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Hilma af Klint, l’invention de l’abstraction

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Hilma af Klint, Svanen, no. 1 (1915) – CC BY-SA 4.0
Écrit par Lou Cercy
Publié le 30 novembre 2022, mis à jour le 6 décembre 2022

Entre Kandinsky, Malevitch et Mondrian, les historien·ne·s de l’art se sont longtemps déchiré·e·s pour déterminer à qui attribuer la paternité de l’invention de l’abstraction. En réalité, il faudrait plutôt parler de maternité, puisque c’est une femme, la Suédoise Hilma af Klint, qui est aujourd’hui reconnue comme la pionnière de l’art abstrait. Il aura cependant fallu attendre bien des années après sa mort pour que son talent et son travail soient révélés et reconnus par la communauté artistique.

 

Si Hilma af Klint est indéniablement douée pour la peinture, son œuvre, du moins telle que l’on la connaissait jusque récemment, ne se distingue pas par son originalité. Née en 1862 au bord du lac Karlberg, à Stockholm, elle intègre, fait extrêmement rare à l’époque pour une femme, l’Académie des Beaux-Arts de Stockholm, à l’âge de 20 ans. Son destin artistique suit son cours sans éclat : elle réalise des paysages et dessins botaniques de qualité mais qui ne se démarquent en rien des travaux académiques de ses contemporains. 

C’est dans le secret qu’Hilma af Klint réalise les œuvres qui révolutionneront le monde de l’art. Alors qu’elle n’a que 17 ans, sa petite sœur décède dans de tragiques circonstances. En quête de réconfort et de réponses, la jeune femme se tourne alors vers le mysticisme, un monde qui la fascine tant qu’elle fonde, dans les années 1890, le groupe De fem (Les cinq). Avec quatre autres femmes, elle se consacre chaque vendredi soir à une séance de spiritisme et expérimente l’écriture automatique : en état de transe, elle laisse des esprits guider sa main et dessiner ou écrire à travers elle.

Hilma af Klint se prend de passion pour ces séances et se sent investie d’une mission, celle de partager ses découvertes sur l’origine du monde. Dans ses écrits, elle confie qu’elle ne suit pas sa propre volonté mais se laisse guider et peint sans hésiter, ni corriger, ni recommencer. Elle réalise des œuvres qui ne ressemblent à rien de ce que le monde de l’art a connu jusque-là : des compositions complètement abstraites, dans lesquelles formes et couleurs expriment une recherche d’harmonie, un certain ordre du monde. En effet, selon les théories ésotériques auxquelles elle s’intéresse, l’univers entier, de l’atome à la galaxie, ne fait qu’un. 

 

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Hilma af Klint, Altarbild, no. 16 (1915) – CC BY-SA 4.0 

 

Sa production est considérable : entre 1906 et 1908, elle peint 111 gigantesques toiles. Elle passe sa vie à analyser et étudier ses propres œuvres, et consigne ses découvertes dans des carnets, qu’elle numérote et classe avec soin. Une fois qu’elle estime avoir mieux compris la symbolique des couleurs et des formes, elle se met à réaliser ses propres travaux. Au total, elle réalise plus de 1 200 œuvres novatrices qui constituent les toutes premières productions abstraites. 

 

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Hilma af Klint, De tio största, no. 5 (1907) – CC BY-SA 4.0

 

Si elle restée dans l’ombre d’artistes comme Mondrian et Malevitch, c’est que deux obstacles se sont dressés entre elle et la célébrité. Consciente du bouleversement qu’elle pourrait provoquer, Hilma af Klint fait sceller sa production et la lègue à son neveu avec la consigne de ne la révéler que 20 ans après sa mort. Ce n’est donc que dans les années 1960 que le monde découvre son travail. Cependant, cette révélation constitue un tel chamboulement dans la chronologie de l’histoire de l’abstraction qu’il faudra du temps pour que la communauté scientifique accepte de revoir son discours. Les expert·e·s refusent d’abord d’attribuer à l’artiste la place qui lui revient, en raison de la dimension spirituelle de son œuvre. En 1986, elle est enfin exposée à Los Angeles lors d’une exposition avant-gardiste, « The Spiritual in Art », qui met en avant l’importance de la spiritualité dans l’art abstrait, qui n’était d’ailleurs pas absente des travaux de Kandinsky et Mondrian.

Cependant, il reste un obstacle de taille à la reconnaissance de l’œuvre d’Hilma af Klint : son statut de femme. En 2012, le MoMA présente « Inventing Abstraction 1910-1925 », une exposition dont elle est complètement absente : pas question de laisser une mystique voler la vedette aux grands maîtres de l’abstraction ! Finalement, ce n’est qu’en 2019 que le Guggenheim lui consacre une rétrospective. Cette exposition est celle qui fait le plus d’entrées de l’histoire du grand musée new-yorkais. 

Aujourd’hui, son rôle majeur dans la naissance de l’art abstrait est absolument indéniable : son œuvre est telle que l’on cherche encore à en comprendre toutes les subtilités. Il aura fallu un travail acharné pour lui offrir la place qu’elle mérite, un travail qui est loin d’être achevé, puisque l’enseignement de l’histoire de l’art continue bien souvent à occulter le talent et l’importance de cette artiste.

 

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