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Véronique Sapin, avocate de “l’art sans frontière”

Veronique Sapin danseuse, musicienne, metteure en scène, commissaire d’exposition SingapourVeronique Sapin danseuse, musicienne, metteure en scène, commissaire d’exposition Singapour
@Martin Capel
Écrit par Sabrina Zuber
Publié le 6 avril 2020, mis à jour le 8 avril 2020

A Singapour depuis près deux ans, danseuse, musicienne, metteure en scène, commissaire d’exposition, Véronique Sapin réunit en une seule personne tous les genres du spectacle vivant… et pas seulement ! Lepetitjournal.com a eu la chance de la rencontrer !

Lepetitjournal.com : Vous avez un profil varié, qui touche à la danse classique, la pratique musicale et théâtrale ainsi qu'aux arts plastiques. Racontez-nous votre parcours.

Véronique Sapin : J’ai un parcours universitaire classique, avec des études d’Histoire jusqu’au doctorat. Puis, tout en travaillant à mi-temps, j'obtiens un diplôme de l'Institut Français de Presse suivi d'une Licence d'Études théâtrales. Quelques années plus tard j'enchaine avec des cours d'Histoire de l’Art.

Parallèlement à ma scolarité, mon entrée au Conservatoire me permet de suivre plusieurs formations : danse classique, musique (harpe et du chant) et théâtre. Je ne remercierai jamais assez la France d'avoir créé le système des Conservatoires !

Même si je gagne mon premier salaire en tant que danseuse de corps de ballet et que je rêve adolescente de devenir chorégraphe, c'est sous l'égale influence de mes études de théâtre et de chant que je dirige mon projet professionnel vers la mise en scène d’opéra. Mon déménagement à Paris m’offre l'occasion de nombreuses rencontres et l'opportunité d'utiliser les magnifiques théâtres de la Cité Internationale où je suis installée. Autour de mes projets, je rassemble un grand nombre de chanteurs solistes, de choristes et de musiciens avec lesquels je mets en scène deux opéras ("Porgy and Bess" et "Mahagonny"), ainsi qu'un spectacle de théâtre-chanté créé à partir de textes de B. Brecht sur une musique de K. Weill. Je n'abandonne pas la danse pour autant et j'ai la chance de participer en tant que soliste à une création du violoncelliste Ionel Petroï.

Et puis, au bout de sept ans, ma vie parisienne perd de son charme : peu de femmes réussissent à franchir le plafond de verre pour devenir metteure en scène d'opéra. Il y a trente ans, les murs étaient encore plus solides et plus haut. Ainsi, je me retrouve à travailler en tant qu'attachée de presse puis directrice de communication en entreprise. Les embouteillages, les heures en métro, la foule… j’ai la sensation de ne plus maîtriser ma vie ni la carrière que je souhaite. Quand l'opportunité de partir au Canada se présente, mon mari et moi la saisissons.

A Montréal, je n'ai évidemment aucun réseau théâtre/musique pour rebondir dans ce milieu. Après quelques tentatives infructueuses, je cherche donc à me réinventer. Après plusieurs petits jobs, j'obtiens un poste comme recherchiste et chroniqueuse pour Radio Canada où je rencontre Dominique Banoun, une collègue française au parcours de danseuse qui pratique l'art-vidéo. Quelle extraordinaire découverte ! Je retrouve grâce à ce medium mes premiers amours : je peux chorégraphier des images en mouvement, créer mes ambiances sonores, mettre en scène les sensations et les émotions par le biais de l’esthétique ! Je réalise ma toute première diffusion d'art-vidéo en 1997 au Musée de l'industrie de Montréal avec Dominique. A l’époque, sans ordinateur, le montage des images vidéo est un travail complexe et long. Après notre journée de travail, nous passons nos soirées dans un studio de montage.

Ma première exposition en France en solo a lieu en 2000 à l'École des Beaux-Arts de Clermont Ferrand pendant le festival Vidéoformes. C'est là que je rencontre l'artiste C. M. Judge installée à Boston (USA). Notre entente est immédiate. Nous envisageons très vite de travailler ensemble. Mon déménagement en France l'année suivante suspend nos projets mais nous restons dans l'idée d'entamer une collaboration.  Ma famille et moi rentrons en août et un mois plus tard ont lieu les attentats de New-York.

C'est cet évènement terrible qui s'est imposé dans notre projet commun.

 

Veronique Sapin danseuse, musicienne, metteure en scène, commissaire d’exposition Singapour
Photo-Egalité - Véronique Sapin

 

C’est l’ambiance internationale post attentats de New York qui est à l'origine de la création du collectif international FemLink-Art ?

En schématisant, je peux dire que quatre grandes strates composent mon tissu intellectuel et émotionnel. Les arts de la scène, les arts visuels, la pensée humaniste et l'approche historique de tous les évènements politiques. Mes lunettes de compréhension des relations internationales passent par l'Histoire. Mes lectures sont presque exclusivement des livres d'Histoire et des essais politiques. J'ai une passion pour l'histoire des religions et l'archéologie qui vient avec. Quand les attentats du 11 septembre frappent, j'essaie de comprendre l'évènement avec ces lunettes. Peu de temps avant, je venais de terminer "Le choc des civilisations" de Samuel Huntington que la plupart des intellectuels français ont voué aux gémonies. De mon côté, je ne savais trop qu'en penser. Les attentats ont semblé à ce moment-là avoir été en quelque sorte prédits par Huntington. Sa thèse centrale repose sur l'idée que les conflits à venir surviendront entre les grandes civilisations.

Dans un tel monde, à quoi peut bien servir un artiste ? Ce type de questionnement peut sembler totalement risible, naïf et dérisoire lorsqu'on fait face à un avenir qu'on nous prédit aussi déprimant. On a le choix entre le déni, le découragement ou l'action à notre échelle individuelle. L'idée qu'en réunissant des artistes issus de toutes les grandes civilisations pour faire oeuvre commune pourrait contribuer à donner un sens humain à notre avenir, ceci m'apparait réalisable et légitime. Transcender les frontières sans en ignorer l'existence et les héritages me semble possible et doit être tenté.

En 2005, C. M. Judge et moi écrivons un manifeste suivi d'une invitation à vingt-huit artistes de vingt-huit pays. L'idée est de créer chacune une vidéo autour du thème de la fragilité avec l'ambition de diffuser ces vidéos ensemble en tant qu'oeuvre commune de notre collectif que nous appelons "FemLink-Art". Toutes les artistes acceptent avec enthousiasme. En février 2006, a lieu notre première diffusion dans le contexte de l'ouverture du Congrès international WCA à Boston aux USA. Cette même année, "Fragility", est diffusée dans huit pays dont l'Indonésie, Chypre, l'Angleterre, la Pologne, la Lituanie et l'Uruguay.

"Fragility" est notre première composition-vidéo. Nous en sommes désormais à onze œuvres finalisées et deux autres en cours. Notre collectif réuni 145 artistes femmes de 63 pays ainsi que 8 artistes hommes qui ont sont invités pour le thème "Hommage à une plasticienne".

 

Puisque vous avez besoin de connaitre les artistes, leur parcours et leurs points de vue, comment rentrez-vous en contact avec eux ?

Grâce à internet, j'ai la possibilité de découvrir les œuvres des artistes et je peux m'adresser directement à elles lorsqu'elles ont leur propre site internet. Mais en 2005, internet n'en est qu'à ses débuts. Je m'adresse donc à des curateurs, des galeristes, des responsables de festival. J'écris également des articles dans une revue d'art-vidéo ce qui m'ouvre des portes.

Notre collectif est lancé à la manière d'une "chaîne" de femmes artistes comme on parle de "chaîne humaine". Les femmes ont été ostracisées dans tous les domaines et c'est encore vrai dans de nombreuses régions du monde. Le principe de nos compositions-vidéos place toutes les artistes sur le même plan, leurs œuvres ont la même égalité de traitement. J'invite chacune d'elle à participer à tel ou tel thème en fonction de leur sensibilité et de leur point de vue artistique afin que nos œuvres communes résonnent entre-elles.

 

Veronique Sapin danseuse, musicienne, metteure en scène, commissaire d’exposition Singapour
Elle Tourne - Véronique Sapin

 

Comment arrivez-vous à soutenir FemLink-Art au niveau financier ?

La vidéo-d ‘art ne se vend qu'exceptionnellement à des collectionneurs ou des Musées. Tous-tes les artistes du collectif ont une autre activité ou pratique un autre medium qui leur permet de gagner leur vie. De plus les lieux d'art proposent leur espace gratuitement mais ne donnent que très très rarement de droits d'auteure.

En 2007, l’UNESCO nous a aidé à former des artistes africaines en finançant une plateforme de formation à la vidéo au Québec. Malheureusement ce programme s'est arrêté l'année suivante.

 

Est-ce qu’il y a des lieux physiques pour voir les résultats de ces collaborations internationales ?

Chaque année, nos compositions-vidéos sont diffusées dans des musées, des centres d'art, des festivals, des galeries... En quinze ans d'existence, nous avons participé à plus de trois cents évènements. A Singapour, en septembre dernier, j'étais invitée par Kai Syng Tan, artiste singapourienne du collectif, à participer à sa résidence au centre d'Art Gilman Barracks. J'ai pu exposer mes photos et programmer FemLink-Art.

J'agis en tant que commissaire d'exposition à la fois pour la création et la diffusion des vidéos-compositions, et à la fois pour répondre à des demandes de "Cartes Blanches" sur des thèmes proposés par des organisateurs d'évènements.

Sur le site web du collectif, on retrouve des extraits de toutes les vidéos créées spécifiquement pour FemLink-Art.

 

Veronique Sapin danseuse, musicienne, metteure en scène, commissaire d’exposition Singapour
I am turning my face -  Véronique Sapin

 

Avez-vous un rêve dans votre tiroir secret ?

Un rêve un peu égoïste ; j’aimerais un jour pouvoir exposer mon propre travail. Le distributeur "Heure Exquise !" se charge de mes vidéos. Mais je n'ai pas de temps pour mes photos et mes toiles.

 

Si vous n’étiez pas celle que vous êtes, qui seriez-vous ?

Il y a tellement de choses qui m’intéressent. J’aimerais écrire mes propres opéras. Je reviendrais à la danse, au théâtre et au chant mais j'intègrerais de la vidéo dans mes spectacles, haha !

 

La boucle est bouclée…

Nous nous construisons en quelque sorte par accumulation de strates. Celles qui sont tout au fond m’intéressent encore. Je les aime et les exploite toujours car elles se complètent. Il n'y a aucune raison que je les laisse de côté. Donner des cours de danse, par exemple, me procure toujours un grand plaisir ; j'ai en donné dans tous les pays où j'ai vécu !

 

Si je peux me permettre une blague : si vous n’étiez pas celle que vous êtes, vous seriez… celle que vous êtes !

Oui, peut-être bien.

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