Hôtels, rues, places, écoles… le nom de Raffles est partout à Singapour. Mais qui était vraiment Stamford Raffles, considéré, à tort ou à raison, comme le fondateur de Singapour ? À l’heure où Singapour s'apprête à commémorer le bicentenaire de son arrivée sur l’île, revenons sur la vie de ce personnage complexe.
Thomas Stamford Bingley Raffles est né le 6 juillet 1781 sur le bateau marchand de son père, au large des côtes jamaïcaines. Il passe son enfance en Angleterre, dans un relatif dénuement, et quitte l’école à 14 ans pour devenir employé de bureau à la Compagnie britannique des Indes orientales. Raffles n'a pas fait d’études supérieures mais il a une soif d’apprendre. Véritable rat de bibliothèque, il renforce son éducation seul. Cette caractéristique lui permet de gravir rapidement les échelons de la hiérarchie et, à seulement 26 ans, il est nommé secrétaire général adjoint de l’établissement de Pénang, dans la péninsule malaise. Il profite de son voyage en bateau à voile, de plusieurs mois, pour apprendre le malais. À son arrivée, il est ainsi l’un des rares européens à pouvoir communiquer avec les locaux. Durant son séjour, il doit se rendre à deux reprises à Malacca pour se remettre de cette « fièvre », qui décime alors les employés coloniaux : le paludisme. Là encore, il met à profit ce repos forcé pour approfondir ses connaissances sur la civilisation malaise.
Lieutenant-gouverneur de Java à 30 ans
En 1811, il se rend à Calcutta où se trouve le siège de la Compagnie britannique des Indes orientales. Il y rencontre le gouverneur général du Bengale, auquel il expose tout l’intérêt que représente l’île de Java. L’époque est troublée, les tensions sont grandes entre les puissances européennes car on est au milieu des guerres napoléoniennes et la Hollande est occupée par la France. Java, de par une position stratégique sur la route commerciale entre l’Inde et la Chine, justifie une expédition de 57 navires et 11 000 soldats, à laquelle Raffles se joint. Sitôt la faible résistance hollandaise vaincue, Raffles est promu lieutenant-gouverneur de Java. Il a 30 ans. Il redécouvre Borobudur, le plus grand temple bouddhiste du monde, datant du 9e siècle. Connu des habitants de l’île, le monument est alors enfoui sous une dense végétation. Si Raffles est un aventurier visionnaire, idéaliste, ambitieux et érudit, ce n’est pas un gestionnaire. Son séjour à Java est un succès à bien des égards, mais c’est un désastre financier pour la Compagnie des Indes orientales qui le rappelle à Londres en 1816. Anecdote non dépourvue d’intérêt, et qui nous éclaire sur la personnalité de Raffles : il s’arrête en route sur l’île de Sainte-Hélène, sur laquelle est emprisonné Napoléon Bonaparte. L’homme, qu’il admire, le reçoit mal, refusant le rôle de figurant que les Britanniques lui concèdent désormais.
Arrivée à Sumatra
Le retour ne s’annonce pas sous les meilleurs augures mais la publication des deux tomes de Histoire de Java, dont il est l’auteur, renverse la situation. L’ouvrage rencontre un immense succès, ce qui lui vaut d’être anobli. Raffles obtient de la Compagnie britannique des Indes orientales un nouveau poste, moins prestigieux. Il devient lieutenant-gouverneur de Bencoolen, sur l’île de Sumatra, établissement qui n’a jamais été rentable. Il s’y rend avec sa deuxième épouse, Sofia, qui mettra au monde leur enfant sur le bateau. La famille s’installe sur l’île de Sumatra en 1818. L’Empire napoléonien n’existe plus et la Hollande a repris le contrôle de l’archipel indonésien. Raffles s’alarme de cette situation, constatant que « les Britanniques ne possèdent plus à présent un pouce de terre entre le cap de Bonne-Espérance et la Chine ». C’est dans ce contexte que se déroulera son aventure singapourienne (qui fera l’objet d’un prochain épisode). Les premières années à Sumatra furent heureuses. Raffles est tout à son ambition d’étendre l’influence de la Grande-Bretagne dans la région et de transformer Bancoolen en une colonie modèle. Il poursuit ses recherches et ses explorations à l’intérieur de l’île. Malheureusement, la perte de trois de ses quatre enfants, en moins de six mois, ainsi que la maladie qui le touche anéantit tant la félicité familiale que ses rêves de grandeur. Brisé, Raffles décide alors de prendre sa retraite et de rentrer en Angleterre, après toutefois un dernier séjour à Singapour. C’est un homme endetté qui quitte définitivement l’Asie de Sud-Est. Non seulement la Compagnie britannique des Indes orientales ne lui accorde pas de pension mais elle engage des poursuites pour qu’il rembourse les frais de l’expédition de Singapour. Stamford Raffles décède en juillet 1826, à l’âge de 45 ans, vraisemblablement d’une hémorragie cérébrale.