Christophe Bailhache a relevé le pari de pouvoir emmener les personnes du monde entier sous les eaux pour y découvrir les merveilles des océans. Le fondateur d’Underwater Earth décroche le Trophée Innovation des Trophées des Français de l’étranger, parrainé par MisterFly, pour son travail et sa caméra dotée d’une prouesse technologique encore jamais égalée.
L’Australie est un pays propice au changement de vie
Lepetitjournal.com : Pourquoi avoir attendu d’avoir 40 ans pour faire de votre passion votre métier ?
Christophe Bailhache : Je me suis installé en Australie en 2000. Ainsi je me rapprochais de deux des plus grandes barrières de corail au monde qui se trouvent en Australie et en Nouvelle Calédonie. Cela tout en poursuivant une carrière commerciale pendant plusieurs années. Passionné d’images et plongeur aguerri, j’ai plongé pendant des années avant de décider à 40 ans d’abandonner ma carrière commerciale. Je me suis alors consacré entièrement à ma passion de l’océan et à sa protection, en utilisant l’image comme outil. L’Australie est un pays propice au changement de vie. La présence de la plus grande barrière de corail à proximité a permis d’accélérer la mise en place de mon organisation Underwater Earth.
Une des plus grandes menaces à laquelle les coraux et les océans font face est qu’ils sont invisibles
Comment avez-vous créé Underwater Earth ?
Underwater Earth est une entité à but non lucratif. Elle a été créée sur le constat que peu de gens se souciaient de l’état des océans, de leur santé et de la dégradation qu’ils subissent. Au cours des cinquante années précédentes, nous avons déjà perdu plus de 40 à 50% des récifs coralliens alors qu’ils sont le poumon des océans et donc de la terre. Même s’ils ne représentent que 0,1% de la surface de la planète, 25% de la biodiversité marine s’y développe.
Une des plus grandes menaces à laquelle les coraux et les océans font face est qu’ils sont invisibles. Loin des yeux, loin du cœur. Si nous regardons les statistiques, plus de 99% des gens n’ont jamais plongé et ne plongeront sans doute jamais. Nous nous sommes vite demandés comment nous pouvions emmener cet environnement à eux ? L’idée était donc d’utiliser les moyens de communication modernes et de faire de l’innovation technologique pour susciter une prise de conscience globale, non seulement sur la beauté de l’environnement et sa fragilité mais aussi sur son importance pour la vie sur terre.
Underwater Earth est là pour aider à révéler les océans au plus grand nombre et à grande échelle, le plus rapidement possible. Pour cela, nous avons créé le Google Street View des océans.
La caméra que nous avons construite est un système unique au monde
En quoi votre caméra est-elle une innovation ?
Le Google Street View des océans n’a pas été évident technologiquement. Il n’y avait aucun système qui permettait de faire ce genre de photographies sous-marines. Nous sommes allés voir Google avec cette idée et nous avons suscité beaucoup de curiosité. Il s’est passé entre 8 et 12 mois entre le moment où nous avons eu l’idée et le moment où nous l’avons fait. En parallèle, nous avions un second interlocuteur, XL Catlin, qui allait aussi financer le projet, d’où le nom du premier projet que nous avons créé, le XL Catlin Seaview Survey.
La caméra que nous avons construite est un système unique au monde. Elle permet de capturer des clichés sous-marins en 360° rapidement sur de grandes distances. Il était par ailleurs important de travailler le design de notre innovation, les médias étant sensibles à l’ergonomie de telles inventions. La couverture médiatique étant une clef importante permettant d’obtenir des appuis pour la réalisation de nos projets, nous avons délibérément voulu jouer sur l’aspect un peu James Bond de la caméra.
Pour créer cet outil, il a fallu se réinventer et être autodidacte en devenant du jour au lendemain, développeur de caméra. Mes expériences de photographe et de vidéaste sous-marin m’ont beaucoup aidé dans cette démarche. Des jours de recherches, d’essais et de discussions passionnantes, mais aussi de l’apprentissage et des expériences ratées, ont permis d’aboutir au résultat final. Je me suis entouré de personnes passionnantes et pointues dans leur domaine, dont Ron Allum, l’inventeur du Deep Sea Challenger de James Cameron. Ce dernier a été un soutien précieux et surtout une inspiration. Je lui suis reconnaissant d’avoir soutenu ma démarche.
Partager cette beauté et cette fragilité, pour sensibiliser le public et appeler à plus de protection
Comment avez-vous organisé ce Google Street View des océans ?
Une caméra unique, un rêve un peu fou, la passion de l’exploration et un amour de l’image ont été à l’origine du Google Street View des Océans. Les scientifiques nous ont suivis dans l’aventure, ce qui nous a permis de parcourir pendant six ans le monde à leurs cotés pour créer un état des lieux des récifs coralliens. Les photographies ont été effectuées avec deux buts : le premier est scientifique, avec la prise de vue sous marine en 360° reliée aux données scientifiques. Ces données ont été mises à disposition gratuitement pour toute la communauté scientifique sur notre site Global Reef Record. Le deuxième but était de faire des photos avec un regard plus artistique pour être notamment utilisées par Google Street View Ocean. J’ai eu le privilège d’être le photographe en charge de cette réalisation et d’alimenter le projet.
Pour choisir où prendre ces clichés, il y a eu plusieurs approches. La première est la collaboration avec les scientifiques qui nous ont suggéré des zones coralliennes à visiter d’une importance scientifique majeure. Outre l’aspect scientifique, nous avions des demandes et nos propres souhaits pour divulguer un certain nombre d’environnements merveilleux. Ces endroits avaient, eux aussi, une biodiversité cruciale que nous devons protéger. Google voulait aussi révéler la partie sous marine associée aux parcs nationaux qu’ils mettaient en image sur terre, comme les Iles Galapagos par exemple. J’ai donc souvent eu l’occasion de partir en expédition avec les équipes de Google, pour révéler des environnements dans leur totalité, terrestre et sous marin.
A Sydney par exemple, des centaines de milliers de personnes se baignent tous les jours sans réaliser que des merveilles marines se trouvent dans la baie. Nous avons également pu nous rendre dans des endroits excessivement reculés tels que l’Atoll de Palmyra, où l’accès est interdit et où seule une poignée de scientifiques se rendent chaque année. Nous avons photographié ces endroits pour en faire des plongées virtuelles. Grâce à cela, aujourd’hui tout le monde peut s’y rendre et y plonger sans impact écologique. Cela permet par ailleurs aux associations de protection de l’environnement de partager cette beauté et cette fragilité, pour sensibiliser le public et appeler à plus de protection.
Faire naître l’émotion pour inciter à l’action
Quelles sont les premières leçons que vous avez pu tirer de ce projet ?
Notre mission est de sensibiliser le plus grand nombre aux océans, à leur magie, leur beauté mais aussi aux problèmes et aux dégradations qu’ils subissent. Pour cela nous utilisons l’image, la technologie et le « storytelling », afin que le monde puisse expérimenter l’océan pour l’aimer et le comprendre. La réalité virtuelle est une technologie avec laquelle nous travaillons depuis longtemps. Son aspect immersif et innovant aide les gens à comprendre l’importance de la conservation des océans, en les emmenant dans des endroits inaccessibles.
Nous faisons face à des dégradations catastrophiques de nos environnements qui vont s’accélérer avec le changement climatique. En revanche, il nous semble primordial de divulguer un message positif afin de capter l’attention des populations. A travers nos histoires en réalité virtuelle, « Guardians of the Kingdom » et « Out of the Blue », nous cherchons à créer des messages inspirants qui mettent en avant les enjeux écologiques actuels, sans pour autant être anxiogène. Nous invitons le monde à s’immerger dans un environnement qu’ils n’auraient pas eu l’occasion de voir sans nos images sur Google Street View Oceans ou nos expositions photos. Elles ont d’ailleurs été vues plusieurs centaines de millions de fois grâce à notre partenariat avec Google. Notre contenu est celui qui a le plus d’interactions sur la plateforme, illustrant l’intérêt de la population à découvrir les fonds marins, si peu connus. La magie d’un environnement nouveau et incroyable attire. Nous ne prétendons pas être la solution à tous les problèmes. Mais nous essayons à travers le pouvoir de nos images et du storytelling, de faire naître l’émotion pour inciter à l’action.
Il est indispensable de transmettre ces connaissances pour protéger le milieu marin
En quoi est-ce important de sensibiliser les plus jeunes sur les océans ?
Plus de 90% des gros poissons ont disparu et nous tuons chaque année 100 millions de requins. Beaucoup d'espèces sont affectées par les pêches non durables. Nous courons à la catastrophe, sans que la population ne s’en rende compte, car notre système continue de puiser inlassablement et en masse dans l’océan pour fournir nos supermarchés.
Malgré le merveilleux travail de beaucoup de personnes, les prédictions sont la perte de 90% des récifs coralliens d’ici à 2050, à cause des effets du changement climatique. C’est une catastrophe environnementale pour notre planète. Nous en subirons les conséquences. Cela peut sembler être une cause perdue mais la nature peut rebondir si nous lui en donnons l’occasion. Si nous prenons l’exemple des baleines à bosses, en l’espace de 40 ans, leur population a considérablement augmenté. Nous devons agir rapidement et de manière créative. En utilisant notamment les technologies innovantes pour sensibiliser et éduquer, en particulier les plus jeunes. Cela permet de leur faire prendre conscience le plus rapidement possible de l’importance des océans, pour leur bien être actuel et pour l’avenir. Il est indispensable de transmettre ces connaissances pour protéger le milieu marin.
Une photographie vaut parfois plus que des mots
Pensez-vous que le public australien est plus réceptif à votre projet ?
L’Australie nous a permis de mettre en place ce projet très ambitieux mais de manière générale tous les publics aux quatre coins du monde ont été réceptifs à notre travail. Notre approche est vraiment universelle. Le pouvoir de l’image, du storytelling, de la photographie et des documentaires permettent de changer les esprits, de rassembler et de créer un dialogue pour trouver ou demander des solutions. Une photographie vaut parfois plus que des mots. Les nôtres voyagent et ont touché le public du monde entier, du fin fond du Pacifique jusqu’en Tunisie via l’Europe, la Chine et les États-Unis. C’est pourquoi nous lançons actuellement une nouvelle exposition immersive de nos travaux photographiques réalisés ces dix dernières années. Avec le soutien de partenaires du monde entier, nous continuons à produire des documentaires en réalité virtuelle. Nous croyons fermement en sa capacité à amplifier l’empathie.