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Face au bourbier centrafricain, les ONG tirent la sonnette d'alarme

RCA crise humanitaireRCA crise humanitaire
Écrit par Justine Hugues
Publié le 29 octobre 2017, mis à jour le 31 octobre 2017

A l’heure où la République centrafricaine (RCA) retombe dans la violence et le chaos, António Guterres, Secrétaire Général de l’ONU, vient d’y achever une visite de trois jours. Regards sur une crise dramatique mais oubliée, grâce au Dr Jean-François Corty, directeur des opérations Internationales de Médecins du Monde.

« Non seulement les besoins de la population sont de plus en plus importants mais l’espace qui est censé exister pour permettre aux acteurs d’apporter de l’aide se restreint, avec une augmentation massive des actes de violence ciblés sur les humanitaires ». A l’occasion de la visite du grand patron de l’ONU en République centrafricaine, un collectif d’ONG françaises, dont Médecins du Monde, s’empare de cette fenêtre médiatique pour tenter de secouer la communauté internationale et alerter l’opinion publique.

 

Des affrontements entre groupes armés dénués de toute règle et logique

Si, par excès de manichéisme, on a tendance à réduire les violences à une simple opposition entre milices « anti-balaka », à majorité chrétienne, et les groupes issus de l’ancienne « Séléka » à dominante musulmane, les conflits qui ravagent actuellement la RCA sont bien plus complexes. Selon le Dr Corty, « il y a un fractionnement des parties prenantes au conflit avec pléthore de milices politico-militaires ou mafieuses, d’autorités politiques locales même, qui se battent pour le contrôle du territoire et l’exploitation de ressources minières, notamment. On n’est pas dans une conquête militaire planifiée avec des zones tampon et des lignes de front clarifiées. On est face à un conflit multiforme avec des alliances qui se font et se défont au gré des occupations de l’espace. »

Premières victimes de ce casse-tête armé : les populations civiles, souvent prises au piège, contraintes de tout laisser derrière elles d’une minute à l’autre, privées de ressources, voire instrumentalisées et visées par les attaques.

 

Violences sexuelles, insécurité alimentaire, système de santé à l’agonie : tableau d’un désastre humanitaire

La RCA aujourd’hui c’est près d’un million de déracinés (que ce soit à l’intérieur du pays ou chez les voisins camerounais, tchadien, soudanais et congolais) sur une population totale de cinq millions. C’est aussi l’un des derniers pays de la classe en matière de développement avec la moitié des Centrafricains en situation d’insécurité alimentaire et près de 30% des structures de santé détruites ou laissées à l’abandon. « Ce pays est dans un état de pauvreté et de déliquescence majeure » nous dit Jean-François Corty. « Le système de santé est quasiment en lambeaux si bien qu’en RCA on meurt de tout, de malaria, de diarrhée, de fièvre infectieuse ». Les femmes sont celles qui pâtissent le plus de cette situation de pauvreté et de chaos généralisés. Dans les centres de santé publics appuyés par Médecins du Monde, les violences sexuelles constituent 20% des 11.000 consultations annuelles. Malgré le soutien médical, psychologique et juridique apporté aux survivantes, « il y a une impunité globale et il est très difficile de faire condamner les agresseurs ; le droit n’est pas respecté, la société civile est fracturée », nous confie notre interlocuteur. Un récent rapport de l'organisation Human Rights Watch dresse un tableau similaire d'un pays "sous le joug des groupes armés, qui agissent en totale impunité". S'appuyant sur les témoignages de 296 victimes, le rapport mentionne le cas de femmes retenues de force pendant des mois sur des bases militaires et utilisées comme esclaves sexuelles, mutilées, ayant contracté le VIH, enceintes de leur bourreau. 

Le système de santé est quasiment en lambeaux si bien qu’en RCA, on meurt de tout 

 

De plus en plus d’attaques contre les ONG

Pour la troisième année consécutive, la RCA est classée comme le pays enregistrant le plus d’incidents à l’encontre des ONG, avec 232 attaques - parfois extrêmement violentes - rapportées en 2017 contre des infrastructures de santé ou des locaux d’ONG. « Depuis janvier, nous avons eu douze travailleurs humanitaires et douze soldats de la paix tués en Centrafrique », dit António Guterres. « Ça démontre à quel point la situation s’est dégradée ». Pour Médecins du Monde, ces attaques indiscriminées sont le reflet d’un contexte de prédation majeure dans lequel « sans motif politique ou communautaire précis, les humanitaires sont aussi des cibles. Ils sont en insécurité face à des acteurs qui ne respectent ni la hiérarchie ni le droit humanitaire, et avec qui il est difficile de parler ». En conséquence, l’assistance est souvent réduite voire suspendue, dans un cercle vicieux qui laisse la part belle aux belligérants tout en creusant la tombe de civils livrés à eux-mêmes.

Sans motif politique ou communautaire précis, les humanitaires sont aussi des cibles

 

Fin de Sangaris*, renouvellement du mandat des casques bleus : où en est l’aide miliaire internationale?

Pour le Dr Corty, « depuis le départ de Sangaris en 2016, la France n’a pas le même regard sur la RCA. Le traitement médiatique est différent, tout comme la vision de l’opinion publique sur ce qui peut s’y passer, si tant est que ça concerne l’opinion publique ». Alors que le Conseil de sécurité onusien doit renouveler en novembre le mandat de la MINUSCA, bras armé des nations unies en RCA, les casques bleus sont sous le feu des critiques. « Parce que dans différentes configurations d’attaques de villages, elle n’a pas forcément été là au bon moment, parce qu’il y a des bruits qui courent sur son manque de neutralité et d’impartialité quand il y a, en son sein, des contingents de musulmans marocains », la MINUSCA n’a pas la côte auprès des autorités et des civils. Par ailleurs, selon notre interlocuteur, « son mandat n’est pas suffisamment clair : elle doit sécuriser les civils et favoriser le développement de l’aide humanitaire tout en se trouvant parfois partie prenante au conflit sur les opérations militaires aux côtés de l’armée dite régulière ». Dans un tel contexte de confusion des genres, on a du mal à saisir comment la proposition faite par António Guterres d’ajouter 900 militaires aux quelque 12000 casques bleus déjà présents pourrait changer la donne. « C’est toujours éthiquement difficile pour un humanitaire de dire qu’il faut envoyer des militaires pour faire la guerre », rappelle M. Corty. « Mais nous continuerons d’appuyer la présence d’une MINUSCA au mandat clarifié, comme l'une des méthodes possibles pour travailler à une sécurisation des civils ».


Le 13 août dernier, lors de la fête de l’indépendance de la RCA, Faustin-Archange Touadéra, son Président, appelait à l’ordre : « je demande aux commanditaires des crimes d’arrêter leurs machinations et artifices coupables, car la justice sera implacable. Une menace presque risible dans un territoire où règnent la pauvreté, l’impunité et le chaos, où 12 districts sur 16 sont aux mains de milices armées et où même certains acteurs politiques formels impliqués dans différents business immoraux ont tout intérêt à ce que la violence perdure…

* Opération militaire de l'armée française conduite en RCA de décembre 2013 à octobre 2016

Justine Hugues
Publié le 29 octobre 2017, mis à jour le 31 octobre 2017