Suite à une discussion avec Elodie Causier, Directrice chez IPSOS à Singapour, Lepetitjournal.com s’est mis en tête de faire le point sur une problématique d’actualité : Quelle est la position des Singapouriens face à l’enjeu majeur d’un avenir éco-responsable ? Les chiffres reportés ici proviennent d’une étude menée par Ipsos auprès de Singapouriens.
Le changement climatique est un problème majeur et complexe.
Le réchauffement climatique est reconnu comme le plus important sujet environnemental actuel par 55% de Singapouriens, et la quasi-totalité d’entre eux reconnaissent que le changement climatique est influencé par l’activité humaine. Une vérité à laquelle le premier Ministre Lee a fait écho lors de son discours à l’occasion du 200ème anniversaire de la Ville-État, où il implore ses concitoyens de considérer le changement climatique avec “le plus grand sérieux”. Mais l’attitude prévalant est aussi de penser que le changement doit être motivé et encadré par des politiques publiques : deux tiers des personnes interrogées pensent que la politique des gouvernements et des organisations internationales sont nécessaires pour aboutir à de vrais changements.
Au-delà de cette prise de conscience superficielle, et cela porte à réfléchir, seulement 78% reconnaissent avoir un impact direct sur l’environnement. Près de la moitié ressent les solutions éco-responsables quotidiennes comme rébarbatives. Par exemple : ramener son sac réutilisable au supermarché pour éviter les trop nombreux sacs plastiques distribués. Autre point qui divise l’opinion : un quart des personnes interrogées remettent en question le sérieux des tendances sur le changement climatique qu’ils pensent exagéré…
Au centre de leurs préoccupations se trouvent les restrictions sur l’eau, la nourriture et le traitement des déchets ménagers. Des considérations très concrètes et très liées à la situation géographique et stratégique de l’ile. 78% des Singapouriens affirment avoir déjà réduit considérablement leurs consommations d’eau et d’électricité. Les données de consommation d’eau par habitant le confirment. En 2003 la consommation quotidienne par habitant était de 165 litres, en 2017 elle était passée à 143 litres et l’objectif à atteindre pour 2030 est de 130 litres.
Le regard sur le plastique
Les ordures ménagères ne sont pas au premier plan dans les médias sociaux, pourtant, la quasi-totalité des Singapouriens pense que l’utilisation excessive du plastique est un problème. En revanche seulement moins de la moitié d’entre eux affirme séparer leurs plastiques des autres déchets. Et uniquement un quart d’entre eux pensent vraiment connaitre les symboles liés au recyclage. Ils précisent qu’ils recycleraient davantage si cela était rendu plus facile, s’ils percevaient une rémunération pour les articles recyclés, ou si les informations sur l’étiquette du produit à recycler étaient plus claires et enfin si cela était légiféré par le gouvernement.
Concernant la consommation de plastique, la majorité se dit prête à contribuer en utilisant des sacs réutilisables au supermarché. Ils accepteraient même de payer une cotisation minimale (pour les sacs en plastique par exemple) si cela pouvait diminuer l’usage du plastique ou était destiné à une cause environnementale. Mais la réalité est que la consommation et les déchets plastiques ne cessent de s’accroitre, alors qu’en parallèle les taux de recyclage sont en baisse.
Etant donné la prise de conscience du problème et la volonté de changement, comment va-t’on effectuer et impacter un véritable changement d’habitudes comportementales ? Selon Elodie Causier, “le point crucial est de convaincre les singapouriens de l’impact de leur comportement individuel. Notre analyse montre que ce changement de perception a un rapport direct avec la propension à recycler”.
La politique et les régulations visent tout particulièrement les entreprises. En 2007 s’est vu concrétiser une initiative gouvernementale et industrielle pour réduire les déchets plastiques à Singapour. 54000 tonnes de déchets d’emballage ont été réduites et 130 millions de dollars ont été sauvés sur 10 ans. Belle initiative qui montre que l’on peut agir sur le problème. Les entreprises sont mises à contribution et devront fournir en 2021 un rapport sur les emballages utilisés à Singapour. En 2025 devraient fleurir des lois sur la responsabilité élargie des producteurs. Les sociétés seraient responsables du traitement, de la collecte et de l’élimination de leurs produits après usage, incluant les déchets électroniques. Des premiers pas prometteurs.
Que se passe-t-il au niveau des entreprises ? La chaîne de valeurs.
Les initiatives des fabricants d’emballages sont nombreuses. Que ce soient des plastiques biodégradables ou des produits à base de maïs, de papier ou de canne à sucre, les alternatives existent. Ainsi Bio Plastics produit à faible coût des produits plastiques oxo-biodégradables. De leur côté, Modem-Pas Singapore produit des plastiques biologiques à base d’amidon, complètement dégradables sous 90 jours.
Des initiatives menées par les communautés locales émergent. Récemment à l’initiative du WWF les Singapouriens pouvaient échanger leurs bouteilles plastiques contre des bons d’achat au marché de Tiong Bahru. Certaines marques et enseignes se mobilisent en retirant ou réduisant les contenants plastiques à usage unique et les pailles plastiques de leurs commerces. Environ 820 millions de sacs plastiques de supermarché sont mis en circulation chaque année à Singapour. Les enseignes Fair Price, ShengSieng, Dairy Farm poursuivent l’élan de réduction de sacs plastiques en encourageant leurs clients à utiliser des sacs réutilisables, offerts au-delà de 50$ d’achat. Des marques internationales ont substitué les sacs plastiques en proposant dorénavant des sacs éco-responsables. Citons le groupe Accor qui a supprimé les pailles plastiques et prévoit pour 2020 les remplacements écologiques des coton-tiges et agitateurs plastiques. De son côté l’enseigne KFC ne fournit plus de pailles dans ses 84 restaurants et favorise l’utilisation d’emballages biodégradables. Des marques locales prennent aussi ce virage notamment les 4 parcs zoologiques de l’île.
Ces initiatives sont positives mais sont limitées dans leur impact. Limitées en portée – elles sont souvent très locales (limitées à un quartier ou une organisation) - et limitées en temps – initiatives durant quelques jours qui n’ont finalement que peu d’impact à long terme.
Défis et opportunités du recyclage à Singapour.
Au vu des millions de tonnes de matériaux à recycler chaque année, l’industrie du recyclage fait face à plusieurs défis. A ce rythme, Singapour devrait construire une usine de recyclage tous les 7 à 10 ans et créer une nouvelle décharge tous les 30 à 35 ans. Les 10 centrales de recyclage de Singapour vont devoir se moderniser et défier le statu quo. En effet, d’une part le marché est sous-développé par manque de demande locale les produits recyclables sont vendus aux marchés d’outre-mer. D’autre part la quantité de matériaux recyclés reste faible : les bacs de recyclage sont trop peu nombreux, les différents types de déchets sont mélangés entrainant une contamination de près de 40% des matériaux recyclables.
L’ensemble des acteurs du recyclage de l’île devront relever ce défi en bâtissant un nouvel écosystème du recyclage créant ainsi de nombreuses opportunités économiques et d’innovation.
Les priorités immédiates
Selon Elodie Causier, “les changements de comportement doivent se focaliser sur les conditions facilitant ce nouveau comportement. Il faut donc générer une motivation, une aptitude, un contexte physique favorable (les ressources concrètes et locales) et pour finir influencer le contexte social (culturel, sociétaire et personnel).” Dans le cadre du problème du plastique, la motivation consiste à convaincre les singapouriens que leur comportement a un impact réel. L’aptitude est ici la volonté déclarée de s’adapter et de changer qui doit s’imprégner de manière cohérente. Le contexte physique relate quant à lui des attentes politiques et des infrastructures. Par exemple le tri établi comme une priorité publique et des points de recyclage de proximité. Et pour finir, le contexte social qui implique que les comportements alternatifs de recyclage doivent devenir la norme plutôt que l’exception.
L’ensemble des acteurs économiques et politiques ont un rôle à jouer pour transformer le petit point rouge en petit point vert !