Sous l'impulsion de son Président Andrew Lau et de son Directeur Fabian Forni, l'Alliance française de Singapour met en lumière l'art de la table à la française. En partenariat avec Christofle, Baccarat, Bernardaud et le Fond Gourmand de la Bibliothèque municipale de Dijon, la galerie de l'Alliance présente - du 7 avril au 3 mai - une exposition de tables à manger dressées avec des créations iconiques de ces marques françaises exclusives. Les visiteurs peuvent également apprécier une collection de menus historiques, reliant la France et l'Asie du Sud-Est.
Les menus présidentiels
Au cours du XIXe siècle, alors que la carte (le menu de commande) gagne en popularité dans les établissements de restauration, le menu commence également à faire son apparition aux tables des familles régnantes en Europe. En Allemagne, en Angleterre, en Belgique et en France, le menu permet de présenter l'ordre dans lequel les plats seront servis, d'abord selon les principes du service à la française. Dans la seconde moitié du siècle, avec la mise en place du service à la russe, l'utilisation du menu comme moyen d'information sur le repas servi se développe. La langue officielle restera, dans l'ensemble, le Français, au moins jusqu'à la Première Guerre mondiale. Sous la monarchie en France, comme sous l'Empire français, la table et le menu étaient considérés comme des outils au service du pouvoir.
Au début du XXe siècle, la Troisième République a commencé à accueillir officiellement des chefs d'État étrangers dans le cadre de sa diplomatie. Monarques et Présidents sont reçus en grande pompe au Palais de l'Élysée dans le cadre de dîners de gala ou de dîners d'État. Le Palais est ainsi doté de salles de réception, dont la célèbre salle des fêtes conçue par Sadi Carnot pour l'Exposition universelle de 1889, tandis que la préparation et le service des repas sont confiés à de grands traiteurs parisiens tels que Potel et Chabot.
Les repas de réception étaient caractérisés par une cérémonie élaborée, qui mettait en valeur les deux chefs d'État. Pièce maîtresse de cette cérémonie, le menu revêt à cette époque sa forme classique : une page de garde originale, une première page annonçant l'événement, et une seconde page présentant les plats et le vin qui seront servis, une représentation symbolique de la République, le monogramme du Président en exercice, et parfois un document d'accompagnement détaillant le répertoire musical pour l'occasion.
À la fin des années 1920, le menu présidentiel semble avoir perdu de son originalité artistique. La Présidence se met à produire des menus de petit format sur lesquels figure le monogramme du Président en exercice, tel celui de Gaston Doumergue, Paul Doumer ou Albert Lebrun, seul détail qui subsiste de la Belle Époque. Sous la Quatrième République, la Présidence poursuit dans cette voie avec des menus plus petits et simplifiés, portant les armoiries de la République, comme c'est le cas pour le menu du déjeuner de réception d'Elpidio Quinto, vice-Président des Philippines (Dîner offert par Vincent Auriol, Palais de l'Élysée, Paris, 29 juin 1947).
Avec le retour de la prospérité et l'instauration de la Cinquième République, la Présidence renoue avec l'ancienne tradition des grands dîners. Des cuisines sont construites dans les sous-sols du palais, ce qui permet de ne plus dépendre des traiteurs parisiens. Le menu, soumis à une véritable codification, semble avoir retrouvé son lustre : de grandes feuilles de vélin pliées en quatre, une page de garde illustrée, une page de titre, une page de menu, un cordon de soie aux couleurs du pays invité ou du drapeau français. Progressivement, une vue imprimée du palais de l'Élysée, symbole du pouvoir républicain, est intégrée aux menus.
L'utilisation du menu gaulliste perdure dans les années 1970, sous le mandat de Georges Pompidou et de Valéry Giscard d'Estaing, notamment avec le menu "grille du coq" qui introduit des reproductions de dessins anciens issus des collections nationales.
La présidence de François Mitterrand innove en introduisant des reproductions d'œuvres d'artistes modernes tels que Gustave Moreau, Paul Cézanne, Georges Seurat, Pierre Bonnard et Henri Matisse. Vivant et multicolore, le menu devient un véritable objet de décoration. La fin de la présidence de Mitterrand voit aussi la naissance de menus illustrés de créations contemporaines, réalisés sur commande par Éric Paré ou Gilles Marrey et dont les spécimens sont abondamment utilisés par les occupants de l'Élysée jusqu'à aujourd'hui. Jacques Chirac continue à utiliser les œuvres d'artistes contemporains tels que Maurice Estève, Georges Braque et Pablo Picasso (Dîner offert en l'honneur de Son Excellence Tran Duc Luong, Président de la République socialiste du Vietnam. Palais de l'Élysée, Paris, 28 octobre 2002).
Le menu présidentiel a fait son retour sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Sous Sarkozy, que ce soit pour les déjeuners d'affaires ou pour les dîners d'État, il est devenu courant d'utiliser un menu blanc simplement orné des armoiries (monogramme de la République française, branches d'olivier et de chêne). Les Présidents François Hollande et Emmanuel Macron ont poursuivi cette pratique quasi exclusive. Les années 2000 ont également vu l’apparition régulière, comme documents d'accompagnement du menu, d'un plan de table et d'une copie des discours et toasts prononcés au cours du repas.
Les réceptions officielles au palais de l'Élysée
Même si les tables de l'Élysée ne suivaient pas toutes les tendances du monde de la gastronomie (pas de cuisine moléculaire ou de « finger food » lors des réceptions), l'ordre des plats servis a depuis changé, comme partout ailleurs en France. Dîner au palais aujourd'hui n'est plus la même expérience qu'en 1900.
Les menus du début du XXe siècle suivent l'ordre des grands dîners pompeux du siècle précédent, avec un peu moins de plats (mais toujours plus de dix) : un hors-d'œuvre - mais pas obligatoire -, deux soupes - l'une claire, l'autre épaisse -, un plat de poisson, des entrées (qui n'avaient rien à voir avec les entrées contemporaines, mais étaient des plats chauds et copieux habituellement servis en première partie de repas), des sorbets pour marquer la pause entre les deux parties du dîner, plusieurs rôtis, des légumes, une salade composée, des entremets sucrés (chauds et froids), et pour finir, un dessert qui prenait généralement la forme d'une glace. Le fromage était également servi à ce moment-là.
Cet ordre complexe était l'héritage du service à la française, bien qu'il ait progressivement évolué pour suivre une formule plus simple au palais. Dans les années 1920, le nombre de plats passe à moins de dix, par la suppression progressive des entrées (au sens traditionnel du terme) et des entremets sucrés avant le dessert.
A partir de la présidence de Charles de Gaulle, la composition des dîners devient plus familière, avec cinq plats dans l'ordre suivant : soupe, poisson, viande, légumes, glace. (Dîner en l'honneur du président de la République française et de Madame de Gaulle, à l'occasion de la visite de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge. Palais des Affaires Étrangères, Paris, 25 juin 1964).
Le fromage fait également son apparition sur la carte sous la IVe République, entre le légume et le dessert (et non plus après les entremets sucrés). Il alterne entre une quasi-disparition du menu (sous Charles de Gaulle et Nicolas Sarkozy) et une mise à l'honneur (sous Georges Pompidou et François Hollande). (Déjeuner offert en l'honneur de Son Excellence Benigno S. Aquino III, Président de la République des Philippines. Palais de l'Élysée, Paris, 17 septembre 2014).
Sous Georges Pompidou, les repas ne commencent plus systématiquement par une soupe, tandis que sous Jacques Chirac, le dessert principal n'est plus une glace.
Quant au vin, les menus du début du XXe siècle ne gardent pas ou peu de traces de leur provenance ; il faut attendre les années 1930 pour que les millésimes soient indiqués sur les menus, et il faudra attendre le mandat de François Mitterrand pour que les détails complets du vin servi soient connus. (Dîner offert en l'honneur de Corazon Aquino, présidente de la République des Philippines, par le Premier ministre Michel Rocard. Palais des Affaires Étrangères, Paris, 12 juillet 1989). Pendant plusieurs décennies, la norme était de commencer par un vin blanc de Bourgogne ou un vin doux de Bordeaux, suivi d'un grand cru de Bordeaux, et pour finir, du champagne. (Dîner d'État offert en l'honneur de Tony Tan Keng Yam, président de la République de Singapour, par François Hollande, Président de la République française. Palais de l'Élysée, Paris, 18 mai 2015). Toutefois, des exceptions étaient possibles selon les occasions, comme en témoigne le menu servi sur les porte-avions Charles-de-Gaulle à l'occasion de l'anniversaire de l'opération Dragoon où le Côtes-de-Provence a été servi.
@ Bibilothèque Municipale de Dijon
La collection de menus de la Bibliothèque municipale de Dijon
Avec environ 15 000 documents, dont plus de 8000 sont accessibles en ligne, la Bibliothèque municipale de Dijon possède la plus grande collection publique de menus en France après celle de la Bibliothèque nationale. En enrichissant sa collection de plusieurs centaines de menus par an grâce à l'achat de documents historiques et aux dons de particuliers et de collectionneurs, elle est l'un des rares projets de prospective traitant de l'éphémère.
La collection rassemble des documents de 1811 à nos jours : qu'il s'agisse de menus de réceptions officielles au palais de l'Élysée, de ceux d'établissements de restauration, ou encore de menus de bateaux de croisière et de vols.
La collection comprend de nombreux menus de repas servis par et pour les présidents en exercice. Parmi eux, on compte plus de 1300 objets provenant de réceptions organisées dans les palais présidentiels, principalement à l'Élysée bien sûr, mais aussi à Versailles, Rambouillet, Marigny, Chambord, Champs, dans les préfectures, outre-mer, dans les restaurants et même sur les porte-avions Charles-de Gaulle.
La collection privée de Guillaume Gomez
Chef de cuisine à l'Élysée, Guillaume Gomez a généreusement accepté en 2018 de mettre à disposition sa collection personnelle de menus présidentiels contenant plus de 1100 documents inédits.
Aujourd'hui âgé de 42 ans, Guillaume Gomez a plus de 20 ans d'expérience à l'Élysée où il a gravi les échelons pour finalement succéder à Bernard Vaussion en octobre 2013. Formé à Paris, il est devenu le plus jeune MOF (meilleur ouvrier en France) à l'âge de 25 ans. Travailleur infatigable, il est l'un des plus grands ambassadeurs de la cuisine française, tant par son rôle officiel au palais présidentiel que par ses engagements personnels. Il a notamment fondé l'association Les Cuisiniers de la République Française qui regroupe les chefs des institutions telles que l'Assemblée nationale, le Sénat, les ministères et les préfectures, dans le but de promouvoir les traditions gastronomiques de la cuisine française en France et à l'étranger, de rassembler les chefs qui travaillent quotidiennement pour les institutions républicaines, et de soutenir et d'appuyer les efforts de promotion de la gastronomie française.
Avec Michel Roth, il est le co-président de l'association Euro-Toques, créée en 1986 à l'initiative de Pierre Romeyer et Paul Bocuse pour la préservation et la promotion des produits alimentaires de qualité d'origine française. Guillaume Gomez a récemment été nommé "Représentant personnel" du Président de la République pour la "Gastronomie, l'Alimentation et les Arts Culinaires".
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