hypnose-Japon, Rencontre en résonance » aux éditions SATAS. Dans cet ouvrage unique, il explore les ponts subtils entre l’hypnose occidentale et des dimensions profondes de la culture japonaise – le shintô, le zen, le ma, la calligraphie, le kintsugi… Un dialogue inattendu qui interroge à la fois l’art du soin, l’harmonie intérieure et la manière d’habiter le monde.


Dans cet entretien, il revient sur le cheminement personnel et professionnel qui l’a mené au Japon, sur ses rencontres décisives, mais aussi sur la puissance thérapeutique et humaniste de l’hypnose, envisagée comme un art de vivre.
Adina Mazzoni-Cernus : Comment est née l’idée d’écrire « Hypnose-Japon, Rencontre en résonance »*, un livre sur les résonances entre l’hypnose occidentale et la culture japonaise (shintô, zen, MA, calligraphie, kintsugi…) ? Pourquoi ce lien avec le Japon, plutôt qu’avec un autre pays d’Asie ?
Dr Bruno Bréchemier : Mon lien avec l'Asie a commencé très jeune, lorsque j’ai décidé de me former à la médecine traditionnelle chinoise, dès la fin de mes études de médecine à Paris. Cette première ouverture s’est ensuite élargie au fil de nombreux voyages en Inde, en Malaisie ou encore à Singapour. Un jour, un ami qui me connaît bien, m'a dit : « Ah, le jour où tu iras au Japon ! ». Cette phrase énigmatique m’est restée en mémoire. En 2017, j’ai suivi sa pertinente suggestion et je suis allé passer deux semaines dans l’archipel. Et là, ce fut une expérience très forte !
Bien sûr, la beauté des temples et des jardins m’a émerveillé. Mais c’est surtout la découverte d’une autre manière d’être au monde qui m’a profondément bouleversé. Déconcerté au départ, j’ai dû mettre de côté mes repères, suspendre tout jugement et accueillir simplement les sensations, exactement comme on le fait en hypnose.
De retour en France, l’envie d’approfondir ce lien s’est imposée. J’ai commencé à apprendre le japonais et, peu à peu, le Japon est devenu une passion. J’y ai trouvé un bien-être personnel mais aussi une source d’inspiration professionnelle. Car au-delà de la fascination, une évidence s’est imposée : de multiples résonances existent entre la culture japonaise et l’expérience hypnotique. De cette rencontre est née l’idée d’un livre : partager ce que le Japon peut nous offrir, à nous Occidentaux, pour vivre de manière plus harmonieuse.

AMC : Vous citez la nonne zen Aoyama Shundō* : « La rencontre est le trésor de la vie humaine ». Dans votre pratique, la création d’un lien de confiance avec vos patients semble primordiale…
BB : Oui, la relation de confiance est au cœur de la pratique en hypnose. Elle permet de travailler avec efficacité et dans le respect absolu du patient.
AMC : À ce titre, dans un contexte plus large que le cabinet, lors de vos voyages au Japon, avez-vous tissé des liens personnels ou professionnels significatifs ?
BB : Mon premier voyage au Japon m’avait laissé une impression profonde, comme une énigme à déchiffrer. L’année suivante, un séjour plus long m’a permis de franchir un cap décisif. Par l’intermédiaire d’une amie commune, j’ai rencontré un Français installé depuis une dizaine d’années à Okayama. Proche du zen et formé au shiatsu, il avait choisi cette ville pour suivre son maître. Resté dans la vie civile pour élever son fils, il a conservé néanmoins la rigueur et l’esprit de cette voie. Sa présence a été précieuse : grâce à lui, de nombreuses portes se sont ouvertes. Il m’a présenté Ryoshu Yoshida, qui est devenue ma professeure de calligraphie, puis d’autres amis japonais avec lesquels les liens n’ont cessé de se renforcer au fil des voyages. C’est tout ce cheminement amical, tissé pas à pas, qui m'a permis d’entrer dans la culture japonaise de façon vivante.
Cet automne, j’ai effectué mon huitième voyage au Japon. Un séjour placé sous le signe des échanges professionnels : j’ai rencontré des thérapeutes japonais afin de partager nos pratiques et explorer des pistes de collaboration interculturelle. En parallèle, je crée un site internet en trois langues – français, anglais et japonais – pensé comme une véritable plateforme d’échanges.
AMC : Vous définissez l'hypnose comme un voyage à travers la saveur, le savoir et la sagesse. Pourriez-vous nous en dire davantage ?
BB : L’hypnose, on la vit souvent sans s’en rendre compte. Absorbé par un livre, un film ou pendant un concert, on quitte le monde ordinaire pour entrer dans un autre espace-temps. Les artistes connaissent bien cet état. En pleine création, ils sont souvent dans une forme de transe. De même, recevoir une œuvre - écouter une musique, contempler un tableau - peut aussi provoquer en nous cet état d'absorption, de type hypnotique.
En thérapie, nous utilisons cette capacité naturelle du cerveau, proche du rêve, à des fins thérapeutiques. La calligraphie, la méditation ou la musique peuvent aussi induire ce même état particulier. C’est ce que nous avons exploré lors de la journée « Art et santé : l’art, la vie, le soin », organisée à Paris par Health United, association pour la santé intégrative, où un ami japonais, Kaoru Tzuzawa, peintre et musicien, a joué du shakuhachi devant un public de soignants, une expérience à la fois artistique et profondément hypnotique.
L’hypnose peut traiter ponctuellement un symptôme ou s'inscrire dans un cheminement plus long. Dans ce cas, elle devient un art de vivre, un parcours qui aide à harmoniser nos différentes « parties » intérieures. L'être humain est un peu comme un orchestre. Certaines parties jouent juste, d’autres font parfois des fausses notes. L'hypnothérapeute facilite la mise en mouvement de ce qui fonctionne bien (les "ressources") pour aider la partie en difficulté (ex : une peur, un comportement à modifier...) à se transformer et ainsi permettre à la personne de retrouver son harmonie globale.
Ce travail thérapeutique passe par les canaux sensoriels VAKOG (Visuel, Auditif, Kinesthésique, Olfactif, Gustatif) qui s’activent différemment selon les personnes : images mentales, sensations physiques, sons, odeurs… Être en hypnose, c’est plonger dans cette expérience sensorielle pour mobiliser ses propres ressources intérieures.
C’est là que prend tout son sens ma formule « saveur, savoir, sagesse » : la saveur, ce sont les sensations, l’expérience vécue ; le savoir, la connaissance intuitive qui en découle ; et la sagesse, la capacité à trouver plus de sens à sa vie, à être mieux avec soi-même, les autres et le monde.
AMC : Vous citez une patiente : « Dans la vie, il y a trois luxes : le temps, l’espace et le silence ». Un triptyque qui semble presque inaccessible dans nos vies modernes. Quel rôle l’hypnose pourrait-elle y jouer ?
BB : Ce que cette patiente appelle des luxes - le temps, l’espace et le silence - sont en réalité des besoins fondamentaux de l’être humain. L’hypnose permet d’y accéder parce qu’elle nous fait sortir du temps ordinaire, pour entrer dans un espace-temps subjectif, fait de silence et de présence à soi. C’est un état suspendu, régénérateur et thérapeutique, comme en méditation, où l’on se reconnecte profondément à soi-même. C’est exactement ce que représente aussi le « ma » dans la culture japonaise. Un intervalle créatif, très présent dans de nombreux arts nippons.
En thérapie, cet état « décalé » sert de point d’appui pour un travail actif sur les difficultés de la personne. Et, petit à petit, après plusieurs séances, chaque personne peut apprendre à y retourner seule, grâce à l’apprentissage de l’autohypnose. Cinq à dix minutes suffisent, dans le calme, pour retrouver cet espace de silence intérieur et prolonger ainsi le bénéfice des séances. C’est un moment où on est dans une sorte de vide très régénérateur.
AMC : Justement, jusqu’où peut aller l’hypnose, quelles sont ses limites ?
BB : L’hypnose fait partie des outils thérapeutiques d’aujourd’hui, aussi bien à l’hôpital qu’en cabinet. Dans certains services de grands brûlés, par exemple, elle a montré son efficacité pour soulager la douleur et l’anxiété, au point que de plus en plus de soignants sont formés. Les soins deviennent plus rapides, plus agréables, et l’atmosphère générale des services s’en trouve transformée.
En psychothérapie, l’hypnose permet souvent d’aller plus vite et plus profondément que dans les simples thérapies conversationnelles. C’est dans cet état élargi de conscience que le travail thérapeutique s’effectue, en mobilisant les ressources inconscientes de la personne.
AMC : Vous abordez les résonances « mystérieuses » entre la langue japonaise et la langue de l’hypnose ericksonienne*. Qu’est-ce qui, selon vous, rapproche la langue japonaise de celle de l’hypnose dans leur rapport au sens, à la métaphore et à la sensibilité ?
BB: Ma surprise a été totale lorsque j’ai découvert la langue japonaise. On commence par situer le contexte (le temps, le lieu), par tenir compte des circonstances, avant de dire ce qu’il se passe. Et ce n’est qu’à la fin de la phrase que vient le verbe. En japonais, le sujet est souvent implicite et le sens se déploie progressivement, porté par le contexte. C’est aussi de cette façon très contextuelle, très englobante, qu’on accompagne par la voix la personne en hypnose. Cette façon de procéder lui permet de reprendre les fils de son existence et de les tisser à nouveau pour retrouver sa juste place dans l’ensemble de son existence. Comme en japonais, on avance par touches successives, de manière impressionniste, en s’adaptant toujours à la personne qui est en face de nous. Dans les deux cas, il s’agit de s’accorder, de se synchroniser avec l’autre, pour laisser émerger une compréhension ou une transformation intérieure. Ces similitudes m’ont tellement frappé par leur profondeur et leur signification que j'ai décidé d'y consacrer un chapitre entier de mon livre.
AMC : Pour vous, « l'hypnose est la mère de toutes les thérapies ». Pourtant, certains professionnels de santé restent sceptiques. Comment répondez-vous aux critiques scientifiques ?
BB : L’hypnose peut être considérée comme la « mère de toutes les thérapies » dans la mesure où les états modifiés de conscience ont depuis toujours été utilisés pour soigner. Les chamans, les guérisseurs du monde entier y ont eu recours. L’hypnose moderne s’inscrit, d’une certaine façon, dans cette continuité.
Aujourd’hui, les neurosciences confirment son efficacité : elles montrent que l’hypnose provoque de réels changements dans le cerveau, comparables à ceux de la méditation. Ces découvertes ont facilité son intégration au sein des hôpitaux et du paysage médical en général. Malgré le scepticisme de certains, les preuves neuroscientifiques sont solides : elles révèlent notamment l’implication de trois grands réseaux cérébraux et confirment que l’hypnose agit sur la part non consciente de nos comportements.
Aujourd’hui, de nombreux laboratoires en Europe et aux États-Unis explorent ces mécanismes. Au-delà des cultures, les écoles d’hypnose varient dans leurs méthodes, mais partagent une même conviction : chaque être humain possède les ressources nécessaires pour évoluer. Le rôle de l’hypnothérapeute est d’accompagner ce processus grâce à une relation de confiance.

AMC : L’hypnose est-elle pratiquée au Japon ? Si oui, dans quels cas ?
BB : Il y a des hypnothérapeutes dans les grandes villes du Japon. Je suis en train d’établir des contacts avec eux ainsi qu’avec un institut de formation (Société japonaise de médecine hypnotique et de psychologie).
AMC : Quels sont vos projets futurs ?
BB : Je prépare actuellement plusieurs conférences pour les prochains mois. En parallèle, je souhaite consacrer du temps au développement de mon site internet, afin de mieux faire connaître les multiples bienfaits que le Japon peut apporter, tant dans le domaine thérapeutique que philosophique. Ce site sera disponible en trois langues afin de favoriser un partage plus large. J’animerai également un groupe de thérapeutes franco-japonais, avec l’ambition de créer un espace d’échanges et de coopérations fécondes.
Un grand MERCI au Docteur Bruno Bréchemier pour cet entretien.
* Hypnose Japon, rencontre en résonance, éditions SATAS (2024)
* Aoyama Shundō : abbesse du monastère zen Soto de formation pour les nonnes, à Nagoya
* Ryoshu Yoshida : Maître de calligraphie à Okayama
* MA : « Au Japon, les notions de temps et d’espaces sont unis dans un seul concept traduit par le mot « Ma ». Isozaki Arata, architecte (Exposition « Espace-temps au Japon » Paris, 1978)
Hypnose ericksonienne
°°°°°°°°°
Site web : www.bruno-brechemier.fr
Instagram : @brechemierbruno
Facebook : Bruno Bréchemier
LinkedIn : Bruno Bréchemier
Sur le même sujet
















